The Crimson Cage (inédit en Vf à ce jour) est une relecture de Macbeth transposée à l'époque moderne et mixée à l'univers assez baroque du catch professionnel. Le protagoniste, Chuck Frenzy, est une grande vedette de la modeste fédération LPW, basée en Louisiane. Adulé par les fans, il aspire pourtant à décrocher une place plus prestigieuse et à offrir une vie meilleure à son épouse et assistante, Sharlene. Un soir, après avoir un peu trop bu, il erre dans le bayou et croise trois sorcières qui lui prédisent qu’il a la possibilité de devenir champion du monde… à condition d’être prêt à faire tout ce qu’il faut pour y parvenir. Par tout ce qu'il faut, il faut bien sûr comprendre des choses horribles, un meurtre, faire couler le sang ! L’idée de croiser Macbeth et le catch professionnel est quelque chose qui peut sembler totalement ridicule ou impossible, seul John Lees pouvait réellement la concrétiser avec autant de brio. L’adaptation reste fidèle à l’histoire d’origine tout en l’intégrant parfaitement au monde des catcheurs masqués, ce qui force l’admiration. Rien d’étonnant, puisque Lees est un grand passionné de lutte et d’histoire du wrestling. L’album regorge d’allusions aux catcheurs et ce qui est assez génial, c'est que même quelqu’un qui n’est pas initié à ce milieu pourra comprendre et apprécier le récit, tant il est vulgarisé avec classe et bien écrit. Son amour pour Shakespeare transparaît également, et il réussit de manière magistrale à fusionner ces deux univers.
Si
les scènes ne sont pas des copies
conformes de celles de la pièce, on en
reconnaît facilement les équivalences et les
parallèles. L’une des scènes qui s'avère
particulièrement marquante est celle où
Chuck et Van Emerald (le "roi Duncan" de
cette version) se retrouvent sur un pont.
Cette séquence, ainsi que le match qui suit,
offrent à Chuck une justification morale qui
faisait défaut dans l’histoire originale. Et
quand on y pense, remplacer une couronne
par un titre de champion du monde n’est
finalement pas un si grand écart. Par
ailleurs,
transposer
les
célèbres
monologues en promos de catch face à la
caméra est une trouvaille géniale, qui marie
à merveille les deux concepts. Comme
toujours, le dessin de Alex Cormack vient
sublimer l’écriture de Lees. Les scènes de
catch restituent parfaitement l’ambiance
des anciens combats : le mouvement,
l’action fluide d’une case à l’autre, l’impact
de chaque coup… tout sonne juste. Quand
j'étais gosse, je suivais Les superstars du
catch, sur Canal +, et ce sont bien des
souvenirs que j'ai retrouvés dans cette
lecture. Lorsqu’on quitte l’univers du ring,
Cormack évolue également dans un
registre qui lui est familier : on se réjouira
particulièrement de l’utilisation des ombres
épaisses et de l’obscurité sur ses planches,
sans oublier les explosions de rouge
lorsque la folie s’empare du récit. La
colorisation d’Ashley Cormack est, elle
aussi, remarquable. Au final, l’expérience est
captivante. Lees expliquait dans l’épilogue du
premier
chapitre
qu’avec
les
tragédies
shakespeariennes, on sait d’avance comment
l’histoire
va se terminer. Pourtant, les
personnages et le récit sont si forts que l’on
espère malgré tout qu’ils échapperont à leur
destin. On souhaite secrètement qu’ils trouvent
un moyen de déjouer l’inéluctable. L'art de faire
entrer l'empathie et l'angoisse devant des
événements qu'on sait devoir se produire,
inéluctablement. Lees établit d’ailleurs un
parallèle avec l’un de ses catcheurs préférés,
Bryan Danielson, lors de son match contre Brock
Lesnar aux Survivor Series. Tout le monde savait
que Bryan n’avait aucune chance de gagner, et
pourtant, son talent était tel qu’il a réussi, ne
serait-ce qu’un instant, à faire croire au public que
l’impossible était à portée de main. C'est sur ce
postulat que repose le catch : mettre en scène
l'improbable, un exutoire, même si la fin est
connue d'avance et scénarisée. Tous ceux qui
liront
The Crimson Cage connaissent
probablement la fin de Macbeth et savent donc
que Chuck Frenzy est promis à un destin
similaire. Pourtant, il est indéniable qu'on se
prend à souhaiter que le pauvre type ne plonge
pas trop profond dans l'horreur et le désespoir,
une petite partie de nous ne peut s’empêcher
d’espérer qu’il parviendra à changer son sort.
Hélas, The Crimson Cage enfonce le clou.
Terrifiant. Et très réussi.