LES JARDINS INVISIBLES : LES MERVEILLEUX SOUVENIRS D'ALFRED


 L’heure des retrouvailles avec Alfred (Lionel Papagalli) et son nouveau travail publié chez Delcourt, Les Jardins invisibles, sera peut-être l’occasion idéale pour comprendre enfin les mystères de son talent. Comment parvient-il à entrer en résonance avec nos émotions les plus profondes, et ce, sans jamais donner l’impression de forcer ou de chercher à éblouir ? Dans cet ouvrage, il ne s’agit pas d’une bande dessinée classique ni même d’une histoire au sens strict, mais plutôt d’un patchwork d’anecdotes : un kaléidoscope de souvenirs de l’artiste qu’il qualifie lui-même de « moments de bascule ». Ces instants, qui, avec le recul, s’avèrent souvent décisifs dans une évolution personnelle, dans le choix d’une direction ou simplement dans l’envie d’aller de l’avant. Ces souvenirs convoquent tour à tour le père, les grands-parents, une enfance passée à Chiavari, en Ligurie, la naissance de la fille de l’auteur, ou encore une période de trois années vécues à Venise. D’autres épisodes plus universels y trouvent également leur place : la disparition puis le retour de l’inspiration grâce à une simple photo, des enfant jouant au football dans les rues de Naples, ou encore la mélancolie d’un séjour à l’hôpital. Et à chaque fois, la magie opère. Difficile de dire pourquoi, mais à travers ces pages, ce n’est pas simplement un narrateur qui partage des souvenirs. C’est un artiste qui semble s’adresser à chacun de nous, comme si ses expériences résonnaient intimement avec les nôtres. Le tout est porté par un dessin qui, bien qu’il puisse paraître naïf au premier regard, se révèle profondément évocateur. Plutôt que de miser sur des effets spectaculaires, Alfred privilégie une approche sincère et épurée. Il met son trait au service de ces fragments de vie. Il leur insuffle une patine et une mélancolie d’une intensité qui nous concerne tous, frappe directement le cœur du lecteur.


Avec Alfred, la notion de souvenirs – et donc de généalogie et de transmission – est toujours très présente. Il existe comme des bulles de mémoire, enfouies dans le temps, qui finissent par remonter à la surface et éclore de manière inattendue. C’est ce qui se produit lorsque l’artiste évoque des moments passés chez lui, au milieu des plantes vertes soigneusement installées par sa mère. Ou encore, lorsqu’il se trouve pour la première fois confronté à la maladie d’Alzheimer de son grand-père, une réalité qu’il n’a pas su comprendre ni identifier immédiatement. Cela se produit aussi quand il réalise que le grain de sa peau, aujourd’hui, est semblable à celui de son père autrefois. Cette généalogie du corps ne cesse de se transmettre : en massant le dos de sa fille, il découvre que celle-ci possède également ce même épiderme. Le monde n’est pas toujours joyeux, et il réserve son lot de mauvaises surprises. Pourtant, au milieu de ce chaos, persiste ce fil, fragile et pourtant résilient : la mémoire. Elle demeure, qu’il s’agisse des récits dans lesquels on expose ce qui nous est arrivé, ce que nous avons accompli, d’où nous venons, ou qu’il s’agisse de cette transmission presque imperceptible qui fonde une généalogie. Ce fil peut se manifester à n’importe quel instant, parfois de manière anodine, parfois bouleversante. Par exemple, alors que vous participez à un atelier de dessin à Djibouti, un simple mail peut révolutionner votre existence : vous apprenez que vous allez devenir parent. Toute la beauté des Jardins Invisibles réside dans la diversité des fleurs qui s’y épanouissent. Certaines sont tragiques, d’autres comiques, et parfois, il s’agit simplement d’anecdotes d’une banalité désarmante. Prenez ce voisin d’hôtel, par exemple, qui met la télévision trop fort : ce qui semblait n’être qu’une contrariété peut, en l’espace d’une seconde, devenir une rencontre inattendue et émouvante, capable de remettre en question tout ce que l’on croyait savoir ou accepter. Ce voyage à travers les souvenirs d’Alfred, c’est en réalité la vie d’un homme qui se déploie sous nos yeux. Une vie faite de micro-événements, de pensées fugaces et d’instantanés saisis sur le vif. Mis bout à bout, ces fragments dessinent un regard sensible et juste sur l’humanité. En définitive, toute cette chronique pourrait se résumer en un seul mot, celui que nous adresserions à l’auteur si nous pouvions le rencontrer en cet instant : merci !




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