Depuis les toutes premières pages du premier tome de ce "polar", impossible de ne pas aimer ce personnage d'Ethan Reckless. Qui n'est pas un détective privé pour autant : il accepte régulièrement des missions qui peuvent s'avérer périlleuses et au cours desquelles son sens inné de l'enquête et des mécanismes humains fait merveille. C'est un peu un paumé, à sa façon; il vit dans les marges mais il est surtout très attachant. Sa seule véritable amie et "collègue" s'appelle Anna et elle partage avec lui un cinéma désaffecté, qui leur sert de base d'opération. C'est elle qui était au centre du quatrième volume, durant lequel nous n'avions quasiment pas rencontré Ethan, occupé du côté de San Francisco, où il avait une affaire à régler. Il se trouve que cette affaire mystérieuse est justement le sujet de ce cinquième effort, qui sera aussi le dernier pour le moment, puisque les artistes Ed Brubaker et Sean Phillips ont décidé de marquer une petite pause. Soyez rassurés, il reviendront rapidement à ce qui est pour eux une nouvelle manière de présenter leur travail conjoint, c'est-à-dire des graphic novels à un rythme frénétique, cinq en un peu plus de deux ans, donc. Comme très souvent chez Brubaker, le récit va tourner autour d'une femme et c'est elle qui a le potentiel de faire accélérer les choses ou au contraire que tout s'écroule autour du ou des protagonistes. Ici, elle s'appelle Rachel. Elle semble avoir disparue et Reckless prend alors contact avec son petit ami. Il est mandaté par le père de la "fugueuse" pour essayer de comprendre ce qui a bien pu se passer. En fouillant dans l'appartement du couple, il met la main sur un simple courrier, dissimulé dans les pages d'un livre, qui éclaire sa lanterne et va le mettre sur la piste de la demoiselle.
L'histoire personnelle de Rachel est à la fois poignante et terrifiante. Il est question d'abus sexuels et de violence, d'une jeunesse passée avec des hippies déglingués qui utilisent leur mode de vie libertaire comme une bonne excuse pour s'adonner aux pires vices, y compris le viol, donc. Une expérience traumatisante dont on ne se départit jamais vraiment, en tous les cas de quoi émouvoir et toucher Ethan, qui je le rappelle (pour les plus discrets qui ne connaissent pas la série) est habituellement coupé de l'essentiel de ses émotions, depuis un accident et une lourde commotion cérébrale. Cette fois, il se laisse peu à peu prendre au piège des sentiments et vous le savez, nous sommes chez Ed Brubaker : en gros, dès qu'un homme est attiré par une femme et qu'il commence à écouter la petite musique qui lui trotte dans la tête, le cœur ou les parties génitales, ça se finit toujours assez mal. Ici, il va être question d'une fratrie qui doit être châtiée et vous allez pouvoir embarquer dans un road trip du côté de San Francisco, à l'époque où la ville se remet lentement d'un terrible tremblement de terre. Excellente pioche côté dessins, nous sommes toujours au standard habituel de cette série qui n'en est pas une, c'est-à-dire que SeanPhillips imprime son style unique et poisseux à souhait à chaque page et que le fiston, Jacob, magnifie l'ensemble avec des couleurs volontairement décalées, qui peuvent parfois créer un effet de confusion mais qui correspondent parfaitement à cette ambiance californienne rétro, puisque il faut le rappeler, nous sommes à la fin des années 1980. D'ailleurs, les prochaines aventures de Reckless seront l'occasion d'une excursion dans la décennie suivante. Signalons enfin que cette cinquième histoire comprend un épilogue qui se situe vingt ans dans le futur et qui permet d'avoir un bref aperçu de ce que vont devenir les principaux personnages. On sent que Brubaker en a encore beaucoup sous le pied et que l'univers de Reckless a énormément de choses à nous offrir dans les prochaines années.
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