SHADOW HILLS : LA MATIÈRE NOIRE SELON SEAN FORD


 Le rêve américain, c'est une forme de tromperie sur la marchandise, avec ces grandes métropoles illuminées jour et nuit. L'Amérique, ce sont aussi de nombreux villages, une immensité de villes de taille réduite, abandonnées ou presque. Il ne s'y passe rien, jamais. Shadow Hills fait partie de cette catégorie. On pourrait même ajouter la crise économique à la morosité ambiante, si le sous-sol ne regorgeait pas d'une ressource précieuse, le shale, exploité sans la moindre vergogne par Will, un des enfants du coin, qui a bien grandi et semble avoir donné du travail à un peu tout le monde avec sa compagnie de forage. C'est ainsi que la famille d'Anne a pu conserver un petit lopin de terre et survivre, sans avoir à partir pour tout recommencer ailleurs. Mais la tragédie fut tout de même au rendez-vous, puisque la plus jeune sœur, Dana, a mystérieusement disparu, sans laisser de trace. Des années plus tard, rien n'a vraiment évolué. Le récit, de son côté, choisit la carte d'un dédoublement temporel dès le commencement. Dans le temps passé, Dana fait la rencontre d'un jeune garçon qui semble évanoui, et qui a son réveil ne profère pas un mot. Muet, mais pas immobile, puisque l'étrange gamin va l'entraîner dans le vaste réseau de grottes sur lequel la ville a été construite. Pour communiquer et accéder à un autre niveau de conscience, il va aussi la convaincre de ramasser et consommer des champignons hallucinogènes. Dans le temps présent,  Anne retrouve Cal, le frère de Will, de retour après une longue absence et une brouille familiale. Un retour qui correspond avec une période de grand trouble, puisqu'une épidémie vraiment singulière frappe Shadow Hills : les habitants semblent recouverts (et vomissent) d'une substance noire et visqueuse qui les étouffent… 




Passionné de comic books et auteur indépendant au plus noble sens du terme, Sean Ford en est ici à sa deuxième œuvre complète et on sent encore poindre par endroits une touche d'inexpérience ou de naïveté; mais dans le même temps, c'est ce qui fait aussi le charme de Shadow Hills. Cette capacité d'échapper à tant de choses que nous avons déjà lues, pour constituer un univers à part, dans lequel on prend beaucoup de plaisir à se glisser lentement. Les scènes les plus réussies sont celles de la contamination, cette substance noire issue d'on ne sait trop où, qui sort par les orifices et recouvre les êtres touchés. Alors, bien entendu il est question d'écologie et de la manière dont nous maltraitons la planète, notamment avec l'extraction des ressources naturelles gisant dans le sol, mais cette histoire va beaucoup plus loin. Et derrière les disparitions, derrière ce qui se joue et les destins humains pris dans la tenaille du récit, nous trouvons aussi quelque chose de plus sombre, où il est vraisemblablement question de dépression, de morts, de faire son deuil. Le dessin semble relativement simple, il ne s'attarde pas beaucoup sur les détails, notamment les anatomies qui sont parfois assez sommaires, comme de simples points pour les yeux. Mais c'est aussi la force de Shadow Hills que de se concentrer sur l'essentiel, c'est-à-dire raconter une histoire,, plutôt que de tenter de d'épater avec des planches spectaculaires pour masquer l'absence de fonds. On pourra être étonné par la solution choisie de recourir à des champignons hallucinogènes comme moyen de faire progresser et même aboutir l'histoire. Mais là encore, c'est ce qui fait la particularité de cet ouvrage : être capable d'aller là où on ne l'attend pas, pour nous amener sur des pistes clairement non balisées, où on respire encore la bande dessinée autonome et qui existe en dehors des clous. Rien que pour ça, je vous recommande de découvrir Shadow Hills, paru dans un élégant format carré, chez Delcourt.



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