Le Batman que nous présente ici Tom King est encore inexpérimenté; autrement dit, il sous-estime un adversaire qu'il ne connaît pas vraiment et ce dernier est en mesure de le défaire, voire même aurait pu l'éliminer une bonne fois pour toutes s'il l'avait souhaité. Et c'est là que nous nous connectons de manière encore plus évidente à la célèbre histoire The Killing Joke. Batman peut-il fonctionner sans le Joker et vice-versa, ne sont-ils que les deux face de la même pièce, l'un ne pouvant exister sans l'autre ? Alan Moore avait choisi de réunir les deux antagonistes dans un éclat de rire général, aussi sinistre que déroutant. Ici, l'audace est encore plus forte, voire dérangeante, puisque le rire de Batman parvient même à désarçonner le Joker, qui ne comprend pas que son ennemi puisse se permettre d'employer les mêmes méthodes, qu'il recourt à la blague (forcée) et quitte le chemin de la raison. Aux yeux du Joker, ce Batman là est dingue et aux yeux du lecteur, il ne l'est pas moins ! En fait, c'est même un Batman qui sort des rails et qui semble avoir un très gros problème de développement personnel que nous découvrons dans les dernières pages de The winning card : de quoi laisser perplexes les lecteurs, ou en tous les cas ouvrir le débat sur cette dualité entre deux personnages que tout oppose mais qui finissent à immanquablement par se courir après, l'un l'autre. On trouve aussi une belle démonstration de virilité caricaturale dans cet ouvrage, avec des personnages qui choisissent, pour montrer à quel point ce sont eux les "hommes de Gotham, d'attirer le Joker dans leurs filets, simplement en le provoquant, limite dans l'espoir de susciter une compétition pour voir celui qui a la plus grosse ! Bruce Wayne ne prend pas cela très au sérieux mais l'espèce de milliardaire obtus qu'il fréquente se laisse prendre au jeu, à son grand dam. King fonctionne toujours selon ses bonnes vieilles recettes et il peut irriter par sa narration saccadée, son emploi de vignettes uniquement consacrées à du texte, qui se répètent, le gaufrier qui revient encore et encore pour ne plus dire grand chose, mais au final, il a au moins le mérite d'écrire une histoire qui jette un bon caillou dans la mare. Côté dessins, le compère Mitch Gerads est irréprochable et toujours aussi chirurgical lorsqu'il s'agit de mettre en scène le côté glauque de nos héros. Artistiquement, il n'y a rien à redire, mais comment être objectif puisqu'il s'agit d'un des dessinateurs que je préfère actuellement ! Un album assez court qui divisera probablement beaucoup de lecteurs mais qui ne laissera pas insensible.
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