On ne pourra pas nous reprocher d'être des pessimistes convaincus; c'est ainsi que nous allons aborder avec entrain et clémence la critique de Ant-Man et la Guêpe : Quantumania. Parce qu'il y a du positif à retirer dans le film ? Oui, ça peut sembler audacieux, mais je vous assure, on peut tout de même trouver quelque chose, en grattant un peu. Tout d'abord, il convient de considérer qu'il s'agit du lancement officiel de la phase 5 de l'univers Marvel cinématographique, aussi il était capital de proposer un nouveau super vilain imposant, destiné à incarner le fil rouge conducteur des prochains longs-métrages. Et là, très bonne pioche, puisque ce Kang (en partie apprécié dans la série Loki, mais je gardais des réserves) est beaucoup plus menaçant, dramatique, hautain et puissant au cinéma. Jonathan Majors a achevé de nous convaincre durant ces deux heures où il est véritablement la star d'un scénario qui ose parfois flirter avec le ridicule le plus absolu. Est-ce bien surprenant, si on considère que Jeff Loveness (Rick & Morty) fait partie de ceux qui ont écrit ce Quantumania ? Il fallait s'attendre à quelque chose d'impertinent, qui vient titiller l'absurde, qui n'a pas peur de se prendre les pieds dans le tapis en regardant ouvertement et crânement du côté du mauvais goût. Par exemple, Modok, dont les origines totalement retravaillées et les apparitions lunaires oscillent entre le coup de génie second degré et le foutage de gueule généralisé. Un autre point positif du film est qu'il ne nécessite pas forcément d'avoir vu tout ce qui a été fait avant pour en profiter. Certes, le spectateur entré par hasard dans la salle appréciera probablement moins les interactions familiales qui se sont instaurées entre les différents personnages; néanmoins, il n'est pas bien difficile de comprendre qui est qui et qui fait quoi, le film ne proposant aucune profondeur introspective particulière. Il commet d'ailleurs la gaffe --dès les premières minutes- d'anticiper une des révélations majeures, c'est-à-dire les rapports qui peuvent exister entre le Kang que nous avons déjà cité et Janet Van Dyne, qui a passé 30 ans dans l'univers subatomique, où le tyran temporel a été momentanément exilé. On ne perd pas non plus trop de temps pour rentrer dans le vif du sujet. Les scènes routinières et le prélude inévitable n'occupent pas trop d'espace, à peine l'occasion de faire le point, d'assister à une sorte de dîner de famille, et on plonge de suite dans ce qui va être le noyau dur du film, un univers fantasmagorique où rien ne ressemble à ce que nous connaissons, où chaque plan sera un prétexte pour convoquer des créatures monstrueuses, improbables, des décors à la croisée du surréalisme et de l'œuvre de Jack Kirby. Tout ça aurait pu être grandiose si les effets spéciaux avaient été à la hauteur, mais par moments on se rend à l'évidence, beaucoup de points sont assez bâclés et les bonnes intentions ne sont pas systématiquement transposées comme elle le devraient. On devine la panne d'inspiration, un cadre artistique bancal, le monde quantique ne sera jamais exploité comme il aurait pu et dû l'être. Voilà, ce sera tout pour ce qui nous a plu ou qui mérite notre attention dans Ant-Man et la Guêpe. Maintenant, venons-en à la partie la plus délicate, c'est-à-dire les raisons pour lesquelles, à notre avis, Quantumania ne laissera aucune trace particulière dans l'histoire du genre au cinéma.
Il faut aussi bien comprendre qu'il est inutile d'attendre d'un film des Marvel Studios ce qu'il ne sera jamais en mesure ou ne souhaitera jamais offrir. C'est un produit calibré pour le plus grand public possible avec un cahier des charges systématiquement respecté, et même si la forme peut évoluer, s'aventurer en des territoires plus ou moins inexplorés, le fond, lui, restera le même. Par exemple, les traditionnelles dynamiques familiales basées autour de la nécessité que peuvent avoir deux, voire trois générations, de renouer des liens distendus ou inexistants. C'est ici le cas avec Scott Lang qui veut rattraper le temps perdu et être un bon père pour Cassie, elle-même bien décidée à gagner son indépendance tout en acceptant son héritage familial. C'est aussi désormais la volonté de désacraliser, pour ne pas dire ridiculiser, tous les personnages et tous les événements qui ont fait la gloire de Marvel au format comic book. Depuis la disparition de Thanos, plus rien n'est pris au sérieux et là encore l'approche potache l'emporte sur l'épique et le tragique. C'est en ce sens qu'il faut voir l'apparition de Bill Murray, à qui revient un rôle totalement superficiel et inutile. Si vous effacez sa prestation de l'ensemble et que vous remontez le film avec cette petite omission, vous vous rendrez compte qu'elle n'a absolument aucun impact sur ce qui a été dit avant et ce qui est raconté après. Pour finir, un jeu d'acteur assez stéréotypé. Les mimiques, la manière d'interagir, de singer certaines réactions de base sont reproduites à l'infini, d'un film à l'autre. Que ce soit Scott Lang, Tony Stark ou Peter Parker, le principe de fond est le même : aussi intelligent et audacieux soit-il, le héros va forcément en passer par des instants "benêts" durant lesquels il assume la panoplie du clown de service. Dans Ant-Man et la Guêpe, on notera également que Michael Douglas se prête un peu trop volontiers à l'exercice et qu'au contraire Michel Pfeiffer semble quasiment en léthargie, presque un corps isolé dans le long-métrage. L'ensemble est bien trop inconséquent, c'est-à-dire que tout ce qui se déroule durant ces deux heures semble se déployer sans conviction. Dès leur arrivée dans le monde quantique, les différents personnages sont scindés en deux groupes qui vont alors devoir tenter de se réunir, avant d'affronter la grande menace finale que représente Kang. Le scénario est aussi mince que celui d'un jeu vidéo d'arcade des années 1980 ou 1990, et l'intégralité de tout ce qui est proposé à l'écran n'est pas là pour édifier un univers inédit, stratifié et fascinant, mais pour servir les pitreries de la famille Pym et de Scott Lang/Paul Rudd, qui essaie de cabotiner, même dans les pires instants. D'ailleurs, poussons le raisonnement à son paroxysme : si tous nos "héros" avaient tous fini par rester piégés à jamais dans cette réalité subatomique, tous écrabouillés, ça n'aurait certainement pas empêché l'univers Marvel de continuer à aller de l'avant. En fait, ce Quantumania n'a pas grand-chose à raconter, c'est juste un long spot publicitaire pour nous prévenir que désormais Kang le Conquérant arrive, et dans la mesure où le temps et les réalités alternatives n'ont aucun secret pour lui et qu'il existe donc une infinité de variants possibles, tout est accepté, tout est permis. Ça tombe bien parce que j'ai beaucoup de mal à me convaincre qu'un type aussi puissant que lui, aussi incontournable, rencontre autant de mal à se débarrasser d'un super-héros dont le seul talent et de rapetisser ou d'agrandir sa taille, et de parler avec des fourmis. On parlera comme toujours de suspension de l'incrédulité nécessaire pour profiter pleinement d'un spectacle comme un film basé sur des super-héros, mais que les producteurs prennent garde à ce que le public ne soit pas non plus obligé systématiquement de suspendre sa patience. La nôtre commence sérieusement à être entamée et nous ne serions pas contre l'apparition de véritables enjeux, d'une densité épique qui fait dramatiquement défaut. C'est Bob Dylan qui disait que but de l'art, c'est d'arrêter le temps. Les deux heures d'Ant-Man et la Guêpe ne vont pas vous figer dans l'extase, plutôt vous convaincre que chez Kevin Feige on préfère servir un bon plat microondé (réchauffé par Payton Reed) plutôt qu'investir dans la haute cuisine. Avec les Marvel Studios, on mange beaucoup à la cantine…