Tout commence par un cataclysme qui ravage la planète… et paradoxalement, c'est magnifique. L'enchaînement des faits qui amènent à un bouleversement radical de la vie sur Terre est absolument imparable. Au départ, un simple corps céleste apparu dans l'orbite de Pluton, à l'arrivée un phénomène qui modifiera à jamais le cours de la vie sur notre planète. Qui ne va pas disparaître complètement, mais va devoir être reformulée de fond en comble. Deux cents ans plus tard, la grande catastrophe est pratiquement devenue une légende et les nouvelles générations de survivants ont à nouveau adopté le nomadisme, tandis que les peuples se sont unis sous forme de tribus, sur la base discriminatoire de l'apparence physique (avec l'apparition de nombreux mutants par exemple). Grom, une sorte d'homme des cavernes ingénieux et très âgé a été blessé au combat; sur le point de mourir, il raconte alors à son jeune protégé, un certain Bloodstar, les épisodes saillants de sa vie aventureuse, principalement tout ce qui a bien pu lui arriver aux côtés d'un guerrier aux cheveux blonds, figure de proue d'une tribu rivale. Il s'agit en fait du père de Bloodstar, qui portait déjà ce patronyme. Cette histoire testamentaire est aussi celle d'une famille, puisque le Bloodstar fils apprend comment son père a rencontré Helva, une avenante créature, fille du chef de sa tribu (Byrdag), au départ promise au successeur (un certain Loknar) de celui qui l'a élevée, selon les coutumes locales. Loknar était aussi un des meilleurs amis de Bloodstar, mais voilà, quand l'amour s'empare des âmes, les liens les plus solides peuvent aisément être brisés. La récit devient alors une sorte de drame shakespearien où l'honneur, le devoir et les sentiments s'entremêlent, pour en fin de compte ne provoquer qu'une l'immense tragédie, sans cesse reculée, tenue à distance par de brefs moments de bonheur idyllique et sauvage, mais qui ne peuvent aboutir, en fin de parcours, à rien d'autre que la mort. C'est un peu d'ailleurs la marque des héros, métaphoriquement et concrètement. Une marque comme celle que porte les deux Bloodstar sur le front, celle d'êtres de toute manière destinés à succomber, peu importe la témérité, l'adresse où la grandeur d'âme manifestées. Succomber certes, non sans laisser une trace durable dans le cœur et les esprits des hommes vaillants.
Bloodstar est librement adapté d'une nouvelle (The Valley of the Worm) d'un des grands maîtres de la littérature fantasy moderne, Robert E.Howard, créateur d'univers et de personnages intemporels comme bien peu ont su le faire. Cela fait quarante ans que nous attendions une réédition à la hauteur de ce monument, qui fut initialement proposé par les Humanos, au début des années 1980, dans une version mise en couleurs, certes très agréable à l'œil, mais qui avait tendance à phagocyter la pureté du trait originel de Corben. Ici, la qualité du papier employé par Delirium, la reconstruction patiente et magistrale du matériel de départ grâce à José Villarrubia, permettent la présentation d'un objet d'art de toute première importance, magnifié par un noir et blanc et des tons de gris saisissants. Le héros de Corben est un paria chassé par les siens, contraint à une lutte quotidienne pour assurer sa simple survie, mais aussi celle de la femme qu'il aime et du compagnon fidèle qui a choisi de le suivre. Des textes en prose récurrents et élégants, jamais fastidieux, côtoient des pages sublimes qui mettent en scène des personnages au physique sculptural, et dont la chair semble vibrer de vie, aussi bien quand il s'agit des anatomies masculines très musculeuses que des rondeurs délicieuses et callipyges d'Helva, beauté fatale et naturelle. Même le décor, les objets, sont traités avec un soin minutieux. Les ombres enrichissent non seulement l'atmosphère selon les situations, mais elles permettent aussi de donner à chaque vignette le juste poids, une profondeur de champ parfois spectrale, font planer comme une chappe funeste ou poétique, suivant les phases du récit. D'emblée, le lecteur sait que le destin qui attend Bloodstar père ne sera pas immédiatement tragique, puisque c'est avec sa descendance que s'ouvre cette histoire. Qui est loin d'être le parcours d'un simple barbare dont les muscles se mettent au service d'une cause belliqueuse; on y découvre la grandeur d'âme, le sens des responsabilités, ce que signifie fonder une famille. Le tout magnifié par le regard de Richard Corben, un artiste absolument exceptionnel, régulièrement à l'honneur chez Delirium, ici auteur d'une de ses œuvres les plus abouties. L'année des nouveautés est sur le point de s'achever, puisque vous le savez, la seconde partie du mois de décembre ne présente que bien peu de sorties. Nous sommes donc pratiquement arrivés au terme de tout ce qui a été présenté durant l'année 2022 et ce Bloodstar vient s'installer de droit dans le top 5 des albums apparus ces mois derniers. Il est fort probable qu'il soit mentionné à de nombreuses reprises, dans le palmarès de beaucoup d'observateurs.