Réapparition dans un splendide écrin, chez Panini, de l'un des albums les plus "adultes" et qualitativement intéressants de ces dix quinze dernières années, pour ce qui est de l'univers des mutants. Magneto, incarné avec brio au cinéma par Michael Fassbender, est la figure centrale d'un récit qui revient sur les origines de cet anti-héros, en plongeant dans les méandres du drame de l'Histoire avec une majuscule. Le coup de génie de Chris Claremont, avec le personnage de Magneto, fut de donner une épaisseur, une profondeur inattendue à l’homme, plus qu’au criminel. Derrière le masque du terroriste réside ainsi un être meurtri par l’histoire. Erik Lehnserr est un rescapé des camps de la mort, et il a vécu les pogroms, la chasse et l’élimination systématique des juifs par les nazis, ce qui lui a coûté sa famille et une bonne partie de son humanité. En tant que mutant, il s’est juré de protéger les siens, et de leur éviter un destin semblable. Et comme pour lui il n’existe pas de meilleure défense que l’attaque, il prend alors l’initiative en faisant régner la terreur, dès ses premières apparitions dans la série Uncanny X-men . Nous retrouvons Magneto, qui entre temps a vu ses mobiles et sa psychologie maintes fois retouchés en quarante ans de carrière (il a même guidé momentanément les X-men !), dans cette aventure controversée, qui abandonne clairement l'habituelle sarabande des super pouvoirs. Ici, rien de toute cette fantasmagorie, juste l'horreur. On a droit pour le coup à des supers méchants en uniformes (les allemands) et des victimes désignées qui luttent pour leur survie, partagées entre un besoin et une envie de fuite, et une résistance acharnée et pratiquement utopique. Encore une œuvre autour de la Shoah, s’exclameront les lecteurs blasés, après le Maus de Spiegelman, La vita è bella de Roberto Benigni ou le récent documentaire colorisé, Apocalypse diffusé sur France 2 (entres autres, la liste serait longue comme un bras)! Et bien oui, encore une, qui forcément, puisque qu’elle colle véritablement à la réalité historique, n’apporte guère de nouvelles révélations sur cette sombre période de l’Histoire, mais qui touche au but par la justesse du ton et l’émouvante sincérité du récit.
Là où Spiegelman utilise des souris et des chats, Di Giandomenico, un italien aussi sympathique que prolifique, déjà vu et apprécié sur de multiples séries Marvel ou encore chez Dc avec Flash ou Batman (et auteur d'un magnifique récit qui fait se télescoper comicbook et jazz, dans Leone, encore en attente de traduction vf), mise sur le réalisme de planches soignées et puissantes, jusque dans le regard effaré, indigné, désespéré, des différents personnages qui traversent un album fort différent des autres déjà publiés et mettant en scène les X-Men, ou les mutants, même si ces derniers sont depuis toujours le miroir offert à toutes les formes d'exclusion ou d'ostracisme qui caractérisent la folie humaine. De ci de là sont disséminés des indices sur les futurs pouvoirs de Magneto, mais jamais il ne peut les utiliser pour aider les siens, même quand on peut supposer que ce serait enfin le moment (juste avant la fusillade de ses parents, ou lors d'un lancer de javelot qui laisse planer le doute... ); c’est l’impuissance d’un jeune adolescent face à une tragédie absurde qui répond à nos attentes de lectures super héroïques. Un coup de chapeau à Greg Pack pour ce récit mature et rondement mené (de sa part c’est assez surprenant pour être noté) que vous pouvez vous procurer en toute tranquillité, si vous ne l'avez pas déjà fait, depuis sa sortie : du bel ouvrage, dans un format inhabituel et qui magnifie l'ouvrage de Carmine, et une piqûre de rappel salutaire en ces temps où le révisionnisme décomplexé de certains donne froid dans le dos.
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