Il arrive parfois que certains éditeurs ratent le coche. Ils reçoivent de bonnes histoires, une opportunité de présenter une série de qualité, susceptibles d'être un vrai succès dans le temps. Mais voilà, comme au tennis en final d'un tournoi du grand chelem, le bras peut devenir lourd, face à la pression. En l'occurrence, la pression des associations chrétiennes intégristes, d'un certain lectorat "bien pensant" qui a réagi épidermiquement dès l'annonce du projet de Second Coming (le titre Vo) initialement présenté par DC Comics. Oui, cela peut sembler incroyable qu'en 2021 ce genre d'histoire puisse effrayer, faire s'insurger, autant de personnes à la fois, mais toujours est-il que Mark Russell a du changer son fusil d'épaule, et s'en aller publier son récit ailleurs, chez Ahoy Comics. L'ignorance crasse. Et pourquoi donc? Car l'ouvrage (une mini série en six volets, une seconde est déjà en cours) met en scène Jesus-Christ, fils de Dieu, de retour parmi l'humanité. La première fois qu'il était descendu des cieux, c'était pour "réparer" les erreurs de son père, et remettre l'Homme dans le droit chemin. Nous savons tous comment ça c'est (mal) terminé, sur une croix. Depuis Jésus n'a pas eu l'occasion de se tenir au courant des événements, presque par punition; car Dieu est déçu d'avoir un fils aussi peu enclin à se faire respecter, à savoir hausser le ton quand les conditions le requièrent. Le pardon, tendre l'autre joue, ce n'était pas la manière rêvée, pour s'attirer les grâces de ce géniteur farceur et désabusé, qui n'a guère d'illusions sur sa création (il regrette d'ailleurs d'avoir utilisé l'Adn des primates, n'en déplaise à celles et ceux pour qui Darwin n'est qu'un imposteur). 2000 ans plus tard donc, tout est appelé à changer. Jésus revient (parmi les siens?) et il va avoir un exemple à suivre, un modèle lui permettant de se réajuster à l'époque en cours, d'en comprendre les enjeux, et le modus operandi nécessaire pour survivre en société. Ce sera son colocataire, qui n'est pas n'importe qui, mais bel et bien Superm... euh pardon, Sunstar, le plus grand super-héros de l'univers pensé par Mark Russell. Les pouvoirs sont plus ou moins les mêmes, mais pas la vie quotidienne. Sunstar est plus violent, expéditif, et son couple est voué à une union stérile; impossible d'avoir un enfant, même par adoption. On ne peut pas sauver le monde en douce, avoir une identité de policier le jour, et être ponctuel aux rendez-vous les plus importants. Sunstar et Jésus, une doublette inattendue, et qui fonctionne, d'une certaine façon.
Le reproche le plus fréquent que j'ai pu constaté, en ce qui concerne ce Retour du Messie, serait de ne pas oser aller aussi loin que possible dans la manière de désacraliser le texte biblique, de ne pas profiter pleinement du potentiel religieux pour en donner un aperçu décapant et approfondi. Mais est-ce bien l'ambition de Mark Russell? Le premier épisode revient avec sagacité sur les contradictions du christianisme, le message de Jésus, les ambitions du plan supposé de dieu, envers sa création, les hommes. Mais la suite est aussi un comic boook d'aventure, drôle et mordant, pas une leçon théologique assénée sans grâce. On finit d'ailleurs par ne pas comprendre ces fondamentalistes qui n'ont de toutes façons pas lu l'ouvrage, car le Christ y est présenté sous un jour plutôt flatteur. Certes, le scénariste le brocarde à plusieurs endroits, et on peut trouver son comportement un peu naïf, mais au final, sommes-nous si loin du message des Evangiles? Jésus n'arrête pas des criminels que Sunstar a mis en fuite, au contraire il soigne leurs blessures et les laisse partir. Il finit par goûter au cachot de la ville, car incapable de se départir de son message de paix et de tolérance, même face aux nazillons qui le provoquent. Ou encore, et c'est le point crucial, il refuse de recourir aux "miracles faciles" pour convaincre ses nouveaux fidèles, mais insiste sur l'importance d'ouvrir son cœur, sans contrepartie évidente. Ce Jésus là est éminemment révolutionnaire, car notre monde n'a guère changé depuis sa "première apparition". Nous continuons à nous nourrir de notre nature avide, cupide et violente, et un message de paix et d'amour universel reste inaudible, ou source de tant de quiproquos que cette histoire en est amusante par essence, car jouant sur l'infinie distance qui sépare les textes sacrés de la façon dont on les a traduits/trahis , et notre existence présente où tout n'est que compétition et course en avant. Le dessin est lui partagé entre Leonard Kirk et Richard Pace, dès lors que les séquences à représenter sont axées sur l'histoire proprement dite, ou que ce soit le religieux qui prime. Globalement ils sont de bonne facture, et collent particulièrement bien à l'ambiance de ce titre, qui aurait pu tomber dans la facilité de "l'indie comic" et proposer des planches un peu plus indigentes ou hermétiques. Ici personne ne se sent perdu ou lésé, et le plaisir de lecture est évident. Et si finalement les seuls à rester sur leur faim étaient ceux qui espéraient trouver dans ces pages une critique au napalm du fait religieux, du christianisme? Mark Russell a visiblement d'autres ambitions. Proposer une histoire qui tient debout, qui fait réellement sourire, et qui possède un vrai fond intéressant, ce qui confirme qu'un doute sincère, même sarcastique, caustique, vaut mieux qu'un dogme tout prêt, que ce soit celui du croyant aveuglé ou de l'athée qui veut absolument en découdre. Ici la liberté de créer, de raconter, emporte l'adhésion sur tout le reste.
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