THE WALKING DEAD : ANATOMIE DU SUCCES DES ZOMBIES

On peut se poser légitimement la question : comment expliquer le succès planétaire de la série The Walking Dead, que ce soit d'ailleurs au format papier ou pour la série télévisée, même si cette dernière est actuellement l'objet de critiques en partie fondées? Et plus largement, pourquoi cet engouement pour les zombies? Bien entendu les qualités artistiques du scénario de Robert Kirkman et le talent du dessinateur Charlie Adlard, avec son trait incisif et essentiel, contribuent énormément à ce triomphe, mais la raison principale est probablement ailleurs. Dans ce que ce titre apocalyptique sous-entend, dans ce qu'il représente pour l'inconscient collectif. Au-delà de la simple chasse aux zombies, qui parcourent toute l'œuvre, c'est l'humanité toute entière qui est interrogée dans The Walking Dead. Le mythe du bon sauvage est réduit à néant, et nous nous rendons compte que lorsque la civilisation s'effondre et que tout semble perdu (c'est cela qui est formidable) tout est également à reconstruire et devient propice à une renaissance inespérée. L'être humain est le principal prédateur pour lui-même; il est fascinant de voir que si aujourd'hui nous vivons dans une société extrêmement policée, The Walking Dead replonge ses personnages dans une sorte de Far West crépusculaire, où la loi du plus fort, du plus audacieux, prime sur le plus faible, qui doit se soumettre aux chefs de la meute. Il y a presque une exaltation du mal alpha, celui qui va conduire le troupeau et le faire paître en toute sécurité. Cela explique l'apparition de leaders charismatiques comme Rick, Negan ou le Gouverneur, les deux derniers étant pourtant de véritables ordures, mais leur comportement, leur agressivité, leur détermination, en font des individus parfaits, dans un univers où il n'est pas possible de se cacher, mais où la pro-action est l'unique moyen de rester debout. En parallèle à tout cela, il est amusant de voir que The Walking Dead professe presque une sorte d'idéologie bucolique. L'organisation sociale ayant rendue l'âme, nous voici donc exemptés d'aller pointer au bureau ou de remplir des formulaires, pour se prendre la tête avec l'administration. Finis les gamins à emmener à la crèche où les courses au supermarché du coin, chacun se sert, fait ce qu'il veut lorsqu'il le veut, du moment que cela lui permet de rester en vie une journée de plus et qu'il en a les moyens physiques ou l'ingéniosité. Pour avoir oublié l'existence de la nature et du cours naturel des choses, l'homme doit absolument retrouver sa place et composer avec elle, pour s'assurer un lendemain bien difficile qu'il doit conquérir à la force du poignet. Les zombies sont juste là pour nous rappeler que tout ceci se fera à la sueur du front. Memento mori. 

De toutes manières, dans The Walking Dead, nous sommes tous condamnés : l'épidémie a déjà vaincu, il suffit de mourir pour être transformé en zombie, autrement dit tout le monde est déjà atteint. Ce n'est qu'une question de temps, à savoir l'instant où nous mourrons pour devenir un mort-vivant, à moins que quelqu'un quelque part ne découvre un remède au virus latent en chaque individu. Mais la force de Walking Dead c'est de présenter des situations qui restent emprisonnées dans une sorte de bulle géographique ou spatio-temporelle; ce qui se passe à l'extérieur ne nous atteint pas, nous n'en savons jamais rien et il faut accepter tacitement l'idée que la pandémie est généralisée, que c'est la planète qui est condamnée et périclite. The Walking Dead brise l'aliénation moderne : plus de voiture, plus d'avion, plus d'êtres humains enchaînés à la surconsommation, au crédit, à la production et au chômage, on retrouve le goût de planter des fruits et des fleurs, le labeur musculaire, le besoin de penser à soi et aux autres en termes d'immédiateté et d'efficacité, mettant de côté toute idée de productivité effrénée et de spéculation à l'échelle mondiale. L'argent perd tout à coup son rôle, le troc devient bien plus important que des billets de banque, une paire de biceps entraînés vaudra cent mille fois plus qu'une carte de crédit Platinum gold. The Walking Dead c'est aussi l'aveu que nous nous sommes fourvoyés collectivement. Le jour où tout notre système s'effondre, nous sommes obligés de nous recentrer sur les fondamentaux , de retrouver ce qui est essentiel pour assurer notre survie en tant qu'espèce, de mettre de côté le superflu qui nous a étouffé durant des décennies, pour se concentrer sur ce qui nous est vital. Les zombies menacent tout autour, pas très rapides et pas très malins, comme autant de présences spectrales qui obligent les personnages à révéler ce et ceux qu'ils sont vraiment au fond d'eux-mêmes. Les masques tombent un à un, l'hypocrisie est piétiné par l'exigence de rester en vie un jour de plus, et chacun est obligé d'abattre ses cartes sur la table. L'être humain dépouillé de son apparat social, démaquillé et mis à nu, n'a jamais été aussi proche de la création originelle que depuis que Kirkman lui a mis tous ces "rôdeurs" aux trousses. Le scénariste a inventé un Eden peuplé de revenants affamés, ce faisant il est peut-être aussi en train d'écrire en filigrane une nouvelle genèse, un autre monde, le nôtre nous ayant apparemment bien fatigué. Peut-être est-ce là que réside la fascination pour l'univers de The Walking Dead : l'idylle du cauchemar, mourir pour avoir une chance de renaître, la possibilité pour les plus faibles, les moins nantis, de croquer la pomme des plus riches, guidé par l'appétit féroce de la revanche sociale. Les invisibles, les laissés pour compte (laissés pour morts) qui se rappellent au bons souvenirs de celles et ceux qui ne les voyaient plus. 


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