Vous connaissez peut-être Dan Panosian; c'est un artiste américain qui ces temps derniers a fait beaucoup parler de lui et dont le style à la fois réaliste, âpre et personnel fait partie de ce que j'aime le plus retrouver, quand je feuillette un album. Du coup, sur la simple foi de sa présence, je souhaitais absolument me procurer Le calcul du papillon, un autre des albums de la série des futurs de Liu Cixin : là encore, c'est la science qui est au cœur du récit. Le personnage principal s'appelle Alexsander et nous le retrouvons en Serbie, alors que son pays subit les bombardements de l'OTAN. Nous sommes en pleine guerre des Balkans et le scientifique a peut-être trouvé une idée aussi fabuleuse que potentiellement improbable pour protéger les siens. En fait, sa spécialisation est la mise au point d'une modélisation mathématique qui lui permettrait de déterminer des coordonnées terrestres à partir desquelles provoquer un micro événement climatique, dont les effets se répercuteraient à travers toute la planète, au point de bouleverser, à des milliers de kilomètres de là et cette fois sur grande échelle, le climat d'autres contrées. Le but serait d'instaurer au-dessus de Belgrade un épée brouillard qui empêcherait les bombardements futurs, pendant plusieurs semaines. En parallèle, Alexsander a une fille gravement malade qui a reçu une greffe de rein de sa propre mère, qui lui a donc sauvé la vie. Mais l'organe est susceptible d'être rejeté par son organisme fragile et la situation est toujours extrêmement précaire. Le père se doit néanmoins de partir, de déployer ses ailes tel un papillon, à la recherche des différents points sur le globe à partir desquels éprouver sa théorie. Un collègue disposant d'un super calculateur le guide et lui transmet à chaque fois des coordonnées. Pour autant, s'agit-il d'un doux rêve, d'une manipulation ou d'une réalité que personne n'accepte de voir en face ? Le calcul du papillon est un album assez touchant car il met en lumière à la fois les petits faits du quotidien, qui s'insèrent dans les grandes tragédies universelles. L'ensemble fonctionne bien grâce à cet écart qui produit du pathos, sans pour autant exagérer. Alexsander est loin des siens, dans l'espoir d'éviter une catastrophe à tout le monde, mais cela signifie probablement qu'il enclenchera par excès de bonne volonté une catastrophe bien plus petite et intime, mais terrible pour lui-même. Pratiquement, un sacrifice, le tout dans un climat de science-fiction sociale et politique magnifié (donc, je le répète) par un Dan Panosian qui ne trahit jamais. Probablement un des albums les plus intéressants de cette série de récits indépendants que propose Delcourt.
Nous sommes tout de même moins convaincus par l'album précédent, Au-delà des montagnes. Feng est un ancien alpiniste qui a consacré sa vie à sa passion, gravir les plus hautes cimes du monde. Toutefois, nous le retrouvons dès la première page en train de flotter dans l'océan, vraisemblablement destiné à une mort inéluctable. Petit à petit, son histoire se déploie devant nous. Premier de cordée lors d'une tempête sur l'Everest, il a été obligé de rompre les liens qui l'unissaient avec ses compagnons et donc de les sacrifier. Certes, c'est ce que dictent les lois de la survie en haute montagne, dans une telle situation. Mais le sentiment de culpabilité est tel que Feng décide de se priver à jamais des hauts sommets. Il s'embarque donc à bord d'un navire scientifique et c'est là qu'il va se retrouver impliqué dans une étrange histoire : un vaisseau extraterrestre géant en orbite autour de la Terre menace irrémédiablement les forces de gravité qui régissent la vie sur la planète. Une colonne d'eau gigantesque s'élève vers le ciel et Feng va devoir la gravir pour aller rencontrer les nouveaux arrivants, comprendre qui ils sont et au passage - juste par la grâce du verbe - probablement sauver la Terre. Le problème avec la manière dont Eduard Torrents raconte cette histoire, c'est le verbiage scientifique omniprésent, notamment lorsque les extra-terrestres racontent la façon dont leur civilisation a progressé. Il y a certes un côté fascinant mais asséné de la sorte, ça en devient très vite soporifique. Les dessins de Ruben Pellejero sont réellement élégants, avec beaucoup de souplesse, mais la colorisation un peu froide ne fait que renforcer par moments l'impression désincarnée qui empêche de profiter pleinement de cette bande dessinée trop ambitieuse.
Liu Cixin est l'écrivain de science-fiction le plus populaire en Chine. Diplômé de North China University of Water Conservancy and Electric Power (Université de la conservation de l'eau et de l'énergie électrique de la Chine du Nord) en 1988, il a travaillé comme ingénieur dans une centrale électrique à Yangquan, dans la province du Shanxi. Cixin Liu a gagné neuf fois le Science Fiction Galaxy Award Chinois (prix le plus prestigieux dédié au genre) et une fois le prix Xingyun (nébuleuse), pour plusieurs de ses œuvres de fiction. Il est aussi reconnu comme étant le premier auteur chinois du genre cyberpunk avec la publication du roman "Chine 2185" en 1989. Son roman "Le problème à trois corps", (traduit en anglais sous le titre "Three-Body Problem") est le premier tome d'une trilogie. Paru en épisodes dans le magazine Science Fiction World en 2006, il fut publié intégralement en 2008 et devint l'un des plus populaires romans de science-fiction en Chine. Il a obtenu le Science Fiction Galaxy Award Chinois en 2006. Il a été nommé pour le prix Nebula du meilleur roman 2014 et a obtenu le prix Hugo du meilleur roman 2015. Il est ainsi le premier Chinois récompensé par un prix Hugo. "La forêt sombre", le deuxième tome, est paru en 2008. "La mort immortelle" (2010) est le troisième tome de la trilogie. Il a obtenu le prix Locus du meilleur roman de science-fiction 2017. L’œuvre connaît un gigantesque succès dans son pays, au point de toujours se classer parmi les meilleures ventes d’ouvrages en librairies comme sur support numérique. Ses ouvrages sont traduits en français par Gwennaël Gaffric.