Beaucoup d'entre vous s'étonneront de trouver sur le blog UniversComics un article consacré au biopic de Christopher Nolan, Oppenheimer, qui est dédié au célèbre physicien en charge du projet Manhattan, durant la Seconde Guerre Mondiale. Pour autant, le sujet me semble correspondre à une des grandes obsessions scientifiques et sociales qui sont à la base d'une grande partie de l'histoire des comic books modernes de super-héros. On a très souvent dit que le genre nait avec le conflit contre l'Allemagne nazie, mais la nature même des pouvoirs de la plupart des personnages va être très rapidement inspirée par les progrès scientifiques… et la peur générée à l'issue de la découverte de la fission de l'atome. On pourrait parler des X-Men bien entendu; ils sont une conséquence directe du phénomène. Mais aussi de Bruce Banner alias Hulk, d'une litanie impressionnante de monstres ou de redresseurs de torts tels Spider-Man (l'araignée qui l'a mordu était radioactive au départ) ou les Quatre Fantastiques (les rayons cosmiques qui en l'état n'existent pas, fonctionnent de la même manière que les radiations, après un champignon atomique). De plus, le film est traversé par une autre obsession typiquement américaine du 20e siècle, la méfiance face à la montée du communisme et de Staline en Russie : à tel point que même si les deux nations sont alliées contre l'Allemagne nazie, en réalité le gouvernement américain semble bien plus préoccupé par la rivalité avec les soviétiques. Le moindre soupçon, la moindre sympathie affichée ou supposée avec le bloc de l'Est valait une condamnation quasi immédiate et la mise au ban, notamment dans les années 1950, avec la folie délirante du Maccarthysme dont Oppenheimer sera victime, après avoir donné l'arme ultime à l'Amérique. Tout ceci également est fort présent dans les comics des années 1960, avec un ennemi qui est systématiquement communiste, systématiquement caricaturé et présenté de manière sournoise, à tel point qu'aujourd'hui il est presque risible de reprendre en main certaines histoires d'Iron Man par exemple, où le discours est simplifié à l'extrême et où l'ennemi vient régulièrement d'Union Soviétique, de Chine ou d'autres pays satellites.
Concernant le film en soir, et bien… Pour obtenir la fission de l'atome, les scientifiques ont utilisé un bombardement de neutrons. Sur le même ordre d'idée, Nolan décide de bombarder le spectateur d'un flot ininterrompu de paroles, de plans et d'informations, pour faire aboutir son Oppenheimer, biopic de celui qu'on surnomme le père de la bombe atomique. L'histoire est finalement assez linéaire. De jeune prodige de la science quantique aux velléités un peu trop communistes pour être honnêtes, à superviseur du projet Manhattan pour que l'Amérique se dote de la première bombe atomique et devance ainsi les nazis, à l'air du Maccarthysme et de la remise en question doctrinale. L'idée puis la fabrication et l'obtention de l'arme absolue, couplées à un discours éthique et un regard scrutateur sur celui qui a initié et régulé le mouvement, voilà le résumé de trois heures qui peuvent paraître longues, si vous vous attendez à une quelconque spectacularisation des événements. La bande son est partie intégrale du projet, tandis que les acteurs (une pléthore de professionnels de haut vol, guidés par un Cillian Murphy absolument parfait et criant de vérité) sont tous irréprochables. Loin de moi la volonté de dire que le film est un chef-d'œuvre intemporel et qu'il mérite les épithètes vertigineux qui ont accompagné son arrivée, mais c'est clairement un Nolan abouti et soigné, de l'image à sa construction, qui parvient à faire pardonner son temps faible (la dernière demi-heure) par un ultime retournement de point de vue magistralement orchestré. La même arme qui a vraisemblablement empêché la fin de l'humanité durant la guerre froide (et dieu sait si nous avons été à deux doigts d'y basculer) est aussi celle qui nous garantit potentiellement l'anéantissement un jour prochain. Une terrible dualité qui est également celle qui habite Oppenheimer, de la première à la dernière minute d'un film très maîtrisé.
Et en période de canicule, trois heures avec la climatisation, ça donne à réfléchir.