Il s'appelle Edward Nashton et il est appelé à devenir un des criminels les plus redoutables de Gotham, comme vous avez pu le découvrir sur grand écran, dans le film The Batman de Matt Reeves. Il s'agit en fait d'une réécriture quasi complète du personnage du Riddler (le Sphinx en VF), c'est-à-dire ce dingo costumé, fan de devinettes avec un feutre mou, une canne et une veste verte couverte de points d'interrogation. La récente version cinématographique en a fait un adversaire beaucoup plus sombre et moderne, une sorte d'architecte machiavélique capable d'interpréter et d'exploiter les failles d'une société en phase terminale. Année Un tente d'expliquer de quelle manière un garçon totalement anonyme et orphelin peut devenir ce genre de menace. Dès le titre, nous comprenons que nous allons avoir droit aux origines, à la période de formation d'un des personnages majeurs de l'univers de Batman. Le scénariste Paul Dano est aussi celui qui interprète le roi de la devinette sur grand écran; il maîtrise donc les codes et les intentions et poursuit un travail initié au cinéma avec une mini série publiée sur le Black Label. Ce qui prédomine au départ, c'est un sentiment d'abandon, de laisser pour compte : Edward a une psyché fragile, il travaille comme expert-comptable dans une entreprise qui distribue des fonds pour aider la ville à lancer de nouveaux projets, il est brillant, capable de réaliser des opérations financières à la vitesse de l'éclair, mais il est aussi la risée de ses collègues et ne jouit d'aucune considération de la part de ses supérieurs. Même lorsqu'il découvre que des sommes d'argent aussi irrégulières que douteuses sont régulièrement émises et perçues en fin de mois, par ses employeurs et plusieurs "clients". Ses efforts ne servent à rien. Peu à peu, il va toutefois tenter de sortir de l'ombre en essayant de comprendre par lui-même ce qui est en train de se jouer… et ce qu'il va découvrir ne va que renforcer cette idée d'habiter un monde qui ressemble à un vaste cloaque, où les trahisons, les meurtres, l'argent facile semblent faire loi et où ce sont ceux qui ne respectent pas les règles ou qui dictent les leurs qui au final empochent le magot. Silencieux, totalement en dessous des radars, il observe, enregistre et commence peu à peu à évoluer vers quelque chose d'autre, d'autant plus qu'il croise aussi le parcours d'un homme étrange et violent qui rend la justice chaque nuit, dans un costume de chauve-souris.
C'est donc le récit d'une transformation que nous propose Paul Dano. Une nouvelle vie basée sur une immense frustration, l'impression de ne servir à rien, d'être terrassé par la douleur, qui tout à coup vous assaille. La rage vous submerge, les mensonges, l'argent facile, la criminalité deviennent un quotidien qui vous éveille à une autre existence parallèle. Le Sphinx apprend ce qu'il a vraiment en lui, tandis que Batman ressemble presque au défenseur de l'ordre établi : à défaut que ce soit l'état qui punisse les criminels, c'est Batman qui s'arroge cette prérogative. Et par criminels, il faut entendre ceux dont les agissements vont contre les codes édictés par la société, société dont finalement la famille Wayne est un des représentants les plus éminents et qui en profite le plus. Le dessin est de Steven Subic, qui fait un remarquable travail, pour peu que vous soyez sensible à un style graphique allant de Bill Sienkiewicz à Martin Simmonds (et Giulio Rincione !) sans oublier une composition des planches qui part endroits rappelle celles de Andrea Sorrentino ou même David Mack. La technique est plurielle; l'encrage par exemple est fait dans un premier temps manuellement et c'est ensuite le digital qui prend le relais, dans les dernières pages. La manière de faire accompagne donc la transformation d'un personnage, qui nous est racontée à la première personne, comme une plongée immersive dans la folie ou en tous les cas dans la perte complète de repère. Chacun des épisodes possède sa particularité; il y en a un qui est entièrement basé sur du texte, des notes prises sur des bulletins de facturation, avec des schémas, des gribouillages et des références à Batman, qui reste dans l'ombre une figure saisissante, intrigante, inspirante pour Edward. Un autre épisode nous présente la jeunesse du futur Riddler et de tout ce qu'il a dû endurer à l'orphelinat. C'est là qu'on découvre également sa fascination pour le père de Bruce, Thomas Wayne, qui ne tardera pas à être assassiné, comme vous le savez. Une narration fragmentée qui est quasiment un passage obligé, aujourd'hui, un des gimmicks d'écriture de quasiment tous les scénaristes de ce type de comic book. Reste que si on trouve un petit côté prétentieux par endroits dans la manière de bâtir le récit, l'ensemble fonctionne très bien et respecte parfaitement les attentes que nous pouvions avoir pour ce type de produit. C'est-à-dire un préquel angoissant et inquiétant sur un personnage dérangeant et dérangé, avec en plus tout un lot de bonus pertinents qui font de cette édition publiée chez Urban Comics un tome de choix, que ceux qui ont aimé le film de Reeves se doivent absolument de posséder au plus vite. On y retrouve l'ambiance du long-métrage et beaucoup d'éléments pour compléter la réflexion entamée en salle.
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