Le monde de Little Monsters, c'est la désolation complète : peu importe ce qui a pu vraiment se passer, les derniers êtres vivants sur Terre sont très peu nombreux et ceux que nous suivons en particulier se cachent durant la journée. Pour cause, ce sont des vampires ! Des vampires pas tout à fait comme les autres puisque ce sont aussi des enfants, abandonnés par ceux que l'on appelle "les anciens", qui ont promis de revenir un jour, mais qui ont bel et bien disparu depuis des décennies. Les gamins forment une bande assez disparate, dans laquelle chacun possède sa propre personnalité et où l'entraide et l'amitié règnent… jusqu'au jour où quelques-uns d'entre eux enfreignent une interdiction qui leur avait été faite et goûtent le sang d'un des rares êtres humains "normaux" qui passent dans les parages. L'effet est immédiat et c'est une euphorie, une véritable transformation qui s'opère dans l'esprit de ceux qui osent. Les autres sont par contre bien décidés à ne jamais franchir le pas, d'autant plus qu'ils doivent protéger une jeune fille tout à fait humaine elle aussi, qui est bien évidemment la prochaine victime de ces vampires assoiffés, si jamais elle venait à tomber entre leurs mains. Du coup, la scission est définitive entre ceux qui décident qu'elle doit servir pour la sustentation des vampires et les autres, qui pensent qu'il faut avant tout la mettre en sûreté. Jeff Lemire fait exploser son petit microcosme, nous présente un à un le passé et les motivations de chaque personnage et déplace ses pions pour une dernière partie d'échec tragique. Cette fois, c'est vraiment la fin de tout et pour tous.
Inévitablement, quand on écrit et propose de nombreuses séries parfois en simultané, il est difficile de maintenir un niveau qualitatif proche de l'excellence. Sans être ratée (loin de là), cette série de Jeff Lemire ne possède pas le sel et l'inspiration de nombreuses autres déjà publiées à ce jour. Elle est touchante, mais la fin semble précipitée et le discours philosophique sur l'éternel recommencement peine à convaincre réellement. Dustin Nguyen réalise toutefois une très belle performance au dessin, mettant de côté les aquarelles qui l'ont rendu célèbre pour proposer des planches crépusculaire, basées sur des teintes de gris digitales, avec des visages et des expressions parfois ébauchés d'un seul trait. Une forme de minimalisme ou d'épure qui se marie parfaitement avec le climat post apocalyptique qui règne dans ces pages. Reste maintenant à évoquer le cas de la traduction française (par ailleurs de qualité). Inutile de se cacher derrière le petit doigt, l'écriture inclusive est loin d'être acceptée par tous aujourd'hui et elle fait même l'objet d'un débat très clivant. Je ne suis clairement pas favorable pour ma part à ce qu'on l'utilise, mais j'ai aussi conscience qu'il ne s'agit que d'un avis personnel, peut-être dicté par ma génération (j'approche de la cinquantaine, ok boomer) et je n'entends pas faire de mon cas une règle universelle. Cela dit, c'est une chose de l'employer dans un texte littéraire ou un courrier formel, c'en est une autre lorsqu'il s'agit de dialogues, c'est-à-dire la retranscription écrite d'un discours oral tenu par des personnages. Cela n'a donc aucun sens d'employer l'écriture inclusive pour des adolescents qui parlent entre eux (elleux). Connaissez-vous quelqu'un qui en dialoguant prononcerait les pronoms de manière à ce qu'on entende cette inclusivité dans l'écriture ? Bref, cela gâche carrément la lecture (même si ça respecte le texte original), la rend même par endroit à la limite de l'incompréhensible, d'autant plus que la relecture n'a pas empêché une coquille qui saute aux yeux.
Le tome 1 est chroniqué ici : Little Monsters 1