Parmi toutes les ambitions démesurées que l’humanité a pu nourrir depuis l’aube des temps, accéder à l’immortalité figure sans conteste parmi les plus élevées. Pourtant, une vérité implacable s’impose : nous sommes tous destinés à mourir un jour ou l’autre. L’idée d’une existence éternelle relève de l’impossible. Mais pour Ambrose Everett Hall, cet état de fait n’a jamais été acceptable. En possession d’une fortune considérable, il décide de faire ériger une immense demeure à l’architecture labyrinthique. Entre ces murs, il consacre l’essentiel de son existence à la mise au point d’une machine fascinante : le Spectregraphe. Cet appareil, en théorie du moins, fonctionne comme un gigantesque enregistreur capable de capturer et de reproduire toutes les caractéristiques d’un être humain, tant physiques que psychologiques, dans le but d’en créer une copie. L’objectif ? Concevoir une sorte d’avatar spectral destiné à hanter les lieux pour l’éternité. Toutefois, une telle ambition se heurte aux limites de la science et de la connaissance humaine. Les premiers essais sont loin d’être concluants et, au fil des ans, Ambrose ne parvient qu’à engendrer des créatures ectoplasmiques monstrueuses et désincarnées. À ses côtés, son compagnon, un certain Freddy, finit par se lasser de cette existence cloîtrée auprès d’un homme consumé par ses obsessions, qui ne comprend pas qu’en s’accrochant désespérément à l’immortalité, on passe à côté de la seule chose qui importe vraiment : vivre. Accepter la finitude de l’existence, c’est aussi embrasser la beauté de son caractère éphémère, savourer pleinement les joies passagères et même les peines qui rythment notre parcours. Bien des années plus tard, la fameuse demeure est mise en vente. C’est là que débute notre histoire. "L’héroïne", Janie Chase, une mère célibataire dont le métier consiste à vendre ce genre de propriétés, se retrouve contrainte de proposer la maison à un mystérieux acheteur. Seulement voilà : dans l’agitation de la journée, elle a oublié son petit garçon, laissé seul à la maison, attaché sur sa chaise haute. Et personne ne peut intervenir pour s’occuper de lui… Le coup de stress !
Selon Tynion IV, le scénariste de cet album "lorsque Christian et moi avons commencé à discuter d’un projet commun, je lisais des ouvrages sur le mouvement spiritualiste du XIXe siècle. Nous nous sommes alors rendu compte qu’aucun de nous n’avait jamais vraiment écrit d’histoire de maison hantée. Nous avons ainsi réfléchi à la manière de renverser les codes classiques du genre pour créer quelque chose d’étrange, de terriblement effrayant mais résolument moderne. C’est un projet dont nous parlons depuis des années, et c’est un vrai plaisir de le voir enfin prendre vie sur le papier." Tynion nous propose une vision assez sarcastique du monde de l'occultisme avec des personnages qui sont censés faire peur ou tout du moins en imposer avec leur prestance et leur apparence, mais qui en réalité sont totalement désemparés face au phénomène auquel ils souhaitaient être confrontés. Vous allez par exemple croiser la route d'une jeune gothique qui dans un premier abord semble être l'exécutrice de la volonté de l'acheteur potentiel et être de mèche avec lui ; en réalité, elle va fondre comme neige au soleil et se révéler d'une vulnérabilité extraordinaire, au point de devenir totalement dépendante des décisions de Janie. Le dessinateur, Christian Ward, est en très grande forme dans Spectregraph. "Beaucoup de mes projets naissent d’une question : ‘À quoi ressemblerait mon… ?’ Et pour celui-ci, la question était : ‘À quoi ressembleraient mes fantômes ?’ Ce projet a une dimension très cinématographique, si bien que j’ai regardé de nombreux films de Michael Mann. Mann a une façon propre d’utiliser ses décors comme des personnages à part entière, et cela m’a paru essentiel ici. Non seulement pour la maison – car après tout, il faut bien une maison pour qu’il y ait un fantôme qui la hante – mais aussi pour les villes dans lesquelles nous évoluons. Je veux que cet univers soit profondément ancré dans le réel, afin que les éléments ‘spectraux’ paraissent d’autant plus saisissants en contraste." Ward offre des planches superbe avec des contrastes très marqués et une mise en couleurs quasi lysergique, comme c'est habituellement sa marque de fabrique, dans un album ou l'aspect spectral et éthéré des apparitions est censé jouer un grand rôle dans sa réussite. Le choix de l'artiste fonctionne à merveille et il parvient à proposer une approche complètement dingue en terme d'inventivité et de la représentation de cet entre deux, un état où l'on n'est pas vraiment mort mais certainement plus vivant, pâle copie grotesque de ce que l'on fût autrefois. Très bel ouvrage qu'on recommande vivement.
UniversComics, la communauté BD comics de référence