Le récit n'est pas construit de manière linéaire, mais il va chercher des épisodes de la vie du passé de Dirt, et offre aussi une plongée dans le monde futur de 2040 post pandémie pour (dé)construire un portrait tragique. Voici alors un personnage de dessin animé qui a perdu "les siens", a connu l'oubli, refuse catégoriquement l'homologation, erre sans avoir de but défini, pour une pseudo existence qu'on devine laborieuse et pleine de souffrance. Il a perdu l'amour de sa vie, principalement, mais il a du aussi subir une sorte d'enregistrement/sérialisation des toons qui lui a coûté sa place au paradis du genre, quand il était l'image de la compagnie de cigarettes qui l'employait. Le travail de Giulio Rincione est non seulement d'une rare intelligence, mais son dessin mérite le détour. Il est très personnel, truffé de bien des détails, et chaque planche, chaque case est traitée comme si elle pouvait être considérée comme un mini tableau en soi. Un style à la limite du pictural, magnifié par des teintes sombres et une capacité évidente à faire apparaître un double monde, celui intérieur de Dirt qui se lit sur les expressions grotesques ou désemparées qu'il arbore, et celui extérieur, avec par exemple une vision convaincante d'un univers post apocalyptique qui est presque l'extension des ruines intimes de notre protagoniste. Si Shockdom France semble avoir changé d'identité et lancé l'étiquette Closure, pour ce qui sera (on l'espère) une seconde existence ponctuée de succès, l'éditeur a eu le mérite de proposer ce premier tome dans un grand format qui sert réellement le travail d'un artiste qu'il faut absolument découvrir et qui s'est investi émotionnellement dans cette aventure (lire la préface pour comprendre). Et là, c'est à vous de jouer. Il y a de la vie en dehors des super-héros et des comics plus "traditionnels" et tout un tas de bonnes raisons pour que vous donniez sa chance à ce sacré toon irascible, insupportable et vulgaire, mais touchant et fragile.
DIRT LES FILS D'EDIN : GIULIO RINCIONE AU FIRMAMENT CHEZ CLOSURE
Si le nom de Giulio Rincione n'évoque pas encore des hordes de lecteurs déchaînés en France, il est désormais solidement établi chez les amateurs de bande dessinée italienne. Un artiste au talent aussi singulier que foudroyant, qui a déjà proposé une belle brochette de romans graphiques chez Shockdom (dont il est un des auteurs de référence), et qu'on a aussi aperçu au passage sur Dylan Dog. Nous le retrouvons ce printemps en VF chez Closure, nouvelle émanation éditoriale de la branche française de Shockdom, pour un très bel ouvrage grand format. Vous vous souvenez du film Roger Rabbit et de cet univers de toons qui vivent comme nous autres les humains "classiques", qui cohabitent avec nous ? Il y a un peu de cela ici, mais dans le même temps une commixtion ambitieuse et fascinante entre notre monde et ses lois économiques et commerciales, les délires et obsessions personnelles de l'artiste, et un univers cartoony mais grinçant. Dirt, le protagoniste de cette histoire (il s'agit ici du premier tome, mais si le public français a un peu de jugeote, la suite ne tardera pas) est une sorte de nabot tout bleu, autrefois à la solde des industriels et des commerciaux de la Borrison Company Tobacco. Il peut être antipathique, arrogant, querelleur, mais surtout, c'est un personnage animé et il en a pleinement conscience. Tous ceux qui sont dans son état le savent, eux-aussi. Il faut dire qu'on a inventé un appareil révolutionnaire, le C Art One, qui permet de donner corps et vie à ces fantaisies dessinées. Du coup, les toons sont devenus nos voisins, et c'est même nous qui leur insufflons force et énergie, à travers notre admiration, notre intérêt, dont ils se nourrissent. Inversement, quand plus personne ne semble se pencher sur l'un d'entre eux, il est appelé à s'effacer. En effet, comment pourrait bien mourir un petit bonhomme artificiel, qui passe le clair de son temps à se faire débiter en petits morceaux dans des dessins animés, si ce n'est le jour où personne n'a plus envie de suivre ses aventures farfelues ? L'heure de gloire de Dirt est déjà passée. C'était alors les années 1950, une Amérique où fumer était un art de vivre, qu'on vendait aux clients en vantant les mérites et les bienfaits d'un produit qui les tuait à petit feu. Dirt était le fer de lance des publicité de la firme qui l'employait, et qui aujourd'hui n'a plus vraiment besoin de ses services.
Et pour rencontrer Giulio Rincione, rendez-vous au Play Azur Festival à Nice. Les 6 et 7 mai, l'artiste sera invité dans notre artist alley, alors n'hésitez pas une seconde !
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