ALAN MOORE LES ANNÉES 2000 AD : SKIZZ EN TERRE ÉTRANGÈRE CHEZ DELIRIUM


 La créature extraterrestre qui sera plus tard baptisée Skizz est en fait un interprète zhcchz originaire de Tau-Ceti, en route pour une banale conférence minière. Jusqu'au moment où son vaisseau s'écrase sur Terre et qu'il parvient à s'en extraire, non sans mal, avant l'autodestruction programmée de l'engin, qui ne doit en aucun cas tomber aux mains des autochtones arriérés qui peuplent notre planète. C'est que pour ces extraterrestres là, la Terre est avant tout un monde primitif, où l'espèce qui prédomine n'a rien de très engageant. Dès ses premiers contacts avec son nouvel environnement, Skizz découvre des êtres violents, prêts à se battre entre eux, qui vivent au milieu de bâtiments bizarres, voire repoussants, qui empestent le poison. Entourés de bolides hurlants qui polluent, en recrachant des fumées nauséabondes (nos voitures, quoi). C'est que nous sommes au début des années 1980, dans l'Angleterre de Thatcher, qui traverse alors une profonde crise sociale, culturelle et économique. Le crash a eu lieu aux portes de Birmingham, qui est loin d'être la ville la plus accueillante au monde, surtout à cette époque. Vous l'aurez compris, si d'un côté Alan Moore s'appuie sur un type de récit très en vogue à l'époque, celui de la créature extraterrestre échouée sur notre planète, dont elle ne connaît absolument rien et qui représente logiquement un danger pour sa propre subsistance (sans parler de l'impossibilité momentanée de retourner chez soi. E.T en est l'exemple le plus célèbre), cet album est aussi et surtout un excellent moyen d'aborder des thèmes beaucoup plus contemporains et engagés, d'offrir une vision politique et satirique d'une Angleterre populaire, malmenée mais en réalité toujours fière et prête à se sacrifier, en cas de besoin. Skizz fait partie de ces excellentes séries publiées sur la revue 2000 A.D au Royaume-Uni. Mis bout à bout, ces épisodes forment un récit complet qui préfigure ce que va devenir par la suite le scénariste, c'est-à-dire une des références absolues de la bande dessinée mondiale, capable de réaliser une synthèse admirable entre la science-fiction la plus débridée et la critique acerbe et réaliste de notre mode de vie, aussi moderne qu'ubuesque.




Skizz ressemble au croisement insolite de la science-fiction des années 1980 et d'un film des Monty Python. À de multiples reprises, l'humour joue la carte de l'absurde, du contact entre l'infiniment grand, voire l'inexprimable, et la banalité du quotidien. Lorsque l'extraterrestre arrive sur Terre, il lui faut bien entendu survivre et cela implique des détails de grande importance, comme se nourrir, affronter une éventuelle contamination, assurer sa protection. Il trouve refuge dans le garage d'une jeune adolescente de 15 ans (Roxy), naïve et idéaliste, qui va prendre soin de lui. Néanmoins, elle ne sera pas de taille face aux pouvoirs militaire et judiciaire, qui vont vite s'interposer et la priver de cet étrange invité avec qui elle avait commencé à nouer une sorte de rapport amical touchant. Elle va alors recevoir l'aide de deux autres personnages particulièrement bien écrits et caractérisés par Alan Moore. Le premier semble a priori un peu demeuré (Cornelius) mais c'est surtout une de ces victimes de la crise sociale et économique, privée de son emploi mais pas pour autant de sa fierté, comme il le rappelle tel un mantra. Le second est un jeune homme débrouillard (Loz), c'est un ami du père de Roxy et c'est lui qui fera avancer l'action, grâce à un côté pratique très utile pour libérer Skizz des griffes des militaires. Le tout est illustré par Jim Baikie, dont le trait réaliste et minutieux est magnifié par un emploi savant des contrastes, par la définition des volumes et des ombres, qui font de chaque planche une petite merveille de mise en scène. Skizz alterne avec brio les moments où l'on sourit franchement et d'autres où on s'indigne, voire on s'émeut, devant la succession des événements. On rencontre la bêtise humaine, mais aussi la solidarité et l'espoir, qui semblent être là l'apanage des couches les plus populaires, ceux qu'on a tendance à laisser sur le bas-côté, tandis que ceux qui décident, ceux qui ont le pouvoir, sont avant tout dépeints et définis par leur obtusité ou leur méchanceté. L'édition que nous propose Delirium est comme toujours impeccable, avec une qualité du papier telle que les dessins de Baikie en ressortent magnifiés, ainsi que plusieurs pages de rédactionnel qui viennent enrichir l'ensemble. On ne le répétera jamais assez mais il y avait autrefois (il y en a toujours aujourd'hui) de véritables pépites dans cette revue britannique qu'est 2000 A.D. et Alan Moore y a fait feu de tout bois pendant des années. Avec Delirium, vous avez la possibilité de récupérer peu à peu l'intégralité de cette production brillante. Alors, s'en priver serait quasiment un péché capital !
Sortie ce vendredi





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