Trop, c'est trop. Les mutants ne sont-ils pas allés trop loin ? Ils sont devenus pratiquement immortels (tant que les cinq d'entre eux qui opèrent en coulisses pour le cycle des résurrections peuvent fonctionner ensemble) et ils ont même colonisé la planète Mars, en y installant une vaste communauté répondant au nom d'Arakko, tandis que sur Terre les X-Men "traditionnels" vivent sur l'île nation de Krakoa et dament le pion aux plus grandes puissances de la planète. Une évolution si rapide, si incontrôlable, qu'elle peut être considérée comme l'œuvre de Déviants. Hors ces derniers, dans l'univers Marvel, sont des créatures engendrées à l'aube des temps par les Célestes, lors d'une de leurs visite sur Terre. Une race qui a vu le jour en même temps que celle des Eternels. Ces derniers ont comme but ultime de tenir à l'œil le processus évolutif des autres espèces (les Déviants, fort logiquement, mais aussi les hommes par la suite) et de les sanctionner (ou de les annihiler, pour être plus clair) lorsqu'elles dépassent les bornes. Hors, les mutants sont allés beaucoup trop loin, trop vite, et la faction la plus virulente, la plus proactive des Eternels, décide de mettre un terme à cette expansion contrenature. Judgment Day (le Jugement Dernier, l'heure du jugement) est le nouveau grand événement à la sauce Marvel (en Vf car la Vo est achevée depuis des semaines…) et concerne de nombreux titres de la Maison des Idées, puisque les Avengers, les X-Men et les Eternels vont entrer en collision, chacun avec des motivations et des décisions fort différentes. Kieron Gillen reçoit la lourde charge d'orchestrer ce gloubi-boulga géopolitique et super-héroïque, qui prend ses racines dans le travail qu'il a déjà accompli récemment avec Esad Ribic, et dans celui de Jonathan Hickman avec sa grande opération ambitieuse (House of X/Powers of X). Il faut juste savoir que chez les Eternels, le perfide Druig est parvenu à devenir le chef de sa race, créant ainsi une scission au sein de la société de son peuple. Il se prépare à lancer une guerre pour l'anéantissement de la nation mutante de Krakoa, et il consulte en secret son ancêtre, le dieu Uranos, qui est à lui seul une arme de destruction massive à faire passer Thanos pour un poète florentin de la Renaissance. Les mutants ignorent bien entendu ce qui se trame à leurs dépends, tandis que le généticien Monsieur Sinistre a été enlevé par l'ennemi (et ça n'est pas une bonne nouvelle, soyez-en certains). Les Avengers, eux, sont pris entre le marteau et l'enclume, mais lorsqu'un assaut foudroyant est donné aux forces du Professeur Xavier, ils décident de lui venir en aide. Pendant ce temps, que font donc les Eternels dissidents, les héros plus raisonnables, ceux que beaucoup d'entre vous ont découvert au cinéma, Ikaris en tête ? Bonne question !
Comme le veut désormais la tradition depuis que les revues kiosque d'antan ont disparu du panorama, remplacées par des softcovers à 16 € et des versions avec couverture dure à 22 (l'inflation est passée par là) Panini comics ne se contente pas de nous offrir les six numéros du crossover principal mais également une série de parutions annexes, comme par exemple Death to the mutants, où on se concentre sur le redoutable assaut que doivent subir les X-Men. Mais aussi d'autres tie-in ou histoires complémentaires, comme ce mois-ci le prélude publié lors du free comic book day. Gillen n'a pas la tâche facile puisqu'il doit mettre sur pieds un récit choral avec beaucoup de personnages et maintenir l'intérêt du lecteur à travers des scènes où tout le monde tape sur tout le monde, quitte à en oublier que la pertinence principale de Judgment Day réside dans l'incroyable tapisserie géopolitique évoquée. Il est particulièrement épaulé par Valerio Schiti, qui est devenu un des artistes les plus efficaces quand il s'agit de mettre en scène un grand événement super-héroïque à la sauce Marvel. Tous les personnages qu'il dessine s'insèrent à merveille dans des planches qui gardent beaucoup de lisibilité malgré la surabondance de protagonistes. Le défaut est à trouver dans l'ambition démesurée du scénariste, qui finit par perdre le lecteur ne connaissant pas très bien les différents intervenants et qui peut parfois avoir du mal à suivre les subtilités des réactions des uns et des autres. Notamment la décision d'Iron Man et des Eternels de rendre vie au corps inerte du Céleste qui sert de base aux Avengers, pour créer un nouveau dieu susceptible de mettre fin à la guerre. Une décision malheureuse qui va semer la panique chez tout le monde, puisque cette créature surpuissante laisse 24 heures à l'humanité avant de la juger sur la base de ses actions. Et là, il faut être honnête, la manière dont la chose va se produire et le verdict final rendu sous forme de sentences personnalisées sont parfois assez étonnants et prêtent le flan à beaucoup de discussion. Tout comme le choix des couvertures, puisque la fresque magnifique de Mark Brooks représente le choix logique de ceux qui aiment ce genre d'histoire, alors que la version plus chère (couverture rigide) devra à chaque fois se contenter de personnages de plain-pied et en effet certes chromé, mais qui ne peut pas rivaliser avec l'édition en souple et son illustration. C'est en tous les cas une nouvelle saga indispensable pour ceux qui souhaitent rester au courant de ce qui se déroule en ce moment dans la maison des Idées. Et pour les nombreux fans des X-Men, dont la nouvelle ère initiée par Hickman touche bientôt à sa fin.