GIDEON FALLS : LA SÉRIE HORRIFIQUE SI SINGULIÈRE DE LEMIRE & SORRENTINO


 La Genèse de ce Gideon Falls remonte aux études cinématographiques de Jeff Lemire, aussi infructueuses que frustrantes. Elles ont fini par convaincre l'auteur canadien de se lancer dans la bande-dessinée, pour raconter ses propres histoires. Parmi les tout premiers récits que Lemire avait inventés, il y avait celui mettant en scène un homme, fouillant parmi les poubelles de Toronto, pour dénouer les fils d'une étrange et complexe machination, à mi-chemin entre folie et théorie du complot. Cette œuvre n'a finalement jamais vu le jour, mais vingt ans plus tard elle ressurgit sous forme d'une nouvelle série mensuelle, en duo avec l'italien Andrea Sorrentino, déjà aperçu et grandement apprécié avec le même scénariste, sur Green Arrow et aussi Old Man Logan. Ici aussi, nous trouvons un protagoniste (Norton sinclair) qui ramasse de la petite ferraille, tout en pensant avoir mis la main sur une conspiration secrète. Sa psy fait tout pour le dissuader et le reconnecter à la réalité, mais lui est fermement convaincu que ce n'est pas seulement sa fantaisie qui s'exprime. En parallèle, nous suivons l'arrivée du nouveau prêtre de la ville de Gideon Falls, le père Wilfred Brown, qui vient prendre service en remplacement du précédent, décédé sans que nous sachions dans quelles circonstances. Cela a son importance, car il apparaît une nuit au nouveau venu, et le guide un champ de céréales au centre duquel se trouve une vieille grange, qui aura par la suite un rôle central dans cette série. Bref, c'est très énigmatique, doté dès les premières pages d'un potentiel immense : c'est tout bonnement une des séries majeures du circuit indépendant de ces dernières années, qu'il est impossible d'ignorer. 



Au fur et à mesure que Norton rassemble des clous ou des débris, Lemire révèle des petits détails de l'histoire et Gideon Falls (la série, mais aussi la ville) devient de plus en plus inquiétant et mystérieux. Le double déploiement narratif (Sinclair/Père Brown)  permet à l'auteur d'approfondir de la même manière les deux personnages, qui semblent constamment s'approcher et s'éloigner. Ce lien profond mais encore flou qui les unit est également bien restitué par les dessins. Le travail de Sorrentino est d'ailleurs sublime. Il continue de creuser dans une veine faussement réaliste, s'inspirant de planches photographiques préalablement montées et remontées. C'est d'une beauté plastique évidente, oscillant entre noirceur et onirisme, avec en plus les couleurs magiques d'un certain Dave Stewart, un des meilleurs dans sa profession. La narration cotonneuse et fragmentée de Lemire permet au dessinateur de se livrer à des intuitions vertigineuses et incroyablement efficaces. Si vous avez l'impression que certaines pages sont imprimées dans le mauvais sens, soyez assurés que tout ceci est voulu et programmé par la doublette aux commandes ! On trouve d'ailleurs des planches où la perspective est parfois inversée, où les deux protagonistes se font face, comme dans un jeu de miroir. Le procédé est parfait pour alimenter le sentiment d'étrangeté, antichambre de l'horreur, qui va exploser au fil des numéros. C'est que Norton et le père Brown ont vécu des événements traumatisants dans leur vie, et on peut en dire autant de Clara, autre intervenante majeure du récit (sans oublier la psychiatre qui suit Norton). La jeune fille est une membre des forces de l'ordre de Gideon Falls qui, au départ, ne veut pas croire à l'histoire de la grange. Mais ce qui va lui tomber sous les yeux bousculera ses certitudes et la poussera dans un jeu de piste dont le lecteur se sortira pas indemne. Gideon Falls est donc une série difficile à cerner. Drame humain, plongée dans une folie qui n'en est pas forcément une, enquête et science-fiction humaniste, c'est un peu de tout ceci, et plus encore, qui fait la richesse d'un titre exigeant et artistiquement abouti. L'intégrale chez Urban Comics comprendra deux gros tomes à 39 euros chacun, dans un grand format luxueux, dont la maison d'édition est désormais coutumière. Un des plaisirs à peine coupables de la rentrée. 


Venez parler comics avec nous sur Facebook. La page est pour vous !

COSMOPIRATES TOME 1 : CAPTIF DE L'OUBLI (JODOROWSKY / WOODS)

 Xar-Cero est typiquement le genre de mercenaire sur lequel on peut compter. Si vous avez une mission à exécuter, soyez certain qu'il ir...