Si dire que tous les politiciens sont des menteurs est un tel adage, vieux comme le monde, c'est parce que probablement il contient aussi une grande part de vérité. Les élections pour la présidentielle américaine par exemple, sont avant tout une question de séduction plus que de conviction. D'ailleurs ceux qui décident de courir pour la Maison-Blanche enrobent leurs jolis mensonges de promesses impossibles à tenir, et la plupart du temps, les électeurs dotés d'un brin de jugeote pourraient deviner par eux-mêmes qu'on est en train de les mener en bateau. A ce petit jeu pourquoi ne pas insérer une nouvelle donne, avec tout simplement le meilleur candidat possible, le prince du mensonge en personne, Loki?
Celui-ci, à travers les textes et les déclarations de Christopher Hastings, met en abyme le fonctionnement d'une démocratie sur les rotules et la manière dont la foule peut-être manipulée par des politiciens. Si les gens sont aussi crédules, c'est parce qu'ils ont besoin de croire, parce qu'il se laissent berner en toute conscience de cause. Même les plus gros mensonges passent sans aucun problème, quand on est capable de les proférer avec conviction ou savoir-faire, et qu'on entre en empathie avec les masses et ses attentes, ses peurs. C'est ainsi que Loki insiste sur le fait qu'il n'est plus le même qu'avant; c'est un nouveau Loki qui se présente aux élections, né de parents bien américains, capable de changer de sexe quand ça lui chante et surtout quand ça l'arrange, en terme d'image. C'est un Loki qui s'amuse de ses contradictions, comme par exemple la nécessité de financer la reconstruction d'un quartier ravagé par les Avengers, lors d'une bataille les opposant à notre "héros" justement, alors que ce même financement fini dans les poches d'un politicien véreux, qui est dénoncé par Nisa Contreras, une brillante journaliste qui elle aussi se fait manipuler. Dans un tel contexte il devient impossible de croire quiconque et il est donc normal que l'on doute de tout le monde, ou pour être plus précis, que la résignation s'installe, et qu'on finit par accepter que la duperie est une des parties, une des composantes essentielles de la vie politique au quotidien.
Cette mini série date de 2016, alors que l'Amérique s'apprêtait à choisir le président le plus improbable de son histoire, une caricature malhonnête et mensongère. Votez Loki n'était pas qu'une campagne amusante sur Internet, mais bien une vraie histoire écrite par Hastings, donc, où le ton est donné dès le premier numéro. Nous sommes bien loin des aventures traditionnelles de super-héros, avec le mécanisme politiques/séduction des foules éviscéré de façon brillante, dans une masterclass drôle et piquante où presque tous les points qui fâchent sont abordés. L'obsession du terrorisme, la manipulation des médias et la création de fake news, à travers Loki, c'est toute la panoplie des coups bas, des ruses politiciennes, tous les travers du mécanisme électoral qui sont exposés, et si on peut en sourire, voire en rire franchement dans certaines scènes, il est assez glaçant de constater que ce miroir est fidèle et renvoie en effet à une réalité manipulée, faite d'écrans de fumée et d'aveuglement volontaire. Les médias donc, ont leur part de responsabilité, ainsi que les réseaux sociaux, et le peuple lui-même en définitive, qui n'a plus de points de repère, et ne comprend même pas ce que veut Loki, ce qu'il incarne, tout en l'adulant, comme le prouve le dernier épisode où le candidat est aux prises avec les questions posées par les électeurs, qui clairement sont désemparés par ce qu'ils entendent, et qui ne correspond pas à ce qu'ils avaient compris!
Malheureusement, abordons le point qui fâche. S'il s'agissait d'une bande-dessinée "indie" dans l'esprit des "comicx underground" de la belle époque, alors nous parlerions de parution pleinement aboutie. Ici nous sommes dans un comicbook mainstream, qui plus est proposé par Panini pour capitaliser sur le succès attendu de la série Disney +. J'imagine la mine déconfite du lecteur qui décide de se mettre aux comics, séduit par ce qu'il voit sur petit écran, devant les dessins de Langdon Foss, franchement dégueulasses. Tout est déformé, caricatural, et même si cela sert le ton du récit, ça donne un tableau esthétique d'ensemble repoussant. On va encore entendre, comme souvent : La couverture est très jolie, mais alors regarde à l'intérieur, ça n'a rien à voir! Ne riez pas, cette petite phrase assassine, je l'ai relevée à de nombreuses reprises, dans la bouche de lecteurs de passage, ou potentiels, et c'est un point sur lequel il faudra se pencher un jour. Ici, c'est à réserver à un public averti, les autres fuiront. D'autant plus que Hastings propose un texte dense et assez peu d'action, et que Foss rend le tout ultra statique, indigeste. Paul McCaffrey signe un des quatre épisodes, et c'est un poil plus élégant, mais pas assez pour sauver un ouvrage disgracieux. Et pourtant éminemment intelligent, caustique, une lecture par moments éclairée et très inspirée.
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