ROBINSON À PEKIN : LES DESSOUS DE LA CHINE DANS UN GRAPHIC NOVEL TOUCHANT


Il serait réducteur de cantonner
 Urban à la publication de comics de super-héros américains; l'éditeur propose aussi de superbes albums mettant en scène des romans graphiques de premier ordre, et c'est le cas aujourd'hui avec Robinson à Pékin, réalisé par Éric Meyer et Aude Massot. Sous-titré "journal d'un reporter en Chine" il s'agit d'un récit à la première personne où le scénariste, qui est aussi journaliste depuis plus de trois décennies et qui est installé à Pékin, livre ses souvenirs concernant ses toutes premières années en terre asiatique, du moment où il parvient à obtenir (à la ruse, à l'arrache) un visa provisoire pour exercer son métier, jusqu'au lendemain de la terrible répression du mouvement estudiantin de 1989, qui correspond aussi à la naissance d'un petit garçon dans le couple du narrateur. Nous assistons de fait à une petite leçon d'histoire avec un H majuscule, et d'histoires au pluriel, avec la minuscule, c'est-à-dire le télescopage parfait entre un moment historique charnière de l'histoire de la Chine moderne, et tout un ensemble de souvenirs, d'anecdotes, de tranches de vie qui nous font plonger dans le quotidien d'un homme, dont l'envie de faire savoir et d'exercer son métier forcent l'admiration. En dépit des difficultés de l'adaptation à la vie en Chine, où beaucoup de choses sont très différentes de par chez nous, et où une certaine misère économique perturbe grandement les premiers pas de notre "héros", toute la première partie ou presque semblerait bucolique, à vouloir grossir le trait. Les difficultés sont faites pour être surmontées, les nouveautés pour être appréhendées et assimilées, l'inconnu pour être découvert les yeux grands ouverts, bref c'est une vraie leçon d'optimisme forcené à travers toutes ces pages où rien est comme nous l'attendions, mais où petit à petit nous devenons familiers avec un système de pensée radicalement différent du nôtre. Et puis l'album entre dans une nouvelle dimension dans sa seconde partie, voire même dans le dernier tiers. C'est juste que si le regard du journaliste était concentré sur sa propre existence et son entrée en matière dans la société chinoise, il est bien vite rattrapé et dépassé par la réalité des étudiants ou des chinois les plus pauvres, qui plaçaient beaucoup d'espoir en un certain rival en interne de Deng Xiaoping, nommé Hu Yaobang, mort subitement d'une étrange crise cardiaque en plein bureau politique du parti communisme. A partir de là c'est la débandade, et le peuple réclame des comptes qu'il n'obtiendra jamais. Un vent de liberté souffle sur la population, les étudiants descendent massivement dans la rue, et comme le dit l'auteur, c'est presque une sorte de mai 68 à la chinoise qui pointe le bout de son nez, en ce début de printemps 1989. Un espoir qui va être radicalement et horriblement douché. 




Si toute la première partie pouvait laisser penser qu'il flottait comme un parfum de bienveillance à l'égard du régime politique de l'époque en Chine, le reste de l'album vient contredire clairement cette opinion, et c'est avec un regard perçant, lucide et indigné que l'auteur évoque une des pages les plus sinistres de l'histoire du 20e siècle. La répression des étudiants va être féroce, l'armée ouvre le feu et les morts se comptent par milliers, sans qu'il soit possible aujourd'hui encore d'avoir accès au véritable bilan du carnage. Bien entendu les étrangers sont indésirables, à plus forte raison les journalistes, qui sont sommés de se taire puisque l'État chinois à placé Pékin sous le coup de la loi martiale. Nous assistons également à une certaine forme de couardise de la part de collègues d'Eric Meyer, mais aussi des Français en Chine, à l'instar des diplomates... peut-être est-ce simplement une forme d'intelligence ou d'expérience, car après tout il est facile de discourir quand on n'est pas concerné, mais qu'en est-il quand c'est sa propre sécurité et sa propre carrière qui est en jeu? En tous les cas c'est un des leviers qui explique la raison pour laquelle les choses ont pu se dérouler de la sorte. Tout ceci n'est pas asséné avec une bonne grosse morale rétrospective, mais au contraire il s'agit encore et toujours d'un compte rendu factuel, au centre duquel gravitent anecdotes et aperçus d'une vie personnelle et de couple. Cette variation de la focale enrichit l'ambition du récit et le place dans une dimension humaine touchante. De surcroit les aquarelles de Aude Massot sont particulièrement jolies, la dessinatrice a travaillé sur la base d'entretiens avec Meyer et de voyages en Chine, et d'ailleurs elle propose à la fin de l'histoire quelques-uns de ses croquis en guise d'impressions et de mémoires personnelles. Son trait opère tout en retenue, il n'y a pas de volonté de lourdeur didactique ni d'impressionner le lecteur, là encore c'est un dessin à caractère humain, honnête, qui souligne les expressions des différents personnages. Il s'agit d'aller à l'essentiel, y compris dans la représentation d'une Chine bien différente de notre quotidien à nous, tout en soignant l'esthétique.  Il y a donc beaucoup d'humanité dans ce Robinson à Pékin, et c'est un ouvrage recommandable est recommandé pour tous, tant il est susceptible d'atteindre un public large et varié. 

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