Batman Nocturne est annoncé comme un tome 1 mais en réalité, il s'agit d'un recueil de plusieurs épisodes de la série de Detective Comics, agrémentés de quelques histoires complémentaires (ce qu'on appelle en américain les backup stories) ainsi que d'un annual (histoire dont la parution est irrégulière -à la base chaque année - et dont la pagination est plus conséquente). Nous pénétrons dans un monde extrêmement poétique et littéraire, aussi bien dans les thèmes qui sont abordés (nous avons l'impression de lire un récit inspiré des drames de Shakespeare et qui se structure tel un livret d'opéra) qu'à travers les ambitions artistiques, c'est-à-dire la prose raffinée du scénariste indien Ram V (oui encore lui, il est décidément très actif ces derniers mois) et le dessin très élégant de Rafael Albuquerque. Nous mettons en avant les qualités artistiques de l'album mais il faut aussi en souligner les ambitions. Tout d'abord, la ville de Gotham est au centre des débats. Pas la ville telle qu'elle est aujourd'hui, mais sa généalogie. Ce n'est pas la première fois que quelqu'un tente d'enquêter dans le passé de la cité pour dégager de nouveaux éléments, qui viennent enrichir le mythe de Batman. Ici on s'intéresse à l'époque où Gotham s'appelait encore Gathome et où ceux que nous connaîtrons plus tard sous le nom de Arkham (les Orgham) possèdent un pouvoir important. Oui, la révélation principale de ce premier tome c'est que la famille Arkham est en réalité à la base une lignée de nobles, dont comme par hasard le descendant actuel est sur le point de débarquer un Gotham, pour une visite impromptue qui s'annonce particulièrement mouvementée. Ajoutez à cela une sorte de vide de pouvoir qui s'est créé depuis les derniers événements (racontés dans la série ces derniers mois), la pègre locale va devoir se restructurer. Quant à l'asile d'Arkham, il n'en reste plus grand chose; c'est un peu comme si tout était à reprendre et qu'à travers les révélations issues du passé, un nouveau futur pouvait apparaître.
Mais comme nous sommes à Gotham, ne voyez pas dans l'expression "nouveau futur" un avenir radieux et solaire. Non seulement Batman va devoir se confronter à de nouveaux ennemis (et aussi la Ligue des Ombres), mais il va devoir surtout se mesurer à lui-même, c'est-à-dire à sa psyché, qui pour une fois ne semble pas à l'épreuve de toutes les vicissitudes. Faire face à son corps également, qui semble le trahir ! Notre justicier serait-il victime de crises d'angoisse, de panique, ou bien l'âge aurait-il fini par le rattraper ? Ou encore, quelqu'un le manipule-t-il ? Toujours est-il qu'il a beaucoup de mal à se maintenir à flot et à imposer le respect dont il est coutumier. Les backup stories sont elles centrées sur le commissaire Gordon. On pourrait penser que l'heure de la retraite est arrivée et que l'ancien flic intègre va en profiter, mais c'est mal le connaître. Il doit composer avec la disparition de son fils, qui le marque toujours, mais aussi un nouveau personnage qui apparaît et qui va le pousser lui aussi dans une nouvelle direction. Enfin, le long annual en fin d'album est lui consacré à la ville de Gotham, plus précisément lorsqu'elle s'appelait encore Gathome. On y retrouve certains des éléments tirés du passé, notamment apportés à l'époque de Grant Morrison, et beaucoup d'idées à exploiter pour étoffer la généalogie de la cité. Batman Nocturne est un album très intrigant, dense, artistiquement très abouti, mais aussi peut-être austère et difficile d'accès à celui qui ne connaît que superficiellement le monde de Batman, et risque alors de passer à côté d'un grand nombre de pistes et de signes.