Quand vous êtes un ado pas très sûr et complexé, avec une mère célibataire qui peine à trouver du boulot pour payer le loyer et un frère "athlète" du lycée, qui n'a que peu de points communs avec vous, il est possible que l'arrivée dans une nouvelle petite bourgade qui ne paie pas de mine (et l'inscription sur le campus local) puisse tourner au film d'horreur. Rien à faire pour Oliver Leif, cette nouvelle réalité est bien difficile à assumer et on sent que le gamin est en manque de repère. Oui mais voilà, il possède une particularité très étonnante : dix minutes par jour, il est capable de manifester des supers pouvoirs qui en font une sorte de Spider-Man revisité. Il y a forcément beaucoup de clins d'œil au personnage de Lee et Ditko (voir Bendis et Bagley) dans la création de Kaare Andrews. Le look, ce qu'il est capable de faire, la manière dont cela est représenté, mais aussi l'ambiance très "teenager", la perte d'un être cher et même des petits détails, comme la charmante blondinette qu'il rencontre sur le campus et qui porte le nom de Kirsten (ça fait penser à une actrice qui fut en son temps une bien jolie Gwen Stacy). Mais nous sommes en 2023, les choses ont bien changé et l'innocence des années 1960 s'est transformée en un monde où il suffit d'avoir un portable à la main pour tenter de filmer des événements extraordinaires (qu'on vous a pourtant demander de taire) pour devenir "quelqu'un". Et puis l'établissement scolaire dans lequel se retrouve Oliver est tout de même assez particulier : la communauté enseignante est soit complètement inapte (l'occasion de brocarder les travers des Américains aujourd'hui) soit composée de types qui ont apparemment de lourds secrets à cacher (c'est le cas de Alvarez, qui enseigne la sociologie, mais semble doté d'une voix qui pousse ceux qui l'entendent à accomplir ses désirs. Bien pratique, quand on souhaite prendre la place du proviseur, qui comme par hasard se défenestre le jour où il nomme comme adjoint la collègue de français).
Visuellement parlant, c'est une claque. On a l'impression de lire une histoire qui représente la fusion de nombreux styles, quelque chose capable de s'adresser aussi bien à un public adolescent qu'à un lecteur chevronné, à une aventure aux contours simplistes mais à l'ambition évidente. Andrews est un dessinateur remarquable et il le prouve, d'autant plus que les couleurs de Brian Reber se mettent au diapason, explosent de franchise et de lumière, et même les scènes les plus statiques sont portées par un rythme qu'impose le montage intelligent et la charge cinétique des différentes vignettes. Ce qui est bien pratique d'ailleurs, compte tenu des pouvoirs du jeune héros. Par contre, en tant que scénariste, Andrews a encore une marge de progression. Certaines transitions sont abruptes et son envie de bien faire, de manier à la fois l'humour, l'action, la satire et le spectaculaire, finit par faire se télescoper tout cela, au détriment de la lisibilité. Par contre on pourra souligner la capacité de donner à chacun des personnages un moment pour briller. Ce qui permet d'aborder des thèmes comme le besoin plus qu'existentiel d'exister, à travers le regard des autres et avec les réseaux sociaux. C'est désormais une priorité pour la plupart des jeunes ! Ou encore l'envie de trouver un moule dans lequel se fondre, pour appartenir à une communauté… et son contraire, la singularité à tout prix, être différent par peur de n'être personne. E-Ratic se referme avec la nette impression d'avoir lu quelque chose d'extrêmement pétillant, l'effet d'une bonne boisson gazeuse fraîche et bien sucrée, par temps de canicule. La nature des pouvoirs du héros est une allusion évidente à la pandémie que nous venons de connaître, bien évidemment, mais elle trouve aussi son explication dans la volonté de AWA de créer un univers partagé et dont la pierre d'achoppement est la mini-série The Resistance, qui a été publiée par Panini Comics. Même si ici il n'y a aucun renvoie particulier ou nécessaire pour faire la jonction, il est tout de même intéressant de constater que le grand œuvre final s'étend donc en langue française chez plusieurs éditeurs. Vous cherchez une lecture sympathique et fichtrement bien dessinée, vous l'avez peut-être trouvée chez Black River.