DAREDEVIL DÉCHÉANCE : UN DIABLE D'EPIC COLLECTION TANT ATTENDU


 Le soixantième anniversaire de Daredevil est fêté dignement chez Panini Comics, en ce mois d'avril. Toute une série de sorties sont consacrées au personnages; si vous souhaitez tout savoir en une seule fois, le plus simple est d'aller consulter notre Mag', le numéro 41 sorti il y a quelques jours. Si vous souhaitez juste mettre la main sur un album excellent, contenant des histoires bien trop méconnues, cet article est fait pour vous. Déchéance, tout un programme ! Une vingtaine d'années avant que ne débute le récit, le général Kenkoy a mis au point un virus très particulier. Ingéré, il permet à un individu de modifier son propre corps, par la force de sa pensée et de ses désirs. Eddie Passim, un agent de la sécurité américaine, a perdu une des fioles contenant le virus dans le métro new-yorkais. Il a du prendre le maquis et disparaître car Kenkoy et ses sbires décidèrent d'éliminer tous les témoins de l'affaire et tous les agents au courant du virus. Retour au temps présent : le virus est de nouveau à l'ordre du jour, et bon nombre de prétendants entendent bien mettre la main dessus pour des raisons diverses. Kenkoy voudrait s'en servir pour son trafic de drogue personnel, et il est plus dangereux que jamais, associé maintenant à une secte asiatique redoutable, excroissance de la Main, du nom de Mandragore. Celle ci entend créer la guerrière parfaite en infusant et stabilisant une partie de l'essence vitale d'Elektra (à l'époque considérée comme morte) dans une ninja volontaire et idéaliste, Erynis. Mais n'oublions pas non plus Morbius, qui souhaite s'emparer du virus pour ne plus être le vampire qu'il est devenu, ou encore le double vaudou de Matt Murdock, qui désire devenir un être humain à part entière, et pas seulement une construction magique. Ajoutez-y Venom, qui pointe le bout de son nez, et une jeune journaliste aux dents longues, qui découvre l'identité secrète de Matt en fouinant dans le disque dur de Ben Urich, et vous obtiendrez une saga passionnante au cours de laquelle la carrière de Daredevil va subir de significatives modifications, du changement de costume à un décès présumé. DD passe donc du classique collant rouge à une sorte d'armure faite d'un textile ultra résistant et souple, à tendance grise. Du plus bel effet, très moderne et pratique. D'autant plus que les crayons de Scott McDaniel apportèrent au mensuel un indéniable succès : découpage anarchique et expressionniste des planches, magnifique utilisation des ombres et des figures qui lacèrent la page, parfois dans une veine légèrement similaire au travail de Frank Miller sur Sin City, référence assez engageante. Dan Chichester parvient avec Fall From Grace (Renaissance, le titre français choisi par Semic, qui édita la saga dans deux volumes de la collection Marvel Top, avant le "Déchéance" de Panini) à donner un sacré coup de boutoir au statu quo de Daredevil : Elektra revient sur le devant de la scène, mais Matt va pourtant choisir de renouer avec Karen Page, avant de devoir affronter le péril de la  révélation de sa double identité, et finalement d'opter pour une décision radicale : feindre sa mort et adopter un nouvel avatar, devenir quelqu'un d'autre. Rien que ça…



Au terme de Fall From Grace, Matt Murdock a simulé sa mort, et Daredevil opère sous un nouveau costume, une véritable armure grise et rouge, aussi nombre de ses alliés pensent qu'il s'agit là d'un nouveau venu sous le masque. Après avoir écarté (et profité) de la menace du virus permettant de réécrire l'Adn des victimes contaminées, Daredevil va se retrouver embarqué dans un récit qui convoquent science cyberpunk et conspiration de la vieille école, avec notamment le Baron Von Strucker dans les coulisses. Cette histoire est sortie il y a bien des années, et la technologie n'était pas encore aussi sophistiquée. Toutefois, c'est elle qui est l'enjeu de cet arbre de la connaissance. DD tombe dessus un peu par hasard, le jour où il arrête deux petits voyous qui s'amusent à cloner des cartes bancaires aux distributeurs de billets. De là il remonte la piste d'un certain Knowbot, génial pirate informatique, que son employeur protège en lui allouant les services d'un colosse ultra moderne, le dénommé Killobyte. Pour le coup, le lecteur de l'an 2024, habitué aux connections 5G à la fibre, et qui sait monts et merveilles de l'Internet, pourra s'étonner. Qu'est ce donc que cette vision burlesque du monde virtuel que nous présente Dan Chichester ? Le reflet d'un moment de l'évolution où Internet était encore perçue comme un privilège, une autoroute vers le savoir que ne pourraient parcourir que les grosses cylindrés, et qui devait laisser trop de citoyens démunis, sans accès, impuissants devant les nouveaux patrons du Web, et donc des marchés de demain. Rétro-fiction. Chez le scénariste, Internet et la réalité virtuelle se confondent pleinement. Les vilains chassent Daredevil et évoluent comme dans un jeu en ligne, avec des points bonus pour chaque victime innocente tuée, ou bien avec une vision distordue des faits, le héros en collant étant représenté par un dragon. System Crash, c'est le nom de l'association de cyber-terroristes qui sèment la pagaille en ville, et les morts (un ferry boat qui explose, des dizaines de décès, des snipers qui tirent depuis le World Trade Center…), tandis que le Baron Struker et l'Hydra se frottent les mains, de voir New-York glisser vers le chaos, grâce à des méthodes et une technologie que les justiciers ne maîtrisent pas encore. Captain America vient bien prêter main forte à Daredevil, mais ce n'est pas Steve Rogers, un vieux de la vieille qui écoute sa musique au gramophone, qui sera de grande utilité. Les guest stars défilent dans Tree of Knowledge, avec Elektra (encore), le Shield (Fury et son sempiternel cigare) ou encore Gambit (de passage…) et Iron Fist. Karen Page est aussi au menu, détruite par la présumée mort de Matt Murdock, au point qu'elle est hantée par son passé d'actrice porno, qui refait surface, juste à temps pour qu'elle se lance dans une croisade contre une brève vidéo mettant un scène un acte pédophile. Scott McDaniel en met plein les yeux à chaque planche… ou il vous donne la nausée, selon qu'on aime, ou pas. Il est vrai que parfois son style ultra baroque et décomposé est au détriment de la lisibilité, et que ces épisodes sont sombres, très sombres, sans la moindre attention aux anatomies académiques. Tout est distordu, broyé, expressif et expressionniste, c'est un cauchemar des sens et des formes, mais c'est aussi fascinant de voir comment il est possible, d'un coup, de faire sauter les codes classiques dans ce genre de série mainstream, pour oser quelque chose de follement audacieux. Bref, un Marvel Epic Collection qui sort des sentiers battus et qui ne ressemblera pas à ses voisins. Pour nous, c'est un grand oui. 


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