Nemesis est le plus grand super criminel de la planète. Du haut de sa morgue et de sa philosophie abjecte, il semble narguer la bien pensance et les polices du monde entier, et le terrorisme est sa seule doctrine. Tout habillé de blanc, il plane comme un fantôme mortel sur ses victimes, et se joue d'elles avec cruauté. S'il officie principalement en Asie (le début de cet album le voit commettre un carnage ferroviaire au Japon), il ne dédaigne pas rendre visite à l'Amérique, pour régler ses comptes (c'est tout du moins ce qu'il prétend, dans un premier temps) avec le commissaire Blake Morrow, une sorte de super flic que rien n'arrête et pour qui le boulot est avant tout une mission inaliénable. Morrow reçoit d'ailleurs un billet doux éloquent : sa mort est déjà programmée, et dès son arrivée aux States, Nemesis fait parler la poudre : il met la main sur le président des Etats-Unis en personne, investit le Pentagone et en assassine quasiment tout le personnel, avant de se laisser prendre au piège que lui tend la police, et de se faire capturer. Un bref répit de toute façon au programme ; le criminel a tout planifié depuis le début, et se laisser alpaguer était pour lui le meilleur moyen d'initier son plan retors et somptueusement horrible. Le sang va couler, les révélations choquantes vont fuser, le duel entre le superflic et sa cible va être épique. Nous sommes dans un vrai western moderne, gore et anticonformiste. Sauf que le bad guy semble avoir toujours un coup (voire deux) d'avance...
L'opposition est très dychotomique : le méchant est franchement méchant, le gentil presque trop gentil. De toutes façons, cet album ne prend pas le temps de fouiller la psyché de ses personages, il est trop occupé à revendre de l'hémoglobine au litre. C'est bien le hic avec Nemesis : comment un individu peut-il acquérir de tels moyens, une telle philosophie, réussir de tels coups, et dans quel but? Si la fin répond en partie à la première question, le reste est suspendu dans les limbes des mystères du scénario. A coté, Kick-Ass est censé être de la merde, dixit Millar, l'auteur des deux oeuvres. Désolé, mais je m'inscris en faux. A coté, Kick Ass c'est une merveille d'humour et de fraicheur. Nemesis est enrobé de cette violence gratuite et malsaine qui fait tant recette de nos jours, sans pour autant offrir grand chose en echange, sans rien d'autre que le nihilisme total de son protagoniste comme argument d'accroche. Il est riche, il s'ennuit, alors il tue. Une version revisitée et outrancière d'Orange Mécanique, un sous-produit à la Garth Ennis (qui lui structure bien mieux les poussées de violence, et trouve toujours le moyen de les justifier, ou presque), ou juste un comic-book fun et irrévérencieux, à prendre au quatrième degré? Reste les planches de McNiven, qui en tant qu'artiste au talent indiscutable, sort encore son épingle du jeu. Son trait est encré avec parcimonie et peu appuyé, comme si derrière l'incroyable et effroyable déferlement de sang, il souhait prendre un peu de recul et dépersonnifier l'ensemble. C'est du haut niveau, mais pas le sommet de sa carrière. Avant que vous pensiez que mon opinion de cette histoire trop brève (quatre épisodes, pas le temps de creuser et d'enrichir la trame) est clairement négative, je préfère placer un bémol : oui, je n'ai pas franchement aimé ce récit, mais aussi parce qu'il rentre dans une catégorie particulière qui ne requiert pas mes faveurs en ce moment. Ce n'est pas vraiment ce que je souhaite lire, ces mois derniers. Je reste toutefois d'avis que Nemesis trouvera son public auprès de ceux qui accepteront de n'y voir qu'un défoulement paroxistique, et ne chercheront pas à en analyser la teneur. A consommer vite et chaud, ce plat ne se conserve pas très longtemps.
Rating : OOOOO