Premier des trois ouvrages du nouveau label Combo (Dargaud), à sortir en janvier, Hana et Taru fait aussi l'objet, comme les deux autres, de toute notre attention. Ici même, mais aussi au sommaire de UniversComics Le Mag', disponible en téléchargement gratuit à partir du 4 janvier.
Taru est la fille de Vesa, qui dirige une tribu de chasseurs guerriers, au beau milieu d'une forêt ancestrale fantasmagorique, peuplée de créatures merveilleuses, monstrueuse, en tous les cas extraordinaires. Parmi celles-ci, des animaux géants que l'on appelle les Rois de la forêt. Chaque année, à la même période, leurs courses folles à travers les arbres (la folie de la forêt) entraînent des dégâts considérables : elles ravagent des villages entiers, au point que la mère de Taru a décidé que l'heure était venue de les exterminer, de les traquer, puis de les piéger, en s'appuyant sur un exemplaire isolé que les villageois sont parvenus à blesser. Ce n'est pas du goût de la jeune Taru, qui pense elle au contraire que la solution est toute autre, qu'il faut cesser de chasser les créatures et envisager une solution plus pacifique au problème qu'elles posent. En parallèle à cela, le village abrite une prisonnière du nom de Hana. Elle appartient à une espèce très différente, beaucoup plus proche d'ailleurs du genre humain traditionnel que celle de ses geôlières. Elle est venue de très loin, d'un monde menacé par la montée des eaux et a décidé de tenter sa chance, de s'aventurer sur cette montagne inconnue dont elle apercevait autrefois la silhouette, depuis son territoire. Taru étant considérée comme une empotée, peu productive pour son village, elle est cantonnée à apporter de la nourriture et converser avec la captive, ce qui fait qu'elles vont vite devenir amies puis se lancer dans une quête commune, lorsque Hana va parvenir à s'évader. Il faut d'ailleurs noter que le dessinateur de cette histoire, Motteux, ne tente en aucune manière de proposer des personnages attrayants, plaisants, rassurants ou simplement féminisés à outrance, mais au contraire offre des physiques et des caractères assez singuliers, qui ne manquent cela dit pas de charisme. De plus, ils sont particulièrement attachants, bien écrits, ce qui fait que l'ensemble fonctionne à merveille. Le discours peut s'étendre à toutes les autres formes de vie qui peuplent la forêt, très inventives, voire carrément surprenantes. C'est tout un monde artistiquement foisonnant et passionnant qui nous est offert, sans aucune concession à une esthétique mièvre et attendue.
Léo Schilling écrit donc, entre autres ambitions, une histoire d'amitié, de découverte de soi, de famille, aussi. Taru est puissante et agile, même si bien moins efficace (et violente) que nombre de ses congénères. Face à elle, Hana semble impuissante, inutile, mais possède d'autres atouts. Elle est plus entreprenante et manifeste aussi des dons artistiques, griffonne et illustre régulièrement des carnets qu'elles remplit de croquis, qui fascinent sa jeune amie qu'on devine illettrée. Ensemble, elles ouvrent une nouvelle voie à une société qui ne voyait jusque-là que l'affrontement pour résoudre des défis en apparence insurmontables. Le récit est aussi axé sur la filiation, puisque Taru et sa mère ne se ressemblent en rien, l'une semblant exclure l'autre. Et au fil des pages, le lecteur découvre une troisième génération, qui fonctionne sur le même schéma malade que celui qui occupe le centre de l'histoire. De mère en fille, la vision du monde, la place de l'individu dans la société, les rêves et espoirs tout simplement, sont si différents qu'ils entraînent une rupture inévitable et rendent impossible la communication. Nous avons parlé du dessin mais il ne faut pas non plus négliger la couleur, toujours l'œuvre de Motteux. Nous voyons se succéder ou s'alterner des passages plus sombres et nocturnes (toute la première partie) et d'autres nimbés du vert des forêts, omniprésent, qui enveloppe dans son étrangeté naturelle des planches aussi belles, captivantes, que fort singulières. On devine chez l'artiste une évidente propension à mettre en scène des personnages pour un jeune public, avec une économie de traits et une grande expressivité des visages et du langage corporel, qui emprunte certains des codes du manga. Mais là encore, sans que cela ne tombe dans la facilité ou la paresse. Hana et Taru est une très belle bande dessinée initiatique et d'aventure, tout simplement, qui donne à chacun de ses personnages une chance de faire ses preuves ou de se racheter, à sa manière. Un ouvrage finement ciselé, avec l'omniprésence du fantastique, mêlé à l'intimité de ses personnages principaux, dont la quête personnelle et de sens démontre que c'est en comprenant l'autre qu'on arrive à vivre sereinement à ses côtés, ou tout du moins à ne pas se détruire mutuellement. On recommande chaudement.