LITTLE MONSTERS : LES PETITS VAMPIRES DE JEFF LEMIRE


 Une énième pandémie est passée par là et la plupart des êtres humains qui peuplaient la planète sont morts… du coup bienvenue dans un monde où les rares survivants ont beaucoup de temps pour gamberger et s'ennuyer, surtout lorsqu'il s'agit de jeunes enfants quasiment immortels qui vivent dans une petite communauté de huit individus, tous très différents les uns des autres. Les gamins ne sont pas vraiment de charmants innocents, ce sont en fait des vampires. Ceci car à un moment donné de leurs existences, ils ont croisé la route d'un Ancien, c'est-à-dire d'un vampire plus âgé qui leur a offert la "vie éternelle" et l'assurance de ne plus connaître la solitude. Ils ont reçu la consigne de ne jamais quitter la ville où ils sont censés être protégés et de ne jamais mordre un humain. Enfin, s'ils viennent à en rencontrer un, car il en reste très peu. Et donc, forcément, de lui sucer le sang. L'Ancien s'est absenté il y a des décennies de cela et depuis plus personne ne l'a revu. Livrés à eux-mêmes, les joyaux drilles continuent de respecter ce qu'on leur a préconisé; néanmoins, une scission commence à poindre à l'intérieur du groupe. Il y a ceux qui voudraient du changement et ceux qui préfèrent le confort ouaté de la monotonie quotidienne. Mais ce que Jeff Lemire - scénariste prolifique et toujours pertinent - nous raconte, c'est que le changement est inévitable : la jeunesse ne dure qu'un temps (même si ici c'est un temps très étiré) tout comme la nuit, nécessaire à la survie des vampires, finit naturellement par être remplacée par le jour. Le grand changement attendu dans Little Monsters, c'est l'instant où les petits vampires vont croiser un homme, un vrai, et qu'ils vont s'en servir comme petit banquet improvisé… à partir de là, l'histoire prend une nouvelle tournure plus radicale.


Jeff Lemire parvient à réunir deux de ses obsessions récurrentes. La première, c'est le thème de la famille et des liens, de l'innocence qui perdure en chacun de nous et tout particulièrement chez les enfants, qui sont les représentants de cette qualité destinée à s'amenuiser avec le temps. La seconde, c'est l'horreur, l'épouvante, une catégorie dans laquelle il excelle et où nous le retrouverons dans quelques jours avec les deux premiers volumes consacrés à la grande saga du Mythe de l'ossuaire, en compagnie d'Andrea Sorrentino. C'est un autre compère de longue date qui l'accompagne pour Little Monsters : Dustin Nguyen (Descender/Ascender). Ce dernier est une sorte de Michelangelo de l'aquarelle; dès qu'on pense à cette manière de dessiner, son nom vient parmi les tous meilleurs représentants du marché des comics. Ici, il expérimente une autre manière de faire, avec des planches extrêmement sombres jouant sur le contraste entre le noir et le blanc, et abandonnant l'idée d'employer la couleur, si ce n'est des touches de rouge là où apparaît le sang. La couleur qui a donc disparu du monde tout comme les adultes, tout comme toute trace de vie si ce n'est ces gamins aux caractères et aux ambitions différents, qui permettent de complexifier la trame et d'offrir de nombreuses pistes narratives au scénariste. D'ailleurs, chaque épisode commence par un petit retour en arrière qui nous permet de mieux comprendre comment les jeunots en sont arrivés là. Et il faut bien l'admettre, c'est diablement efficace. Il n'y a pas beaucoup de texte, ça peut se lire vite si on n'est pas happé par les dessins de Nguyen (que personnellement je prends beaucoup de temps à admirer, tellement ils sont beaux) mais au final, c'est une lecture très intrigante, bien construite et qui démontre que le génial canadien est toujours capable de nous régaler, sans avoir l'air de forcer. Alors bien sûr, certains parleront d'une sorte de remake du Seigneur des mouches de William Golding, et ils seront loin d'avoir tort. Le mécanisme présent dans cette série a déjà été expérimenté plusieurs fois dans le passé mais c'est cette capacité qu'a Lemire à écrire quelque chose de touchant et d'honnête qui fait systématiquement la différence.





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