Le fait est que si je vous raconte que cette histoire commence par un braquage à la banque centrale de Gotham, impliquant plusieurs personnages costumés de la ville comme Catwoman, le Pingouin ou le Riddler, vous allez me répondre que ça ressemble furieusement à quelque chose que vous avez déjà lu un nombre incalculable de fois. En général, ça se termine de la même manière : un projecteur qui déchire le ciel de Gotham, une chauve-souris qui apparaît et qui tabasse les criminels ou les poursuit, jusqu'à récupérer le butin. Cette fois, ce qui change, c'est la narration de Tom King, le scénariste. Tout cet album, du premier au dernier épisode, présente une chronologie des faits extrêmement fragmentée; il arrive que d'une page à l'autre nous sautions du présent au passé proche, sans oublier des renvois à l'époque de l'Antiquité, lorsque le roi Penthée, selon la légende, fut démembré par les Ménades. Ce qui importe donc dans Killing Time, c'est l'objet qui a été dérobé à la banque, une relique d'une importance telle que tout le monde est sur sa piste. Et lorsque le Pingouin se fait un violemment tabassé par ses alliés qui retournent leur veste, le prétexte est bon pour engager un nouveau personnage appelé l'Aide, qui ferait passer Batman et ses techniques de combat pour un jeune débutant fragile, ayant encore tout à apprendre. Bref, l'histoire progresse de manière (en apparence) très chaotique et c'est petit à petit que nous récoltons les informations et associons les pièces du puzzle les uns aux autres, pour former une grande tapisserie échappant aux règles classiques de l'univers DC. Puisqu'il n'y a pas ici de continuity à respecter, juste une histoire à savourer.
Enchaînons tout de suite avec ce qui pourrait en rebuter certains, c'est-à-dire Tom King et sa petite manie de se laisser gagner par la digression, de vouloir ajouter couche sur couche, au point par moments de perdre une partie de ce qu'il voulait raconter en cours de route. Par exemple ici, il n'est pas certain que toutes les incursions dans le passé, notamment l'Antiquité, soient réellement pertinentes. De plus, il exagère avec cette tendance à porter un regard omniscient sur l'intégralité de l'action et nous inonde de détails dont en réalité on peut parfaitement se passer. Killing Time aurait probablement gagné à être un graphic novel publié en une seule fois, plutôt qu'une mini série. Et encore, nous sommes gâtés puisque Urban Comics nous permet de lire l'intégralité sans devoir patienter entre chaque numéro, comme les lecteurs américains. David Marquez est présent pour donner beaucoup d'énergie à une histoire qui par endroits en manque un peu. Ses personnages sont qualifiés par l'éditeur de semi-réalistes; en effet, les figures, les expressions, le matériel employé relève d'une recherche de crédibilité figurative et évidente, mais certaines scènes, certains cadrages sont totalement improbables et destinés à dynamiter l'ensemble, pour offrir un comic book chargé en adrénaline. L'ensemble est beau ou en tous les cas correspond parfaitement à ce que l'on veut trouver dans une histoire de super-héros de ce type. Killing Time soufre finalement d'un manque d'ambition. King est excellent lorsqu'il prend un personnage de derrière les fagots et qu'il exploite ses failles, son passé, ce qu'il signifie, qu'il le réinvente totalement. Ici, il se contente de nous proposer un Batman qui n'est pas encore le grand Batman que nous allons connaître, de jouer avec quelques morceaux de la mythologie, sans réellement les pervertir. Il essaie d'associer le Riddler et Catwoman, pour former une doublette dérangeante et criminelle. S'il n'y avait ce personnage de l'Aide qui est lui, par contre, franchement réjouissant avec sa manière de palabrer tout en ridiculisant Batman au combat. Un album qui reste plaisant globalement, mais qui est loin d'atteindre tout le potentiel que l'on aurait aimé y découvrir.
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