RANDOLPH CARTER TOME 1/2 : LA VILLE SANS NOM


 Les œuvres de H.P. Lovecraft constituent un réservoir inépuisable dans lequel la bande dessinée n'a pas fini de puiser. La dernière preuve en date est à retrouver chez Soleil, avec la première partie d'un diptyque dont la sortie est prévue pour mercredi prochain. Il s'agit de Randolph Carter, avec "La ville son nom". Randolph Carter est un personnage récurrent dans l'œuvre de Lovecraft puisqu'il est au centre de sept récits différents. On considère d'ailleurs qu'il s'agit du double de l'auteur, qui se met ainsi en scène dans certaines de ses aventures. Comme je suis né en Picardie, je retrouve donc avec intérêt une bataille dans la Somme, en 1916, durant la Première guerre mondiale, en guise d'introduction de cet album. Randolph Carter et ses hommes sont des légionnaires qui sont envoyés au combat dans les tranchées, contre les Allemands. Seulement voilà, alors qu'il s'attendent à tomber sur toute une troupe d'assaut d'ennemis motivés, il se font attaquer un jour par une armée de créatures nauséabondes et en décomposition, des goules, que rien ne semble arrêter. Les créatures  fondent sur les légionnaires pour les déchiqueter ! Personne n'en réchappe, sauf évidemment le héros de notre histoire, qui va être sauvé in extremis, pris en charge à bord d'un train puis envoyé vers Marseille, où il va avoir l'occasion de se remettre sur pied, dans un hôpital prévu à cet effet. C'est là-bas qu'il va faire une rencontre décisive, celle d'un ancien marin devenu fou, après avoir fait naufrage à l'issue de l'abordage subi par un bateau allemand, dans les eaux du Pacifique. Le type est parvenu à s'échapper, mais dans l'incapacité de lire correctement une carte marine, il a fini par s'échouer, traverser des territoires hostiles… et lui aussi a fait la rencontre de ces terrifiantes goules !



C'est Simon Treins qui est au scénario de ce qui s'annonce comme un diptyque : la seconde partie est d'ores et déjà prévue pour le début de l'année 2025. À mon sens, ce qui fait l'intérêt de cet album (et la raison pour laquelle nous l'avons particulièrement apprécié) c'est que les goules ne sont pas présentes d'un bout à l'autre. En fait, il ne s'agit pas d'une course à l'horreur effrénée, d'une accumulation de scènes de carnage. Au contraire, nous suivons Randolph Carter dans ses pérégrinations, avec la rencontre d'un autre légionnaire qui va devenir son ami, mais qui en secret a bien d'autres objectifs. Et surtout, l'étrange pendentif qu'il porte autour du cou et qui semble lui attirer beaucoup de curiosité, mais aussi des problèmes. C'est donc un récit qui prend la forme d'une enquête, qui laisse planer de sombres présages, notamment de trahison, et qui dessine les contours d'un culte mondial, des tunnels du métro de New York au Moyen-Orient. Jovan Ukropina est une fois de plus irréprochable au dessin, avec un travail très soigné, qui permet de proposer une caractérisation convaincante et réussie de chacun des personnages, mais aussi de transporter le lecteur, même dans les scènes statiques, avec des paysages détaillés et très minutieux. Le découpage des planches est habile, maintient l'intérêt et rend l'évolution de l'action aussi lisible qu'efficace. La lisibilité est vraiment la qualité de "La ville sans nom"; on a parfois lu des adaptations des œuvres de Lovecraft qui donnent dans la surenchère et finissent par faire tourner la tête du malheureux lecteur, à qui l'on déverse incantations, maléfices et horreur jusqu'à plus soif… ça n'est pas le cas ici. Le dosage est équilibré, ce qui mérite amplement qu'on donne une chance à cet ouvrage publié chez Soleil.




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