Le triangle amoureux entre Rom, Brandy et Steve ne se limite pas à un simple artifice narratif, il constitue l’un des moteurs essentiels de l’action. L’intrigue atteint son paroxysme lorsque le fiancé officiel est remplacé par un Spectre noir qui s’apprête à épouser la jeune femme en détresse. Pendant ce temps, le véritable Steve croupit dans une cellule, aux côtés d’un journaliste ayant découvert la vérité sur ces créatures extraterrestres grâce à ses photographies. Bien sûr, le prisonnier parvient à s’évader de manière rocambolesque et interrompt la cérémonie in extremis, sauvant ainsi sa promise d’une union contre nature. Ce mariage à tout prix soulève d’ailleurs bien des interrogations : pourquoi les Spectres noirs tenaient-ils tant aux épousailles ? Leurs objectifs semblent pour le moins étranges pour des entités venues des confins de l’espace. Dans les pages de ce premier omnibus (le premier d’une trilogie prévue), on croise également d’autres personnages de l’univers Marvel, bien qu’ils tardent à réaliser l’ampleur de la menace et donc à intervenir. Au début, seuls des seconds couteaux, comme le Penseur Fou ou un jeune Valet de Cœur, croisent la route de Rom. Mais très vite, des figures plus notables apparaissent, notamment les X-Men (ensuite Nova, ou Galactus), impliqués dans un arc narratif tragique en deux épisodes. Ces derniers se retrouvent confrontés à une créature hybride, née de l’union contre nature d’un Spectre noir et d’une Terrienne. Comment deux espèces aussi dissemblables ont-elles pu engendrer une telle progéniture maléfique ? Mystère. Toujours est-il que cela s’est bel et bien produit. Rom joue habilement la carte du récit conspirationniste. D’abord, parce que les humains sont incapables de percevoir les Spectres noirs à l’œil nu. Ensuite, parce que ces derniers ont infiltré les plus hautes sphères du gouvernement, rendant impossible toute distinction claire entre alliés et ennemis. À chaque page, le doute plane : qui est digne de confiance ? Qui est un traître ? Qui tire réellement les ficelles ? Bill Mantlo mène cette intrigue d’une main de maître, d’autant plus que nous sommes au début des années 1980, une époque où l’imaginaire et l’émerveillement prenaient le pas sur toute exigence de réalisme. L’objectif était avant tout de proposer une bande dessinée divertissante, horrifique et pleine de rebondissements. Peu importait si la science ou la logique venaient contredire certains coups de théâtre ! Le dessinateur de ce premier omnibus est Sal Buscema, petit frère de John Buscema et artiste injustement sous-estimé, malgré son empreinte indélébile dans l’histoire de Marvel. Son style nerveux et anguleux est parfaitement adapté à un récit où les personnages sont constamment traqués, choqués, acculés. Il excelle dans la transmission des émotions fortes, insuffle à chaque planche une tension latente et une expressivité vibrante. Même lorsqu’il est contraint de travailler à un rythme effréné, au détriment du soin apporté aux détails, son talent reste indéniable. À la fin de l’ouvrage, on retrouve également des récits complémentaires intitulés Saga of the Spaceknights, qui, en cinq pages à chaque fois, reviennent sur les premières années de lutte de Rom et de ses compagnons, notamment Starshine et Terminator. Ces deux guerriers, symbolisant respectivement la lumière et l’ombre, l’accompagnent depuis le début de sa grande mission. Il aura fallu attendre quatre décennies pour voir enfin cette épopée publiée en intégralité dans de beaux albums en librairie. Jusqu’ici, toutes les tentatives de compilation avaient été compromises par des problèmes de droits, rendant la réédition des plus de 70 épisodes extrêmement compliquée. Dès la sortie de ce premier omnibus chez Panini, des critiques ont cependant émergé concernant la qualité de la traduction. Jérémy Manesse a en effet choisi de franciser tous les noms de personnages : ainsi, Starshine devient Lumina, et Deathwing se transforme en Morte-Aile. Un choix curieux, surtout pour un lectorat majoritairement nostalgique. Cela mis à part, la traduction ne comporte pas d’erreurs majeures ni de coquilles flagrantes, même si quelques fautes se glissent ici et là. Si vous envisagiez d’acheter cet ouvrage, il n’y a donc aucune raison de vous en priver, d’autant plus que les épisodes publiés à l’époque dans le magazine Strange avaient été massivement censurés et imprimés sur un papier de qualité indigne. La série avait même fini par être purement et simplement abandonnée. Aujourd’hui, les temps ont bien changé pour les comics en France, et c’est tant mieux. Le grand shoot de nostalgie hivernal nous vient de Galador, et on aurait tort de bouder notre plaisir !
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