Faisons un petit saut en arrière, à la fin des années 1980. En 1987, pour être exact. Comme vous le savez probablement, n'importe quel artiste de comics au monde donnerait beaucoup pour illustrer les aventures de Superman; le héros n'est peut-être pas forcément celui qui aujourd'hui déchaîne les foules (encore que…) mais il est depuis des décennies une référence absolue en la matière. Le petit John Byrne a longtemps rêvé de pouvoir un jour atteindre cet objectif. Né en Grande-Bretagne, mais très vite installé (dès l'âge de 8 ans) aux États-Unis, le petit John a dévoré des tonnes de comics et a grandi avec le mythe de l'Homme d'acier en toile de fond. Aussi, lorsqu'il apprend la possibilité de transformer ses désirs en quelque chose de concret, suite à la nécessité de relancer et dépoussiérer le personnage au terme de Crisis on infinite Earths, c'est un cadeau magnifique qui lui est fait. Mais c'est aussi un cadeau qui est fait aux lecteurs. Byrne présente d'emblée certaines exigences qui vont être acceptées immédiatement par l'éditeur DC Comics. Il souhaite gommer une grande partie de tous les ajouts qui ont progressivement étouffé la légende de Superman, partir d'un nouveau numéro 1 (il en aura même deux, puisque une mini série de six numéros va permettre d'introduire un nouveau titre mensuel) et bien entendu carte blanche pour conserver ce qu'il estime indispensable et réécrire ce que nous savions déjà, tout en le modernisant, en polissant sa gemme pour la faire briller de mille feux. Le premier résultat sera donc une mini série en 6 parties intitulée Man of Steel. En partant de l'arrivée d'un jeune enfant (Kal-El) sur notre planète, en illustrant les valeurs et l'éducation qu'il reçoit de ses parents adoptifs (les Kent, fermiers du Kansas), chaque épisode aborde une étape fondamentale dans ce qui servira de construction du plus grand super héros que le monde n'ait jamais connu. La rencontre avec Loïs Lane, celle avec Lex luthor, qui va vite devenir son principal ennemi, un épisode entier centré autour des origines kryptoniennes, tout est peu à peu mis en place de manière très intelligente et claire. C'est d'ailleurs cela la grande force de Byrne; une lisibilité absolue, un parcours linéaire remarquable, sincère et qui ne nécessite aucune circonvolution scénaristique pour aboutir. Fils de son époque, ce Superman est souvent présenté comme une masse physique, parangon de droiture, face à de simples armes à feux qu'il tord entre deux doigts. Toujours enjoué, positif, le personnage est bien loin du super-héros cynique et torturé qui va vite devenir la norme dominante dans les années suivantes. Le "redémarrage" de Superman est solaire, de facture classique, chargé d'espoir.
John Byrne a donc été appelé au chevet de Superman pour redéfinir le personnage, mais il n'est pas le seul dans cette entreprise. C'est lui qui va scénariser et dessiner les deux titres que sont Superman mais aussi Action Comics tandis que Adventures of Superman est un nouveau venu, qui toutefois reprend une numérotation préexistante et est confié à Marv Wolfman et Jerry Ordway. On remarquera d'ailleurs que si la tendance actuelle est à opérer un relaunch chaque année, à l'époque les responsables éditoriaux préféraient s'appuyer sur des séries déjà présentes dans les kiosques et donc une numérotation élevée, même pour ce qui est dans les faits un premier numéro. Dans "Superman" tout court, Byrnes'emploie à poursuivre le travail initié dans sa mini série. On y retrouve Lex Luthor et la double identité du super-héros. Comment se fait-il que personne ne parvient à faire le rapprochement entre Clark Kent et Superman, alors que les deux sont clairement semblables physiquement et que là où le journaliste apparaît, le héros n'est pas présent ? Sans compter les scoops obtenus par un novice en matière de journalisme. Tout cela par la grâce d'une simple paire de lunettes et un subtil changement de coiffure ? Lex est sur le point de percer le secret, et même, admettons le, il y parvient, mais sa superbe et son aveuglement font que même l'évidence ne peut rien face à un caractère obtus et un homme décidément trop sûr de lui. La kryptonite est aussi bien utile au scénariste canadien car c'est le seul moyen d'atténuer les pouvoirs formidables de Superman, que ce soit sous la forme de Metallo, un cyborg inarrêtable, ou tout simplement de munitions extraites d'une roche de kryptonite, qu'emploie un dingue armé censé être revenu du Vietnam avec une fixation pour la violence (Bloodsport). Superman est systématiquement mis à rude épreuve lorsqu'il est confronté à ce minerai mortifère. Adventure of Superman fonctionne plus comme une série traditionnelle. Wolfman propose une écriture classique, avec des ressorts narratifs un peu plus naïfs, comme ce scientifique parvenu à mettre au point un champ d'imperméabilité qui résiste à l'épreuve de toutes les armes conventionnelles ou pas, mais que personne n'écoute. Au point qu'il en perd la tête et décide d'employer ses facultés pour prouver au monde son génie, quitte à inclure Superman dans son délire personnel. Action Comics devient dès lors la revue dans laquelle l'Homme d'acier est associé à un autre personnage important de la Distinguée Concurrence, pour des sortes de team up autoconclusifs. On peut ainsi retrouver le Phantom Stranger ou le Démon Etrigan qui épaulent Superman, pour des aventures sympathiques mais loin d'être à la hauteur des autres épisodes primordiaux de cet album. Il faut aussi mentionner que très vite la trilogie doit modifier son sommaire et s'adapter à un grand évènement alors en cours chez l'éditeur, à savoir Legends. Pour faire simple, cette saga raconte une des innombrables tentatives de Darkseid pour faire régner la terreur. Un de ses hommes de main (Glorious Godfrey) arrive sur Terre et manipule les esprits, dans la peau d'un prédicateur télévisuel influent et écouté par plus ou moins tout le monde. Il parvient à faire voter une loi qui donne la chasse aux super-héros et son but ultime et de tous s'en débarrasser de manière expéditive. Superman, de son côté, va se retrouver téléporté sur Apokolyps, la planète de Darkseid, et là il va se faire retourner le cerveau par la sœur de Godfrey, qui le persuade d'être en fait le fils du tyran local. Ce qui est drôle, c'est qu'àlors que les deux premiers numéros semblaient se diriger vers des histoires plus intimistes et à dimension humaine, on bascule tout de suite dans la saga cosmique, avec des créatures extraterrestres, des combats fantasmagoriques et bien entendu l'apparition des Nouveaux Dieux. Dick Giordano y encre les crayons de John Byrne et le résultat est ma foi de toute beauté. En parallèle à toute ces histoires qui ont marqué le parcours éditorial de Superman, la ligne Chronicles propose en complément une longue série d'articles, sous forme de préfaces, de postfaces ou tout simplement d'analyses ou du courrier des lecteurs. Il y a même en conclusion un petit article signé Ray Bradbury, ce génie de la science-fiction. Vous comprendrez que nous sommes littéralement fans de cette collection et que c'est des deux mains que nous applaudissons l'arrivée de Superman en son sein. Prochaine étape, prochain nouveau venu, le bolide écarlate, Flash.