Pour ceux qui viendraient d'une autre planète ou qui sont radicalement allergiques à la littérature, Le nom de la rose est le premier roman du célébrissime Umberto Eco, publié chez Bompiani en 1980. Il est toutefois fort probable que vous n'ayez pas lu le livre, mais que vous ayez vu l'adaptation cinématographique de Jean-Jacques Annaud, en 1986, avec Sean Connery dans le rôle du personnage principal. L'histoire se déroule dans une abbaye piémontaise, aux environs du XIVe siècle. On peut considérer qu'il s'agit d'une enquête policière et historique, dans laquelle un moine franciscain venu d'Angleterre tente de résoudre le mystère de plusieurs meurtres sanglants. Sauf qu'il y a différents niveaux de lecture, qui vont même jusqu'à la philosophie et l'ésotérisme et que l'ensemble prend la consistance d'un millefeuille savant et fascinant, qu'on ne cesse de découvrir ou redécouvrir encore de nos jours. Quant à Milo Manara, vous le connaissez très probablement en tant que grand spécialiste de la bande dessinée érotique. Seulement voilà, il y a fort à parier qu'il souhaiterait laisser un souvenir un peu plus complet de son œuvre, aussi a-t-il eu tendance ces dernières années à varier les sujets et les approches. C'est ainsi qu'on a pu lire la très belle biographie du peintre maudit, Le Caravage. Pour Le nom de la rose, Manara a tout d'abord obtenu l'accord des héritiers d'Umberto Eco avant d'avoir le feu vert de l'éditeur Oblomov. Il a ensuite commencé à présenter sa création sur les pages de la célèbre revue italienne Linus, toujours à la pointe du meilleur de la BD transalpine et européenne. Manara tente d'être le plus fidèle possible à l'œuvre d'Umberto Eco, au point que ses propres dessins suivent parfois ceux qu'a pu réaliser l'écrivain et qui sont disponibles avec la dernière édition en date du roman, en Italie. La bande dessinée s'ouvre également avec Eco en personne, plus jeune, qui expose au lecteur une histoire de manuscrit qui l'aurait inspiré et à partir duquel tout le reste va naître. Autre remarque que nous pouvons faire d'emblée, l'attention maniaque aux détails, le trait précis et appliqué de Manara, qui plutôt d'ailleurs que de présenter un Sean Connery en action va utiliser l'apparence de Marlon Brando pour son personnage principal.
Ce n'est pas un hasard si le protagoniste de cette histoire s'appelle Guillaume de Baskerville : il est là avant tout pour mener une enquête, pour parvenir à identifier le responsable des meurtres qui adviennent dans un lieu où normalement ce seraient la paix et la méditation qui devraient régner. Les autres personnages importants du roman sont également présents, comme le jeune Adso, qui est aussi le narrateur de l'album et dont la vision un peu plus ingénue des choses permet de guider le lecteur dans une trame qui peut sembler complexe. Pour une fois, ce n'est pas l'art de l'érotisme de Manara qui est le plus important dans ce récit, même si on le retrouve égal à lui-même lorsqu'il s'agit de mettre en scène une des habitants du village, par exemple. C'est plutôt sa capacité à mettre en exergue le détail, l'art de l'époque du Moyen-Âge, la symbologie religieuse et païenne, qui brille à plusieurs reprises, rendant Le nom de la rose en bande dessinée aussi fascinant. Par endroits, par petites touches subtiles, Manara est aussi capable d'envoyer quelques signaux assez ambigus aux lecteurs, qui peuvent interpréter les images et les situations d'une manière un peu plus piquante qu'on ne le devrait. Nous sommes donc tout de même assez loin de la réputation ultra sulfureuse qui accompagne d'habitude cet auteur; par contre nous sommes en plein dans ce que l'artiste est capable de faire de mieux, c'est-à-dire démontrer par sa science du récit et la beauté de ses dessins qu'il s'agit dans des créateurs majeurs de ces cinquante dernières années, pas uniquement pour des courbes féminines et la nudité, mais pour l'ensemble de sa science.
En deux tomes, disponible (tome 1) chez Glénat
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