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THE NICE HOUSE BY THE SEA : C'EST PARTI POUR LE CYCLE DEUX


La première fois, Walter avait réuni dix personnes qui, à des titres divers, avaient compté dans son existence, afin de leur permettre de vivre la fin du monde dans une villa de rêve au bord d’un lac, où les désirs de chacun étaient exaucés à mesure qu’ils leur venaient à l’esprit. The Nice House by the Lake a finalement obtenu le Fauve d’or de la meilleure série en 2024 au Festival d’Angoulême. Le titre est rapidement devenu un best-seller chez Urban Comics, et sa suite était donc attendue avec beaucoup de curiosité. Cette fois, le décor change quelque peu, tout en restant aquatique et attrayant : du lac, nous passons à la mer. The Nice House by the Sea reprend le même principe : deux albums au grand format, de très belle facture, pour ce que l’on appellera désormais le second cycle du récit imaginé par James Tynion IV. Le projet consiste à nouveau à réunir dix personnes, choisie par Max, qui vont avoir l’occasion d’échapper à la fin du monde. Mais cette fois, place à dix figures d’exception : un acteur, une chanteuse, un mathématicien, une politicienne… Tous sont des pointures dans leur domaine, des individus dont les compétences ou les talents justifiaient sans doute une place à part dans l’humanité. Les règles sont à peu près les mêmes, les conséquences aussi, mais avec une nouveauté dans l’équation : ces personnalités n’ont aucune raison de cohabiter et n’ont, a priori, aucun lien entre elles — ce qui risque fort de provoquer quelques tensions… Parmi ces dix nouveaux venus, c’est Oliver Landon Clay, surnommé "l’Acteur", qui occupe le devant de la scène. Il devient notre guide un poil désabusé dans ce nouvel environnement, en nous accompagnant à la découverte des habitants de ce petit paradis baigné de lumière méditerranéenne. Tynion excelle dans l’art de donner à chacun de ses personnages une singularité bien marquée, ce qui les rend immédiatement reconnaissables. Si l’attention est au départ centrée sur Oliver, on sent vite poindre une multitude de pistes intrigantes, prêtes à être explorées, quitte même à perdre le lecteur distrait. Fait important à garder en tête : Oliver entretenait autrefois une relation très étroite avec Walter dans le monde réel, et il s’est montré, au départ, très réticent à l’idée même de faire partie de la "sélection" de Max pour cette nouvelle maison.




Walter (qui est censé être mort, rappelons-le) n’avait, de toute évidence, pas respecté le postulat de départ : les individus choisis par ses soins ne présentaient rien d’exceptionnel et n'incarnaient en rien le parangon de leur discipline respective. Le plus inquiétant, c’est que ces différentes « maisons », au sein desquelles subsistent des groupes d’individus, vont tôt ou tard prendre conscience de l’existence des autres. Et l’on peut parier sans trop de risques que ce ne sera ni l’entraide ni la compréhension qui domineront leurs relations, mais bien l’idée qu’il faut éliminer la concurrence pour pouvoir prétendre à l’immortalité définitive. Oliver, électron libre au cœur de ce dispositif, semble être celui qui en sait le plus. C'est lui que trois des "autres" vont rencontrer en premier. C’est aussi l’une des raisons pour lesquelles il devra se méfier de ceux qui partagent pourtant son camp : ces derniers sont prêts à tout pour obtenir les informations qu’ils convoitent — y compris à recourir aux tortures les plus abominables. Il règne dans cette série un parfum étrange, un petit quelque chose de Bret Easton Ellis mâtiné de science-fiction. Les personnages portent en eux un passé fait de trahisons, de relations déçues, d’égocentrisme exacerbé ou, à l’inverse, d’un vide intérieur jamais comblé. Ils ne semblent exister qu’à travers le regard des autres et exhibent, presque malgré eux, des failles béantes, dans l’espoir qu’un jour, peut-être, quelqu’un parviendra à les refermer. La prestation graphique d’Alvaro Martinez Bueno est, quant à elle, tout bonnement exceptionnelle. Son talent éclabousse chaque page (avec l'aide des couleurs de Jordie Bellaire), transformant chacune d’elles en une peinture saisissante, capable de sublimer même les scènes les plus calmes ou explicatives, les élevant au rang d’expériences immersives. Certes, on pourra sourire devant cette manie qu’ont presque tous les personnages de soliloquer, de se confier sans relâche, livrant à tout bout de champ leurs états d’âme et la manière dont ils se projettent dans la grande fresque de l’histoire. Mais il faut malgré tout saluer le travail d’orfèvre accompli par Tynion IV, avec une montée en puissance émotionnelle et narrative qui tient le lecteur en haleine jusqu’à la dernière page (à partir du troisième épisode le récit s'emballe), et qui donne furieusement envie de découvrir au plus vite la seconde partie de ce cycle 2.
Sortie la semaine prochaine, chez Urban Comics.


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PHANTOM ROAD VOLUME 1 : PRENEZ LA ROUTE AVEC LEMIRE ET WALTA


 Vous étiez peut-être déjà là en 2019, pour la première collaboration entre Jeff Lemire et Gabriel Hernandez Walta : il s'agissait d'une histoire publiée chez un éditeur américain mineur, TKO, du nom de Sentient. De la science-fiction (trans)humaniste, particulièrement bien assaisonnée. Phantom Road, cette fois chez Image Comics, se présente d'une façon très différente. Ici, nous sommes sur ces routes américaines parfois aussi arides qu'interminables, avec un conducteur de poids lourds prénommé Dom. Le type est accablé par une forme de tristesse et de solitude qu'on devine dès les premières planches, lorsque son regard est plongé dans son propre reflet, dans le pare-brise. Il faut dire qu'une scène flashback nous montre un quotidien peu reluisant à la maison, puisqu'il est censé tromper sa femme et passer bien trop de temps à s'occuper de leur enfant. Dom va faire une rencontre inattendue lorsqu'il évite de justesse un véhicule qui semble s'être retourné sur l'asphalte. Un accident qui a fait un mort mais aussi une rescapée, une jeune fille qui répond au sobriquet de Birdie et qui voyageait en compagnie de son fiancé. Birdie et Dom ont à à peine le temps de faire connaissance de la plus sommaire des façons qu'ils se retrouvent dans une situation aussi inattendue qu'inexplicable. Tout autour, la réalité semble avoir changé et ils sont maintenant face à un paysage quasi lunaire et désertique, traversé par des créatures à mi-chemin entre le fantôme et le squelette, silencieuses et effrayantes. Notre routier à une bonne idée pour se sortir de cette situation incongrue : un pied-de-biche et foncer pied au plancher, ce qui vous l'aurez compris n'est pas suffisant pour apporter des éléments de réponse à un mystère qui ne va faire que se stratifier, au fil des épisodes.




Dom et Birdie ne sont pas les seuls personnages importants de cette histoire, puisque nous allons aussi faire la connaissance d'une agent du FBI qui tente à sa manière de résoudre le mystère de la situation que nous avons sous les yeux, ainsi que un homme en chemisette qui pourrait bien être la clé de voûte de l'ensemble. Et puis, il faut aussi mentionner ces relais d'autoroute, des sortes de stations-service/épiceries appartenant à la chaîne Billy Bear, qui semblent constituer de véritables nexus permettant de passer d'un monde à l'autre, du nôtre à celui totalement étrange et singulier dans lequel pénètre les protagonistes de ce récit. Assez curieusement, Lemire offre cette fois une histoire un peu plus désincarnée que d'habitude. On retrouve certains des thèmes chers à l'auteur, comme par exemple les relations familiales dysfonctionnelles, mais c'est un peu moins présent, un peu moins prégnant que dans ses œuvres les plus connues. Il y a du mystère, beaucoup, mais il y a aussi de l'horreur et il flotte un parfum qui n'est pas sans rappeler ce qui a été publié récemment chez le concurrent, avec la série The bone orchard. Autrement dit, si c'est intéressant (voire fascinant) à bien des égards, c'est aussi un peu hermétique et le lecteur devra encore beaucoup patienter s'il veut comprendre parfaitement ce qu'il lit. C'est bien le défaut de ce premier tome que de n'apporter aucune réponse, nous plonger dans une situation qu'il est impossible de déchiffrer et nous amener forcément à attendre la suite pour y voir plus clair. C'est un pari risqué d'autant plus qu'à 22 € pour 5 épisodes, il n'est pas certain que ce genre de série indépendante (même s'il y a Lemire au scénario) trouve forcément son public (ce n'est pas un hasard si Panini solde en ce moment le pourtant très bon Family Tree). De son côté, Walta apporte une science du storytelling et une clarté dans l'exposition des enjeux qui est extrêmement bienvenue, le tout magnifiée par les couleurs de Jordie Bellaire, le plus souvent dans des tons sablonneux et bistres d'un assez bel effet. Phantom Road a donc beaucoup d'atouts pour séduire une grande partie du lectorat, mais il faut être aussi honnête, ce premier volume apporte plus de questions que de réponses et risque de laisser beaucoup de monde sur sa faim. D'autant plus qu'en VO la série est en pause, et que Lemire affirme avoir bien moins d'appétence en ce moment pour l'écriture d'histoires horrifiques… 



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THE NICE HOUSE ON THE LAKE TOME UN : L'HORREUR SELON JAMES TYNION IV


 Sérieusement, vous l'imaginez comment, la fin du monde ? Certainement pas dans une villa de rêve, surplombant un lac, avec la possibilité d'observer chaque matin un lever de soleil des plus formidables. C'est pourtant ce qui va se produire dans ce récit très surprenant, mené d'une main de maître par James Tynion IV. Au centre de l'histoire, un certain Walter, qui a convié dix personnes parmi ses connaissances pour des vacances un peu particulières, dans une villa faramineuse. Des individus qu'il a connus à l'époque du lycée ou bien celle de la fac, sans oublier la petite dernière, Ryan, dont le rôle semble en fait singulier depuis le départ, si on l'inscrit dans la "chronologie amicale" de l'ensemble. L'invitation ressemble à première vue à des vacances de rêve; le problème, c'est qu'à peine avoir pris possession des lieux, voici qu'apparaissent sur les réseaux sociaux des images totalement effrayantes. La civilisation est tout simplement en train de s'effondrer, des sortes de flammes descendent du ciel et des villes entières sont détruites à l'instant, tandis que les gens voient leur épiderme fondre et que l'Amérique est à genoux, en quelques minutes. Il semblerait que les seuls survivants de la planète soient au final les membres de la brigade réunis par Walter, qui s'avère être donc quelqu'un de totalement différent par rapport à ce que les autres pensaient de lui jusqu'ici. Il avait toujours été une sorte d'amis précieux, capable de démontrer de l'affection et de l'amour à haute dose, quelqu'un sur qui on pouvait compter et qui dégageait un magnétisme évident. Maintenant, il tient un discours carrément énigmatique, notamment quand il évoque les décisions qu'il a dû prendre "avec les siens" et semble être au centre d'un événement totalement inattendu et surnaturel. Avant de disparaître ! En quelque pages, le récit bascule dans l'horreur et ce qui semblait être un havre de paix où bénéficier d'une villégiature faite de calme, luxe et volupté, devient une bulle dramatique, dont il n'est pas possible de s'échapper et qui constitue le dernier refuge d'une planète condamnée.


Au centre des enjeux, l'exploration des relations interpersonnelles qui régissent des amitiés de longue date et des quasi-inconnus, qui révélent progressivement des détails en se concentrant sur un personnage à la fois, épisode après épisode. James Tynion IV, qui vient de connaître la consécration avec Batman, livre une histoire dans laquelle il évoque subtilement les sensations vécues par bien des lecteurs durant la pandémie, lorsque nous avons tous (ou presque) été forcés de rester à la maison (et de nous signer de bien étranges dérogations pour sortir une heure dans un rayon très limité), suspendus dans une sorte de limbe, dans l'attente d'une fin de confinement qui tardait toujours à venir. La fin du monde étant pour nous autres la vision apocalyptique dépeinte par les médias, qui nous fut servie durant de longues semaines, du matin au soir, sur tous les canaux d'information. Pour revenir à notre ouvrage, le lecteur peut aussi avoir un peu de mal à identifier immédiatement tous les personnages, introduits rapidement lors des premières pages, et il faut parfois revenir en arrière pour récupérer les informations les concernant, et qui aident l'histoire à avancer. Mais tout cela contribue à rendre tangible le malaise et les interrogations des différents protagonistes : avez-vous déjà été à une soirée où vous ne connaissez que superficiellement la plupart des personnes présentes et où vous devez vous forcer à vous souvenir de tout un tas de choses les concernant, dans l'espoir d'avoir des interactions et de ne pas finir seul au bar ? Ici, ce sentiment imprègne toute l'œuvre, tandis que les liens entre tous les hôtes de la maison se dévoilent et s'approfondissent peu à peu, alors que chacun affronte à sa manière l'apocalypse ouatée et essaie de trouver un moyen de sortir du périmètre délimité par la villa et son parc, ou bien découvre de nouveaux détails angoissants sur sa condition. Ce premier tome est un crescendo de malaise et de mystères, qui à la fin de ces six premiers épisodes atteint un point de rupture intéressant, avec notamment l'entrée en scène tardive de celui qui connaît probablement mieux Walter que tous les autres, et qui a un rôle fondamental à jouer dans la compréhension finale des enjeux (qui sont toujours nébuleux, mais commencent à signifier quelque chose). Les dessins d'Alvaro Martinez Bueno, accompagnés des couleurs (sublimes, car en accord avec l'ambiance étouffante) de Jordie Bellaire, parviennent très bien à représenter les différentes tonalités de l'histoire, passant très vite de situations idylliques (les vues romantiques et le luxe de la villa) à l'horreur la plus troublante et incompréhensible (ce que devient Walter, qui n'est clairement pas humain). L'expressivité des hôtes de la maison est très bien rendue, même s'il n'est pas simple d'identifier immédiatement chacun d'entre eux, au premier abord. De plus, comme il ressort également des couvertures, l'utilisation de la lumière est magistrale tout au long de ces six épisodes, grâce à une splendide synergie entre dessins et couleurs. Parfois, Tynion IV insère des planches qui reproduisent des conversations sur Internet, ou des feuillets qui retranscrivent les conversations intimes, de manière à approfondir des points de détail (en apparence) ou expliciter certaines relations. The Nice House on the Lake déroute, séduit, et nous enchante aussi pour le contenant. L'album grand format édité par Urban Comics est disponible au prix très raisonnable de quinze euros; on a connu des éditeurs plus gourmands, pour beaucoup moins de matériel. Bref, un Eisner Award de la meilleur nouvelle mini série (2022) qui n'est pas usurpé, et une bonne raison de frissonner en cette fin d'hiver. 





BATMAN IMPOSTER : DERNIÈRE LECTURE AVANT "THE BATMAN"


 Il y a quelque chose de familier et en même temps de totalement différent, dès les premières pages de cet album. Si nous sommes bien plongés dans l'univers de Batman, rien ne ressemble à ce que nous sommes coutumier de lire. C'est que l'esthétique est ici bien plus proche du film à sortir en salle, que des comics actuels; d'ailleurs, même physiquement, ce Batman là ressemble avant tout à Robert Pattinson. C'est "un héros" plus fragile, plus instable, que celui capable de se mesurer à Darkseid ou d'emmener la Justice League dans des missions improbables. Il ne disparaît pas de manière surnaturelle devant les yeux du commissaire Gordon, mais utilise tout un système de poulies à travers la ville, pour se déplacer et assurer ses effets. De même, un réseau de motos est disséminé à travers Gotham, et c'est le moyen de transport privilégié qu'il emploie. C'est donc un Batman particulièrement urbain et tâtonnant qui nous est proposé, un homme qui depuis trois ans mène une croisade sans fin, qui semble porter quelques modestes fruits, mais qui l'oblige à se mettre en danger chaque nuit. Au point que lorsqu'arrive l'aube, son corps et son esprit sont parcourus par de nouvelles blessures, systématiquement. C'est d'ailleurs ainsi que s'ouvre Batman Imposter, lorsque la chauve-souris débarque chez la psychothérapeute Leslie Thompson, qui le connaît bien pour s'être occupé du jeune Bruce Wayne après l'assassinat de ses parents. Sérieusement blessé, il finit alors par être recueilli et soigné chez la thérapeute, qui découvre que sous le masque se cache son ancien patient. Dès lors, en échange d'une thérapie matinale tous les jours, elle promet de garder le secret de la double identité; une forme de petit chantage pas forcément inutile, puisque ce Batman là semble avoir sérieusement besoin d'ancrage et de repères. Le pire arrive lorsqu'une vague de meurtres inédite traverse Gotham. L'assassin n'est autre que Batman, comme démontré par les vidéos de surveillance, alors que les victimes sont d'anciens criminels qui ont échappé à la justice ou n'ont pas été suffisamment punis. On le sait tous, le Dark Knight ne tue pas, et pourtant les images parlent clairement. Cette fois les méthodes sont expéditives, et la ligne de démarcation est bel et bien franchie !



En fait, ce Batman là n'a pas réponse à tout, et on pourrait même exagérer en répliquant qu'il n'a de maîtrise sur rien. Quand il effectue une incursion pour obtenir des informations, il ne frappe pas assez fort la sentinelle de garde, qui peut donner l'alarme. Quand il trouve sur sa route une jeune et jolie inspectrice qui remonte la piste des nombreuses motos abandonnées dans Gotham (seul un milliardaire généreux comme... Bruce Wayne, pourrait se permettre de tels engins), il tente de l'attirer dans ses filets, mais en tombe amoureux, au point que c'est lui qui est pris au piège de cette relation. C'est un Batman obsédé et imparfait, un héros qui n'a pas encore les épaules assez larges pour assumer sa croisade, et d'ailleurs, l'absence de référents logistiques et aimants (comme le majordome Alfred, qui a cherché à se débarrasser du petit Bruce Wayne, dont le comportement était proprement hystérique) ou d'alliés dans la ville (le commissaire Gordon autrefois, mais lui aussi est "tombé" pour avoir collaboré avec le Dark Knight) en fait une âme perdue, solitaire, faillible au plus point. Mattson Tomlin (auteur de quelques films, pas tous brillants, comme le bien mauvais Project Power, Mother/Android, ou du scénario du Batman de Matt Reeves) a le mérite de trouver encore à dire sur le personnage, en le plaçant dans une situation de crise, esseulé, en humanisant ses faiblesses et ses doutes. L'ambiance est sombre à souhait, les ombres mangent littéralement la ville et les planches, et le découpage syncopé d'Andrea Sorrentino, qui joue des onomatopées, des petits détails pour souligner les chocs, le déséquilibre, à travers des contrastes paroxystiques, est grandement apprécié. Jordie Bellaire aux couleurs accentue encore ces effets chromatiques, et on est presque à la limite de la lisibilité, parfois, tant la lumière semble disparaître par endroits. L'imposteur, pendant ce temps, c'est celui qui ose faire ce que ce Batman là rêve probablement d'accomplir, sans jamais se permettre de franchir le pas. Il tue, il raisonne, il organise, c'est presque lui qui se comporte comme le Batman traditionnel, dans sa manière de garder un coup d'avance. L'imposteur c'est alors aussi cette version de Tomlin, ce Dark Knight soudain descendu de son piédestal, contraint à une psychothérapie matinale quotidienne, amoureux et malmené, ce Batman étrange, humain, avatar vulnérable mais non pas moins passionnant ou tragique.


 



LA VISION UN PEU MOINS QU'UN HOMME : LE CHEF D'OEUVRE DE TOM KING

Retour chez Panini, dans un bel album complet, de la maxi série de Tom King, qui a su plaire au plus grand nombre, et concilier exigence artistique réelle. Vite, on s'y replonge.
La Vision n'est pas fait(e) de chair et de sang. Ce n'est pas non plus une simple créature mécanique, plutôt un synthézoïde, c'est à dire un androïde dotés de circuits cybernétiques si complexes qu'il semble être aussi humain que vous et moi, en certaines occasions. D'ailleurs au long de sa carrière, la Vision a connu l'amour et le mariage avec Wanda Maximoff, puis est devenu père de deux enfants. Hélas, les choses ont vite dégénéré (il serait trop long de tout vous expliquer ici) et le voici à nouveau sur le chemin de la maîtrise totale des émotions, à travers une expérience paradoxale : s'installer dans une petite bourgade paisible de Virginie, pour y vivre avec sa famille. Car oui, l'Avenger est désormais en couple, avec deux nouveaux jumeaux pour progéniture. Tous les quatre sont des synthézoïdes, les deux petits des croisements des schémas cérébraux de papa/maman, encore en développement, comme de vrais adolescents. Un mystérieux narrateur annonce d'emblée l'arrivée de personnages sur la scène, et leur mort tragique dans les flammes, alors que l'ambiance paisible et caricaturale de la petite maisonnette, avec jardin et american way of life rassurante, s'oppose totalement à la prophétie énoncée, celle de la fin des Avengers et même de notre monde, au terme de cette aventure! La Vision a sauvé la planète environ 37 fois, comme cela sera énuméré dans un épisode, mais pourra t-il sauver sa propre famille, Virginia, Viv et Vin, lorsque les événements tragiques vont commencer à se succèder, comme un terrible effet domino? Tout commence lorsque le Moissonneur rend visite à l'épouse synthézoïde et la menace, ainsi que ses enfants. Il s'agit là du frère de Simon Williams, dont les schémas cérébraux ont été employés pour bâtir la personnalité de Vision. Le vilain ressent une haine viscérale, et souhaite faire disparaître ces aberrations de la nature, mais il n'est pas de taille, bien qu'en mesure de produire des dégâts notables, comme envoyer la petite Viv sur la touche, en salle de réparation intense. Illusions, incertitudes, logique et illogisme, c'est autour de ces concepts que la vie quotidienne est rythmée au foyer, avec les discussions des époux synthétiques, et les micro-événements de tous les jours, de la visite de courtoisies entre voisins méfiants, à l'adaptation des "enfants" dans un milieu scolaire inadapté.

Une évidence s'impose : cet album ne ressemble en rien à aucune autre parution super-héroïque de ces dernières années. Ici la Vision est au centre d'un récit qui parle certes de meurtre, mais surtout des petits mensonges qui sont les fondations du bonheur, du besoin de cacher tout ou partie de la réalité pour ne pas souffrir, du sentiment d'aliénation que le quotidien des résidences pavillonaires américaines finit par exercer sur ces familles, prises au piège de la recherche de la perfection apparente. C'est à dire proposer une image lisse et respectable pour l'extérieur, quitte à ce que lorsque la porte se ferme, les choses soient bien différentes au foyer. Tom King sépare subtilement la trame en trois pistes distinctes. Les errances de la femme de Vision, qui ne se contrôle pas et se laisse gagner par les émotions (même synthétiques) et doit en payer le prix, remords compris. Le mari super-héros, qui pour vivre pleinement cette nouvelle expérience opte pour des choix sans retours, et les enfants, qui se heurtent à une adolescence compliquée, où les interrogations restent la plupart du temps sans réponse précise. En prime, la référence littéraire constante dans cet album est le Marchand de Venise, de William Shakespeare, qui interroge le sens et l'existence du sentiment de vengeance, et de l'amour si absolu qu'il engendre forcément le sacrifice. Nous sautons allégrement des considérations philosophiques à la science-fiction chère à Isaac Asimov, tout en gardant le format et les automatismes d'un comic-book, et si je peux me permettre, d'un extraordinaire comic-book.
Si ce thriller fonctionne aussi bien, c'est grâce à Gabriel Hernandez Walta, dont le style épuré et immédiat cherche avant tout à capter l'essence des émotions sans surcharger ses planches, et les couleurs toujours pertinentes de Jordie Bellaire, qui assombrit le propos et parvient à miner la sécurité du foyer par le simple jeu des teintes choisies, qui évoluent au fil des pages. Indispensable, ça va sans dire. 


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MOON KNIGHT TOME 3 : LA FIN DE L'EXCELLENT RUN DE JEFF LEMIRE

Toute la carrière de justicier Moon Knight est basée sur ses problèmes psychologiques, ses multiples identités fragmentées, qui font que Marc Spector n'est pas toujours lui-même, et que la vérité est bien souvent insaisissable. Ce n'était pas évident pour Jeff Lemire, de reprendre cette série, car nous avions l'impression que tout avait été plus ou moins dit auparavant; pour autant le génial scénariste canadien s'est attelé à la tâche en reprenant -un sacré pied de nez- tous les éléments que nous connaissions déjà. Mais Lemire n'est pas si intéressé par la résolution du problème, ce n'est pas dévoiler définitivement et clairement l'identité dominante de Marc Spector qui l'intéresse, mais plutôt le cheminement le jeu avec la réalité, ou ce que nous percevons comme telle. En somme le but et l'objectif final sont moins importants que le voyage pour y parvenir... et quel voyage! 
Ce tome 3 nous le confirme, ce fut un run de grande qualité, artistiquement irréprochable, d'autant plus que les dessins de Greg Smallwood sont extraordinaires, car ils transmettent des émotions fortes et un style qui suinte la folie lantente. Il enrichit le récit par des solutions visuelles et un montage des planches qui donnent en permanence la sensation de danser sur le rasoir, le précipice, mais on ne tombe jamais dans l'abstraction ou le brouillon, on est juste happés par le merveilleux froid et clinique qui se dégage de certaines pages, à mi-chemin entre classicisme et expérimentation.

C'est aussi une histoire d'acceptation que ce tome 3. Spector est malade. Son esprit est fragmenté et plus que de prétendre guérir et de devenir enfin quelqu'un de stable, unique et rassurant (vive la norme dominante), il finit par intégrer définitivement ses différentes identités, comme autant de facettes de son existence, sans lesquelles il ne serait pas vraiment ce qu'il est aujourd'hui. La grosse blague dans l'histoire, c'est que le mal absolu est donc Konshu, ce dieu lunaire, qui lui aurait conférer des pouvoirs. D'ailleurs, nous gardons le conditionnel... en est-il bien ainsi? On referme ce volume, et donc on quitte Jeff Lemire, sans avoir résolu cela non plus. Pourtant nous en sommes très heureux; nous avons assisté à 14 épisodes qui frôlent le sans-faute, sans avoir besoin de se mêler au reste du Marvel Universe, complètement autonomes, et jouant avec la démence et le concept même de réalité. De plus mis en couleur de manière éblouissante par Jordie Bellaire, qui rappelons-le est aussi pour beaucoup dans la prestation magistrale de Smallwood. Ces trois tomes de Moon Knight par Jeff Lemire sont vraiment des indispensables, et font partie du tout meilleur de la production de Panini ces dernières années. 


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PUNISHER THE PLATOON #1 : GARTH ENNIS & GORAN PARLOV, WHAT ELSE?

La question de savoir s'il convient d'investir sur la mini-série Punisher The Platoon est résolue, dès l'instant où l'on jette un œil à l'équipe artistique qui s'occupe de ce projet. Garth Ennis et Goran Parlov ensemble, voilà qui met fin aux discussions. Nous retrouvons Frank Castle au Vietnam, mais cette fois il s'agit de sa toute première incursion dans cette guerre, à une époque où l'homme était encore relativement naïf (façon de parler), alors qu'il n'avait pas encore fait verser le sang, comme il allait ensuite en être coutumier. Bref, même si au fond de lui une violence latente et une radicalisation de ses décisions attendaient d'exploser, car probablement en gestation, ce Castle là est encore un minimum optimiste, et il est tout sauf le Punisher. 
L'histoire se raccroche directement à un des volumes de la collection Max intitulé Valley Forge, Valley Forge. Nous y retrouvons d'ailleurs certains des personnages, et ceci dès la première planche, alors que les anciens compagnons d'armes de Castle se retrouvent et évoquent le "bon vieux temps" de la guerre. Le narrateur de cette histoire est d'ailleurs le même et on devine clairement qu'il s'agit d'Ennis lui-même. Difficile de mettre sur place une trame passionnante, quand on sait que les personnages vont survivre et animer un album qui a été publié précédemment. Pour autant les moments d'intimité et le quotidien au Vietnam sont fort attachants et justes, et Ennis abandonne pour une fois son côté grand guignol et jouant la surenchère, pour se concentrer sur une sorte de diagnostic désabusé, confirmant la perte définitive de l'innocence de l'Amérique et la spirale invraisemblable de violence et de désespoir qui va en naître. 
Goran Parlov est donc logiquement de nouveau l'artiste chargé de dessiner l'ensemble. Qui mieux que lui pour caractériser un Punisher massif, impressionnant, qui s'exprime à travers le corps, avant même d'ouvrir la bouche? Pourtant son Castle est réellement plus jeune, plus frais et humain. Les soldats autour de lui sont tous aussi très bien caractérisés, visages, postures ou regards. Parlov anime la jungle avec un talent qui se passe d'effets spéciaux et de rodomontades, son trait et sa lisibilité sont aussi honnêtes que puissamment évocateurs. De plus il est épaulé aux couleurs par Jordie Bellaire, qui est capable de fournir une prestation remarquable, d'une sobriété et justesse exemplaires. Assez curieusement, ce premier numéro de The Platoon et tout sauf explosif et sanguinolent, c'est plus une tranche de vie amère, les premiers pas encore hésitants, dans ce qui va devenir un enfer inexorable et familier. Il n'y a donc pas l'ombre d'un doute à investir dans cette parution, et c'est un Punisher aussi différent qu'indispensable, qui va être en scène dans ces six épisode. N'attendez pas, jetez-vous dessus.





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ALL-STAR BATMAN TOME 1 : MON PIRE ENNEMI

All-Star Baman était annoncé comme un titre anthologique et hors continuité, avec différents artistes de renom prêts à se succéder le temps d'arcs narratifs distincts. Tout un programme alléchant, d'autant plus que nous trouvons aux manettes, pour les grands débuts, Scott Snyder et John Romita Jr. Le premier cité a abandonné son sceptre de scénariste sur la série régulière de Batman, mais il reste donc dans l'orbite du justicier qu'il a accompagné plusieurs années durant. Pour le coup, le voici guéri de son obsession pour le Joker (on l'a un peu trop vu, soyons honnête) et apte à repartir sur de nouvelles bases. En fait les premières pages ne sont pas très claires car l'action évolue à rebours. On part d'une situation donnée, pour petit à petit dénouer les fils qui y ont menés. Une structure narrative éclatée donc, avec de surcroît une sorte de compteur kilométrique qui rythme l'action, avertissant le lecteur du chemin parcouru et toujours à parcourir, pour la résolution de l'intrigue. Et on se rend compte que le vilain choisi pour All-Star Batman est Double-Face. Un ennemi intéressant et effrayant,  avec un coté sombre et psychopathe, qui formule ses habituelles machinations, mais aussi la version "Harvey Dent" qui se rend tragiquement compte du danger qu'il est devenu. C'est d'ailleurs pour cela qu'il met au courant son adversaire d'un lieu secret où il pourrait le mener, pour qu'il cesse enfin de nuire. Le problème est que l'autre partie de sa personnalité a prévu un plan diabolique pour l'en empêcher, qui englobe de lourds et peu reluisants secrets, dont tous les habitants de Gotham semblent être détenteurs. Bref, Batman va devoir faire un choix, à savoir emmener Dent dans ce repère mystérieux pour lui administrer un remède, ou échouer, probablement tué ou ralenti par la horde déchaînée de celles et ceux qui sont stimulés par la récompense de Double-Face, ou souhaitent conserver leur "jardin secret". Un méchant tellement dingue, avec des actions tellement absurdes et nihilistes (une pluie acide chargée dans les nuages, par exemple) qu'il en vient à ressembler (tiens comme c'est bizarre) au Joker...

Il y a de bonnes idées et des fulgurances qui vont probablement vous plaire, c'est certain. Batman la tronçonneuse à la main est un des moments les plus réjouissants de ces dernières années. La foule du bled paumé où atterri le Dark Knight, et l'appat du gain qui la pousse a prendre parti, est aussi bien vue, et montre que Snyder a encore pas mal de trouvailles dans son sac. Mais la course en avant assume parfois des tons grotesques, avec un Batman meurtri (face à KG Beast qui est à deux doigts de le briser) ou carrément lourdement handicapé (de l'acide dans les yeux) mais qui fini par s'en remettre en quelques minutes, comme si de rien n'était. Too much, vraiment. Pour mettre en valeur l'ensemble, Romita Jr se décarcasse et nous prouve que l'heure de la retraite n'a pas encore sonné. Requinqué par son arrivée chez Dc, et tout particulièrement par le rapprochement avec l'univers de Batman, le voici à nouveau en mesure de nous offrir des planches qui suintent le dynamisme et le mouvement, bien qu'elle soient, d'une certaine manière, toujours aussi empreintes des qualités et des défauts de l'artiste. On remarque encore cette manie de flirter avec la caricature et de torcher les visages sans soin particulier (ici on dirait vraiment du Kick-Ass), mais c'est indéniablement musclé et assez tonique pour faire passer aux lecteurs d'agréables moments. En complément nous avons une back-up story en quatre parties qui se focalise sur le personnage de Duke Thomas, par ailleurs bien présent dans l'histoire principale. Que lui réserve Batman? Pas un vrai rôle de Robin, puisqu'il n'a de cesse de répéter que l'heure est venue d'essayer autre chose. Declan Shalvey et Jordie Bellaire font du beau travail, comme ils en ont l'habitude, et sont les artisans de ce qui pourrait être une nouvelle dynamique dans le quotidien des héros de Gotham. Un All-Star Batman qui sort l'artillerie lourde et flirte constamment avec l'overdose, une sorte de blockbuster surdopé qui n'envisage pas la crédibilité comme argument de vente, mais plutôt la surenchère et le spectacle permanent. Enjoy (ou pas). 



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PETER PARKER THE SPECTACULAR SPIDER-MAN #1 : LE RETOUR DU TITRE AVEC CHIP ZDARSKY

Un des plaisirs de lire les aventures de Spider Man est constitué par les problèmes divers et variés que peut rencontrer l'homme sous le masque, Peter Parker. Il faut bien l'admettre, dévoré par un fort sens des responsabilités, poursuivi par une malchance hors du commun et probablement pas très doué pour une vie sentimentale stable, le héros est source d'aventures qui peuvent aller du tragique absolu au cocasse le plus complet. On a souvent aussi beaucoup souri avec lui. Mais depuis que Dan Slott a pris les choses en main, nous avons eu bien du changement. Il a transformé Spider Man ces mois derniers en un richissime industriel, qui parcourt le globe. Il faut donc admettre que la vie quotidienne de Peter avait été un peu négligée, et avec Chip Zdarsky aux manettes, ce sera le contraire. D'emblée nous retrouvons Spider-Man sur un toit, en pleine discussion avec la Torche, un de ses amis de toujours, pour le genre de tranche de vie qui ont rythmé les décennies de la série. Il suffit d'un braquage improvisé pour que soit rompue la monotonie, pour qu'en plus notre héros fasse la connaissance d'une charmante créature (Rebecca) qui pourrait bien devenir une nouvelle attraction sentimentale, une romance dans les prochains mois. De nombreuses invités parcourent ce premier numéro, avec par exemple Ant-Man qui a quelques problèmes pour rétrécir puis retrouver sa taille normale, Uatu Jackson, l'ancien petit génie des labos Horizon ou encore le frère du Bricoleur, ce génie criminel qui fournit tous les cinglés en attirail technologique, et qui semble beaucoup plus sympathique et disponible que le frangin. Le ton est très différent de l'autre série mère consacrée à Spider-Man... ici tout est lumineux, divertissant, rafraîchissant, et Adam Kubert s'efforce d'insuffler cette énergie positive dans ses dessins, peut-être moins soignés que parfois, mais toujours sympathiques et pétillants (et la couleur de Jordie Bellaire aide pas mal en ce sens). Une backup story permet aussi d'admirer les crayons de Goran Parlov, qui donne un aspect plus massif et sérieux à son Spider-Man, dans quelques pages où nous retrouvons aussi Black Widow. A défaut d'avoir entre les mains une parution absolument indispensable et qui bouleverse le lecteur, Spectacular Spider-Man s'avère ressembler à une bouffée d'oxygène salutaire, la lecture à recommander pour ceux qui aiment se divertir avec le tisseur, et pas uniquement s'extasier pour son côté sombre.


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BATMAN #24 (REVIEW VO) : LETTRE OUVERTE A CE GRAND SENSIBLE DE BRUCE WAYNE

Cher Bruce,
Je viens d'apprendre pour le twist qui clôture le dernier épisode en date de tes aventures en tant que Batman.
Que pourrais-je te dire..? Tu sais très bien, tout comme moi, qu'il y a deux choses qui font tourner la tête des femmes et facilitent grandement leur conquête : avoir un physique d'enfer et surentraîné, avec un corps sculpté dans le marbre, ou bien posséder de l'argent, beaucoup d'argent, à ne plus savoir quoi en faire. Toi tu es vraiment vernis puisque tu as les deux. Je t'ai déjà vu ouvrir une bouteille de bière rien qu'en contractant tes abdominaux, faisant ainsi sauter la capsule sans une égratignure. Et tu dépenses chaque semaine l'équivalent du PIB d'un État africain, rien que pour l'entretien et le nettoyage de ta Batcave. Du coup je t'ai connu au bras des plus splendides créatures, mais souvent de celles d'un coup d'un soir, et encore... quand tu ne devais pas sortir pour aller jouer les chauves-souris sur les toits de Gotham! On ne peut pas dire que ta vie sentimentale soit une grande réussite. Si tu joues au playboy pour sauver ton identité secrète, ta vie sexuelle et affective se résume quand même a pas grand-chose. On est loin du super-héros au lit et dans les affects.
Enfin bref tout ça pour dire que je viens d'apprendre et je suis étonné. Si quelqu'un devait finir par te mettre la corde au cou, j'imaginais que ce serait le Joker, au terme d'un combat qui te verrait suspendu dans le vide, en train d'étouffer, la gorge prise dans un nœud marin. Et bien non, tu es allé faire ta demande bague en main, comme n'importe quel petit employé transi qui essaie de choper sa collègue de bureau pour la vie. À elle en plus, qui n'est pas forcément un exemple de moralité absolue, même si la voir se balader dans une combinaison en latex toute la nuit ferait venir les pires idées au plus chaste des moines bouddhistes.
Sois heureux Bruce, sincèrement... même si j'ai bien l'impression qu'il ne s'agit que d'un expédient narratif que ton scénariste du moment, Tom King, t'a réservé pour te compliquer encore davantage la vie. Franchement ça craint trop d'être un super héros en ce moment.



Blague à part ce numéro 24 de Batman propose une réflexion fort intéressante sur les états d'âme du personnage, à travers le discours de Gotham Girl, qui interroge les motivations du héros, mais aussi par le biais des récents événements comme la fin du crossover The Button, avec la rencontre entre Bruce Wayne et son père. Tom King dresse un tableau édifiant des peurs et tourments qui assaillent désormais le Dark Knight. Il met ici un terme à un an d'histoires depuis le début de DC Rebirth, avec un épisode qui fera couler beaucoup d'encre mais qui se révèle subtil et fort bien écrit. David Finch et Clay Mann s'alternent au dessin, pour créer deux lignes narratives distinctes, magnifiées par les couleurs de Jordie Bellaire. C'est beau et sensible, beaucoup plus intelligent et malin que cela semble à première vue, et même si la décision ne plaira pas à tout le monde, il faut de toutes manières lire la suite pour comprendre vraiment où veut en venir l'auteur. Info ou intox? Wait and see.




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INJECTION TOME 1 : DU WARREN ELLIS A DIX EUROS CHEZ URBAN COMICS

Maria Kilbride, ainsi que quatre autre génies de sa trempe, furent appelés à faire partie de l'unité des contaminations culturelles croisées. Leur mission était des plus simple, anticiper la prochaine grande révolution de l'humanité, qui dopée par les progrès constants de la science, sera appelée à une véritable mue épocale. Chacun de ces génies a été choisi pour un secteur de compétence bien particulier, afin de couvrir tous les domaines importants du savoir possible. Retour au présent ; la situation est dramatique. Maria est internée dans une structure psychiatrique, et une mystérieuse entité non humaine a accédé à la conscience, pour briser les certitudes de l"humanité, et rendre tangible tout ce qui appartenait au domaine de la chimère et de l'improbable. Technologie futuriste ou simple folklore populaire, tout est possible. Mais qu'est donc vraiment cette Injection, qui est (vous l'aurez deviné) le fruit des cerveaux débridés de Maria et de ses collègues? Voilà, vous avez compris l'essentiel de la trame de cette histoire, qui part ensuite dans tous les sens et refuse avec persistance de suivre un cheminement classique, pour apparaître éclatée, destructurée, à première vue, c'est à dire en fait exiger une lecture patiente et approfondie, en réalité. Le récit fonctionne sur plusieurs niveaux avec deux veines temporelles qui se croisent, tandis que les révélations sont régulièrement dosées, avec leur lot de coups de théâtre qui ouvrent de nouvelles portes dans un grand ensemble qu'on devine foisonnant. Tous les personnages ont leur importance dans Injection, et chacun semble se mouvoir comme le pion d'un échiquier, partie individuelle et décisive d'un grand tout qui ne se laisse guère entrevoir. Warren Ellis réussit le tour de force de passer d'un lieu à l'autre, d'un personnage à l'autre, d'une ligne temporelle à la suivante, sans jamais se perdre, et en gardant le cap et une direction voulue. 



Une des raisons de tenter l'aventure avec Injection, c'est aussi parce que les dessins sont confiés à l'irlandais Declan Shalvey, qui est en train de devenir une petite référence, ces dernières années. Déjà fort appréciés sur le Moon Knight de Ellis justement, le revoici avec un trait dur et dynamique, jamais surchargé, inventif à souhait dans la manière de construire son storytelling. Les couleurs de Jordie Bellaire s'accordent parfaitement avec l'inventivité de Shalvey, qui sert le coté visionnaire du scénariste, et ses idées complètement folles, appliquées à un monde nouveau.
Reste que c'est tellement dingue et spasmodique, par endroits, que tout le monde ne va pas adhérer d'emblée. Ellis est comme toujours en quête de sens, partant des bonnes intentions de scientifiques et autres gros esprits, pour mettre une fois encore le monde devant le fait accompli, et en observer le possible crépuscule, sans dévoiler d'entrée la manière dont il passera à la trappe. Injection est dense, solide, intelligent, et n'est pas à recommander pour une lecture entre deux gares, ou aux toilettes après un chili trop épicé. Vous êtes prévenus, l'accessibilité se mérite, et il faudra faire l'effort. La récompense en vaut la chandelle. Surtout à dix euros. 



THEY'RE NOT LIKE US : LA SERIE DE ERIC STEPHENSON ARRIVE CHEZ JUNGLE

Ils ne sont pas comme nous. C'est ce qu'affirme le titre de cette nouvelle série. mais en quoi sont-ils différents, et de qui s'agit-il? La réponse est simple : une bande d'adolescents dotés de super-pouvoirs. et qui n'a pas peur de les utiliser, dans un parfait égoïsme, comme pour perpétrer la survivance de l'espèce. Ne nous y trompons pas, le discours de fond se rattache à toute cette mouvance qui voudrait nous montrer à quel point la jeunesse d'aujourd'hui est différente des générations précédentes, et qu'elle baigne dans un sentiment d'aliénation, de mise à l'index volontaire, reposant sur des comportements, des habitudes, qui sont difficilement bien perçus en dehors du groupe. La jeune héroïne de cette histoire n'a pas de nom, cela importe peu : elle est en grande souffrance, puisqu'elle entend une foule de voix dans sa tête, lui rendant l'existence invivable. Au point de souhaiter en finir, en se jetant du haut d'un toit d'immeuble. La chute n'est pas fatale, et elle se réveille dans un lit d'hôpital, avec à son chevet l'énigmatique Voix, qui affirme savoir ce qui se produisait chez elle, et comment lui apporter paix et sérénité. En effet, les voix (avec la minuscule) semblent s'être tues, et elle se découvre... télépathe! Son interlocuteur aussi est quelqu'un de particulier, et il est à la tête d'une bande d'autres ados à pouvoirs, qui après avoir été rejetés par leurs aînés, ont décidé de s'unir et de profiter pleinement de leurs dons. Leurs parents n'ont pas fait l'effort de les comprendre, n'ont pas su les accepter? Et bien eux auront leur revanche, iront se servir là où se trouve la richesse, le confort, pour vivre à l'aise dans une grande propriété abusive. La violence fait partie de leur quotidien, c'est un moyen d'expression immédiat, et qui permet aussi de s'assurer toutes les commodités nécessaires. Une esthétique presque Orange Mécanique, qui dérape franchement lorsque la jeune Syd (le nom de code de la nouvelle) apprend que pour intégrer la bande une bonne fois pour toutes, il va lui falloir changer d'identité, et ... tuer ses propres parents. Comme l'ont fait les autres avant elle.

Est-il juste et sain de s'adonner à la violence débridée pour une paire d'écouteurs, ou des gadgets de hipsters qui n'ont de valeur que commercialement parlant? Oui, dans un monde marqué du sceau du matérialisme, où l'humain passe au second plan, et où la force et le fait de pouvoir sont suffisant pour justifier l'action. Non, si la violence en question déborde sur le meurtre, encore que la perte complète de repères amènent le mépris du prochain, du vivant. Bref, ce n'est pas seulement l'adolescence en temps que phase délicate de transition, qui est ici mise en question, mais c'est toute notre société, où l'aveuglement du voisin contribue à l'envie de ne plus s'en soucier, de le dominer par la force, qui est mise en lumière dans ce comic-book parfois un peu pontifiant, maladroit, mais qui réserve aussi de belles trouvailles, des moments forts.
Eric Stephenson choisit de nous présenter une bande de jeunes qui pourraient bien être aussi des criminels dangereux et fanatiques. Tout se joue au départ (quand ils se présentent sur une page simple mais immédiate) sur des expressions faciales, un regard, une attitude, qui en dit long sur ce qu'ils (s)ont au fond d'eux. Ce ne sont pas les pouvoirs (qu'ils possèdent, et sont clairement énoncés) qui les définissent mais ce qu'ils peuvent faire avec, dans quel état d'esprit. Simon Gane, le dessinateur, opte pour la carte de l'essentiel, de l'émotion, et son travail est fort bien mis en valeur par la couleur de Jordie Bellaire, référence s'il en est dans la profession. Ce premier tome est publié chez l'éditeur Jungle Comics, qui continue de tenter de se faire un nom dans un marché sauvage et saturé. Nous aurions bien tenté de les contacter, pour vous proposer un petit concours, par exemple, histoire de faire découvrir la série plus efficacement, mais déjà à l'époque de Air-Boy (par ailleurs très recommandé!) nous n'avions pas eu la moindre réponse, et insister n'est pas dans nos habitudes. Dommage, vraiment. Qu'à cela ne tienne, bonne chance avec cet ouvrage, qui mérite que vous y jetiez un oeil, ou les deux. 



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HAWKEYE #1 : LES NOUVELLES AVENTURES DE KATE BISHOP

Que cela vous plaise ou non, Kate Bishop est là pour durer. D'ailleurs la nouvelle série consacrée à Hawkeye met en scène la jeune fille, plutôt que Clint Barton. Nous la retrouvons donc sous le soleil de Los Angeles, alors qu'elle a décidé d'ouvrir une petite étude de détective privé. Certes il s'agit d'une activité encore en devenir, et pour le moment Kate se contente d'un bureau assez miteux, avec un logo dessiné à la main, accroché sur la porte sous forme de feuille de papier... pas de quoi attirer une grande foule de clients, surtout que le design choisi fait plutôt penser au cabinet d'un ophtalmologue qu'à autre chose. Sans compter les clients qui sont attirés par le nom d'Hawkeye, mais s'attendent à l'autre, le vrai, celui qui fait partie des Avengers, qui a des abdos, et que certains clients aimeraient frapper bien volontiers. Au milieu de tout cela, que peut faire notre jeune héroïne, si ce n'est essayer de se faire des connaissances, et une petite place sous le soleil, au sens propre comme au sens figuré? C'est ce que tente de nous raconter Kelly Thompson, la nouvelle scénariste de la série, qui joue franchement la carte de l'humour, et utilise les codes modernes en vigueur pour capter un public plus jeune, habitué à une narration à la cool, et éventuellement recruter un certain nombre de lectrices.
Tout comme Clint son mentor, Kate a un talent particulier pour se fourrer dans les mauvaises situations, et cela au mauvais moment. Ceci implique de se retrouver au beau milieu d'un cambriolage dans une banque, qu'elle parvient à maîtriser avec beaucoup de facilité, ou bien durant la filature nécessaire pour son premier cas, de commettre une bourde qui risque d'avoir des conséquences sur le reste de la série. Voilà un premier numéro assez sympathique, qui à défaut d'être révolutionnaire tente de suivre ce qui a été fait auparavant, tout en s'affirmant inférieur au niveau du dessin de Leonardo Romero. L'artiste exploite le savoir-faire de ceux qui étaient là avant lui, avec des gimmicks visuels, des gros plans ciblés, qui mettent en valeur la faculté d'une femme ordinaire à faire des choses qui le sont beaucoup moins. La couleur de Jordie Bellaire insuffle de la positivité et ajoute au fun de l'ensemble, et font de ce titre un produit parfait pour les lecteurs plus récents, mais qui parlera probablement moins à celles et ceux qui ont le coeur pris par des comics plus "classiques" dans le fond et la forme. Idée personnelle pour finir : le manque (pour l'instant?) d'enjeux forts, de guest star de poids, et de grands noms au menu, font qu'à première vue la viabilité de ce nouveau Hawkeye est loin d'être garantie à moyen long terme... 



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