SUPERMAN YEAR ONE : LE REGARD DE JOHN ROMITA JR

Je ne vais pas vous raconter que Superman Year One, du couple Miller/Romita Jr, m'a particulièrement emballé. Cette revisitation du mythe tombe à plat, et ne vise pas juste, présentant un personnage parfois à coté de ce qui devraient être ses pompes. Néanmoins, le dessinateur américain JrJr a montré sur certaines planches des fulgurances intéressantes, qui rappellent à quel point il est doué pour mettre en scène un comic-book traditionnel, tel que le public d'outre atlantique l'attend, au risque parfois de confondre vitesse et précipitation, et de bâcler quelques projets. Au sujet de Superman Year One, Romita Junior s'est exprimé : 
Honnêtement, quand je dessine, je ne réalise pas tout de suite les changements de style dont je suis l'auteur. Certaines choses se produisent probablement automatiquement. Je n'ai pas le choix, les choses me viennent comme elles viennent. Je l'appelle le "style des délais". Tout ce que je parviens à faire à temps pour la date limite, ça me rend heureux. Mais pour moi tout effort conscient de variation est une folie. Superman est un personnage avec quatre-vingts ans d’histoire, il serait fou de penser  changer quelque chose de fondamental en 2019.
Cependant, s'il y a des moments où j'ai pensé laisser une trace personnelle forte, je peux évoquer quelques scènes. Peut-être celle avec le harceleur, ou le footballeur. Il y a tellement d'éléments solides à la base, y compris visuels, sur lesquels nous avons dû construire, que je n'avais pas beaucoup de champ libre sur le produit fini. Le travail s'est développé de manière organique. Vous ne pouvez pas avoir ce contrôle que permet un personnage moins connu. Avant tout, je souhaitais honorer Superman.



Superman: Year One est une histoire au contenu émotionnel fort. Romita déclare, en ce sens, qu'il a pensé que décrire la destruction de Krypton à travers le regard d'un enfant donnait au lecteur tout son sens de l'horreur; Ce n’était pas facile à imaginer, mais c’était aussi fondamental pour distinguer ce récit de ses nombreux prédécesseurs. La planche dont je suis le plus fier jusqu'à présent? En fait, la dernière de la série. Quand je l'ai finie, je me suis senti très fier. Je sais que c’est la réponse la plus lâche de tous les temps, mais lorsque j’ai terminé, j’ai eu le plaisir de penser que j’avais réalisé l’ensemble du projet. Une fierté! 

Vous retrouverez Superman Year One en 2020 chez Urban Comics, l'occasion de se faire une idée sur les dernières aventures de Romita Jr chez Dc, lui qui conserve toujours une fan base solide, y compris parmi vous même qui lisez, j'en suis certain. 

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BARRIER : L'ART DE LA COMMUNICATION SELON BRIAN VAUGHAN

Après Private Eye, le trio  Brian K. Vaughan, Marcos Martin et Muntsa Vicente s'est reformé, histoire de produire Barrier, une petite série inclassable qui débarque en cette fin d'année, sans publicité ou articles dithyrambiques, chez Urban Comics (normal, il n' y a pas de Batman dedans....). Barrier a en fait connu une première vie (avant la Vo papier chez Image) en digital, au format paysage (pour en profiter pleinement avec la tablette), avec la possibilité de payer ce qu'on souhaitait pour lire les épisodes.
Au départ, l'impression est que la science-fiction va être cette fois mise de coté, au profite d'une histoire qui se déroule à la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis, un récit politique et d'actualité, sur l'impossibilité de passer sereinement d'un pays à l'autre, entre murs qui refoulent les sud américains rêvant d'une autre vie, et ricains pur souche, sudistes surarmés, qui défendent leur territoire. Sauf que non, la fin du premier épisode fait basculer le lecteur dans quelque chose de complètement différent, un enlèvement par des aliens des deux personnages principaux. Bienvenue dans "la Guerre des mondes 2.0".
Personnages qui sont respectivement Liddy et Oscar . La première citée gère une propriété de l'extrême sud du Texas, et elle est veuve et en proie aux menaces à peine voilées des narcotrafiquants qui utilisent ces contrées pour leurs trafics nocturnes. Le second est un immigré clandestin qui est parti du Honduras, avec comme seul bien précieux un cahier contenant les dessins de son fils (et qui va avoir un rôle à jouer dans le #3).

Ces deux-là n'ont pas grand chose en commun, et du reste même la communication est malaisée, comme en témoigne le choix de conserver des dialogues en espagnol non traduits, à de nombreuses reprises, ce qui plonge le lecteur dans la réalité de l'incompréhension des personnages (bon, si vous avez fait espagnol lv2 au collège, vous allez recoller les morceaux...). Vaughan surprend, et propose un produit qui part à gauche toute, avant de virer à droite, d'un coup d'un seul, et avance en zigzagant, tout en profitant au maximum de la possibilité infinie du médium bande-dessinée pour s'exprimer. Le choix du format, maintenu sans modifications pour le passage au papier, permet une présentation quasi cinématographique, avec des "raccords au montage", des raccourcis stylistiques, une alternance des plans et du cadrage, qui offre la possibilité à Marcos Martin de faire exploser tout son talent de story teller. Non, ce n'est pas le trait le plus raffiné de tout l'univers des comics, mais comment on raconte une histoire, comment on trouve un rythme et un angle de vue permanent, c'est son dada! La mise en couleurs de Muntsa Vicente est splendide, à l'unisson de ce bijou recommandé.
Barrier déconcerte, surprend, joue sur les temps, les tons, la langue (le #3 est un épisode muet). Liddy ne comprend pas Oscar, qui à son tour ne comprend pas Liddy. Tous les deux ne comprennent pas ce qui leur arrivé, où ils sont, ce que veulent les créatures qui les ont enlevés. Le lecteur ne comprend pas tous des textes, qui jouent sur le langage. C'est dans l'observation, l'interprétation, que l'ensemble trouve son sens, sa beauté. Coup de maître!



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SAVAGE : HISTOIRE DE SURVIE CHEZ BLISS COMICS

L'histoire d'un enfant de bonne famille élevé à la dure, au milieu d'une nature sauvage, ce n'est pas quelque chose d'inédit, alors pourquoi se pencher sur ce volume publié par Bliss comics, qui démarre sur ces prémices? Peut-être parce que tout ceci est présenté d'une manière plus moderne, avec un couple composé d'une star du football et sa femme, agent et business woman aguerrie. Le mari vient de signer un contrat dans le championnat américain pour relancer sa carrière et surtout sa "franchise", malheureusement toute la petite famille va se crasher en avion et se retrouver sur une île étrange, où le temps semble s'être arrêté à l'âge de la préhistoire. Le lecteur est plongé d'emblée dans l'action et sans arrêt deux fils narratifs se croisent. Le passé, qui nous explique le drame à l'origine du cœur du récit, et le présent, 15 ans plus tard, où le petit Kevin Junior a bien grandi, pour devenir un sauvage aux ongles et dents acérés, capable de découper la tête d'un dinosaure avec un silex. Dès les premières scènes, on se rend d'ailleurs compte que l'une des qualités de l'album, c'est son côté graphique. Lewis Larosa et Clayton Henry se relaient dès lors qu'il s'agit de dessiner autrefois et maintenant, et même s'ils ont deux styles forts différents, c'est vraiment spectaculaire et ultra bien léché. Larosa s'en donne à cœur joie avec les dinosaures et autres bestioles de la préhistoire, qu'il affectionne particulièrement, et qu'il dépeint avec un réalisme attentif au détail très saisissant.  Il n'y a pas énormément de dialogue et l'histoire avance vite, enveloppant le lecteur à un rythme effréné, et lui dévoile peu à peu comment ce "Savage" a grandi et pourquoi il a l'air aussi plein d'animosité envers les quelques hommes qui habitent l'île. Ces derniers, il faut dire, ne sont pas des plus accueillants...


Alors, qu'est-ce qui différencie ce Savage d'un Tarzan écrit bien des décennies plus tard? Tout d'abord le ton. Ici  le lecteur est immergé d'emblée dans une histoire où des dinosaures rodent, et où un gamin animalesque et agressif tente de survivre à sa manière. On nous raconte comment il en est arrivé là, et bien entendu les scènes choc ne manquent pas, avec une mention spéciale pour la fin tragique que connaît le père footballeur, certes courageux, mais qui ne va durer très longtemps sur l'île où il s'est échoué. La mère elle est plus coriace, ou tout simplement plus prudente, ce qui lui permet de durer, mais sans espoir sur le long terme. Kevin Junior devient donc une arme vivante,  affûtée par les privations, les nécessités, le désir de vengeance sur ceux qui hantent le territoire, et tuent ce qui s'y trouve. On ne creuse pas vraiment les intentions et les replis psychologiques du protagoniste, ici Clay Moore envoie de l'action avant tout, de l'adrénaline, une histoire de survivalisme teintée d'anticipation, qui se déplie en un tome et promet de s'étoffer à l'avenir, en déplaçant les enjeux sur un autre territoire familier. On conseillera la lecture à ceux qui aiment la saine violence décomplexée, et les dessins de qualité. Les autres sont conviés sur d'autres pages. 



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LE BATMAN QUI RIT : LA BONNE BLAGUE DE SNYDER ET JOCK

Le Batman Who Laughs est le personnage qui a le mieux tiré son épingle du jeu, durant le crossover Dark Nights Metal, chef d'oeuvre de chaos et de confusion à la Scott Snyder. Ce même scénariste est le responsable de cette nouvelle parution, où le criminel, fusion du Joker et de Batman, est la star en solo d'aventures qu'on devine terrifiantes.
Tout commence par une enquête qui fait froid dans le dos, puisque Batman tombe sur un cadavre qui soulève bien des questions; celui d'un Bruce Wayne d'une réalité alternative, encore que se différenciant de peu de l'homme que nous connaissons tous. Un mort encombrant, et probablement une immense interrogation, qui aurait de quoi faire partir en vrille le cerveau du plus futé des détectives. 
Le Batman who laughs, lui? Il agit dans l'ombre, tire les ficelles, et en fin de premier numéro pénètre dans Arkham pour y faire des siennes, encore que d'entrée on nous prévient, et l'effet mortifère en est donc gâché. C'est donc dans le rôle du grand méchant loup qu'on le retrouve, privé du moindre scrupule, des notions de bien et de mal, des limites morales de notre Batman, ce qui fait qu'il "gagne toujours". C'est discutable, car Batman est encore là de nos jours aussi car il s'impose et connaît parfaitement des frontières, qui jalonnent son action. Sans cette axiome, le Batman who laughs pourrait aussi devenir un Batman inconscient, qui à vouloir se la jouer omniscient et insaisissable, commet impairs et petites bévues fatales. C'est ce qu'on va voir. En tout les cas l'idée même que Batman pourrait mener sa croisade en se fendant la poire à de quoi donner des sueurs froides à bien des habitants de Gotham. D'autant plus que le plan diabolique de l'ennemi est de "contaminer" notre Batou, le contraindre à voir les choses sous l'angle de vue distordue de l'autre, d'abandonner la raison pour le chaos. 

Scott Snyder est un peu plus clair qu'il l'est souvent, mais c'est tout de même assez confus par endroits. On a l'impression, à un moment donné, que Batman est condamné à devoir sombrer dans la folie de son adversaire, que rien ne pourra stopper l'inéluctable transformation, qui apparaît dans les bulles de dialogue, la manière de s'exprimer, qui se dégrade toujours plus. Mais il résiste, le bougre, et c'est tant mieux pour Alfred et le commissaire Gordon, qui chacun de leurs cotés vont passer de sales moments, et se heurter à la cruauté d'un scénariste qui aime placer les personnages dans des situations dramatiques, quitte à les résoudre sur une pirouette qui laisse un arrière goût de facilité abusive. Touchons un mot de Jock, le dessinateur, ici dans une forme olympique. Il se contente en apparence du strict minimum pour nous glacer l'échine, mais c'est que sa maîtrise des ombres, de l'horreur, aussi bien suggérée qu'explicite, qui fait de lui un choix évident et idéal pour Snyder, correspondant à merveille au ton choisi pour cette mini en six parties qui sont devenues sept. Les pages suintent la torture physique et mentale, le basculement dans la démence, et c'est ce qu'on attendait de l'histoire. Par contre, le choix de placer les didascalies et dialogues en rouge sur fond noir, ce n'est pas formidable quand vous êtes astigmate ou myope. Dans la VO c'était d'ailleurs illisible par endroits (je vous assure, j'ai du renoncer à quelques tirades à cause de cela). Tout ceci étant dit, il y a fort à parier que ce Batman qui rit va séduire le plus grand nombre des fans habituels du Dark Knight, surtout si vous attendiez des conséquences directes de l'événement de l'an dernier, Dark Nights Metal. 



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SECRET WARS II : LE BEYONDER SUR TERRE

Je vous rappelle le principe des Guerres Secrètes, dans les années 80, en quelques mots. Le Beyonder, un être tout puissant venu du fin fond de l'univers, convoque sur une planète composite, crée pour l'occasion, une belle sélection de super héros et super vilains. Une fois sur place, tout le monde tape sur tout le monde, et le vainqueur se voit faire une belle promesse, celle de voir tous ses vœux exaucés. Pif, paf, en voilà une belle, prends ça manant ! Voilà, j'ai résumé.
Du coup, était-il raisonnable que Marvel envisage une suite, avec Secret Wars II, deux ans plus tard? Bien sûr que non, mais vous le savez, ce n'est pas moi qui décide (en plus à l'époque j'étais bien trop jeune). On retrouve donc le Beyonder, qui cette fois joue en déplacement. Il débarque sans prévenir sur notre planète, dans l'espoir de comprendre ce que signifie vivre, comme un bon humain énigmatique. Lui n'a aucune expérience, et du coup c'est vers cet objectif que se tendent ses efforts. Boire, manger, frapper, rêver… pour lui rien n'a de sens, et il va donc s'en aller trouver quelques héros de sa connaissance, pour les interroger sur la meilleure manière d'allier observation et expérimentation, dans le but d'atteindre cette sagesse qui lui fait défaut. Après avoir frayé avec un scénariste de série à Hollywood et lui avoir donné imprudemment des pouvoirs formidables, le Beyonder débarque chez Peter Parker. Mais la seule issue de cet entretien inédit, c'est que le jeune homme lui apprend… comment on se vide les intestins aux toilettes. Lui a t-il parlé du papier avant, voilà un mystère insondable. Le Beyonder va ensuite solliciter les conseils avisés de Reed Richards (pour une fois sans sa verve habituelle) ou des Heroes for Hire, Iron Fist et Luke Cage. Ce dernier l'accueille comme un vrai bourrin et lui tape dessus, mais ensuite tout s'arrange et le duo s'en sort avec les honneurs, sauf qu'en partant, l'étranger transforme leur tour à multiples étages en un bâtiment tout en or, qui s'écroule sous son propre poids. La raison ? Ce béta de Cage lui a dit que toute la vie est régie par le pognon, la possession de biens matériels. Et du coup, le Beyonder se remet en marche (hop, une allusion à Macron…) et médite sur les taux d'intérêts et comment se mettre un bon paquet de dollars pleins les poches. Il était venu pour la connaissance, le voici reconverti en gourou de chez Golden Sachs. Les comics, ça vous tuera, un jour. 



Le Beyonder possède au fond de lui cette candeur, cette innocence propre à celui qui ne sait rien, pour n'avoir rien expérimenté. Mais il veut tout savoir, tout vivre, et vivre. Du coup il s'acoquine naturellement avec la pègre locale, qui lui apprend les ficelles du métier. Avec des pouvoirs illimités, le Beyonder dame le pion au Kingpin, investit la Maison Blanche, devient le maître incontesté de toute l'Amérique. Mais ça ne lui suffit pas : que vaut une telle existence, si vous privez les autres de leur libre arbitre ? Et encore : où trouver un sens à la vie, un vrai ? Dans l'amour ? Le Beyonder a d'abord une très brève histoire avec une prostituée qui lui apprend comment se comporter au lit, puis il décide de tomber amoureux de Dazzler. Comme s'il l'avait choisie sur catalogue, il se met en tête qu'Alisson doit devenir sa flamme, ni plus ni moins. Forcément, ce n'est pas du goût de tout le monde, les X-Men décident de lui faire la fête et la jolie blondinette, objet de ses attentions, décide de le plaquer à la première occasion. Le Beyonder souffre et déprime et sa rencontre avec la jeune Tabitha (Meltdown) lui permet de reprendre un peu du poil de la bête, avant de nouvelles altercations entre lui-même et les X-Men, les vilains de l'univers Marvel, un peu tout le monde en fait. Il faut dire qu'il lui vient jusqu'à l'ambition d'effacer la mort elle-même. Modestie, avant tout.
Jim Shooter est capable du meilleur comme du pire. Son récit n'est pas dénué de bonnes intentions, au contraire, et ce qu'il dit et envisage de la création, notamment avec le final, est assez juste et poétique. Mais parfois les tie-in sont redondants, improvisés, et Secret Wars II déborde dans bien trop de séries, au point d'en devenir un énorme pudding indigeste. Si on se contente de suivre la série principale en neuf volets, c'est beaucoup plus linéaire et pertinent. Sauf qu'Al Milgrom au dessin signe une prestation disgracieuse, avec une foultitude de petites cases surchargées en didascalies et dialogues, qui peuvent rendre la lecture fastidieuse à celles et ceux qui ne voient pas un ophtalmo depuis trop longtemps. Secret Wars II est donc une lecture qui n'est pas indispensable, mais qui est tout de même capable de surprendre positivement avec le recul, par la justesse et l'inspiration de certaines pages, qui voient un être tout puissant, omniscient, tourmenté par la simple condition de mortel, qu'il n'appréhende jamais totalement, mais continue d'interroger, entre pathétique et poésie. Il n'existe pas de version librairie en vf mais le principal a été publié sur les pages de Spidey, lorsque les éditions Lug se chargeaient du travail d'édition des séries Marvel. En VO, vous avez le choix, même un gros omnibus de presque 1200 pages, qui collecte tout le possible imaginable. 



Les Secret Wars II sont épuisées même en VO
Reste donc à relire ou acheter les premières Secret Wars

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MARVEL DANS LES ANNEES 80 : L'UNIVERS MARVEL EVOLUE

Qu'attendez-vous d'un éditeur, pour qualifier sa production de remarquable? Si la réponse est : de bonnes histoires, et de véritables évolutions dans les séries et les personnages, il est possible que la décennie des eighties soit pour vous un moment crucial pour les comics américains. Tout comme les sixties, impossible de ne pas se replonger dans ce tome anthologique, chez Panini, sans comprendre la puissance qui a infusé durant ces années, en toute tranquillité, et évidence.
Jim Shooter, rédacteur en chef de la Maison des idées, s'était fixé pour objectif de rajeunir la compagnie, et de la faire sortir d'une période de crise créative inquiétante. En fait, il a essayé de conserver autant que possible les caractéristiques originales des personnages, mais en même temps, il a poussé les auteurs à concevoir d'incroyables rebondissements, changements et évolutions impensables. De nombreux héros ont acquis une apparence inattendue ou ont été remplacés par des seconds couteaux et, dans les différentes séries, des événements surprenants ont souvent eu lieu et ont amené les fans à se diviser, à échanger. 
Ce tome s'ouvre sur Iron Man #170. La série était déjà au centre de l'attention en raison de l'alcoolisme de Tony Stark. Ce dernier n'a plus la clarté nécessaire pour utiliser son armure et sa place est prise par son ami (et quasi domestique) James Rhodes. C'était le premier remplacement significatif d'un héros et les lecteurs ne sont pas restés indifférents. Les textes sont du vétéran Dennis O’Neil, qui fait du bon travail, malgré les dessins plutôt fadasses de Luke McDonnell. Santé!
Uncanny X-Men #73 est un bijou signé par le deus ex machina de l'univers mutant, Chris Claremont. Ce numéro fait partie d'un arc narratif qui voit l’équipe se battre avec Viper et Silver Samurai, avec en ligne de mire le mariage imminent entre Wolverine et sa bien-aimée Mariko, qui ne sera toutefois pas célébré. Les mots de Chris sont intenses et les dessins élégants et fluides du talentueux Paul Smith ajoutent une touche de classe au scénario. Mais si on se souvient de tout ceci, c'est également parce qu'à partir de là, Tornade commencera à arborer son look punk, certainement choquant pour les standards de l'époque.
Fantastic Four #226 est un autre joyau écrit et conçu par le grand John Byrne qui, dans les années quatre-vingt, fut l'auteur d'une permanence très prolifique sur le titre, ramenant le fabuleux quatuor à son ancienne splendeur. L'épisode se déroule après la fin des Secret Wars et marque le début attendu de la nouvelle équipe. En fait, She-Hulk, magnifique et sculpturale, prend la place de Ben Grimm, resté sur le Battleworld. Les textes et les dessins sont d'une qualité remarquable et l'histoire n'est pas sans pathos. Un régal. 


Le numéro 252 de Amazing Spider-Man, qui fait également suite aux Secret Wars, présente Spider-Man pour la première fois avec le fameux costume noir (le symbiote) et crée par la même les prémices de la naissance d’un personnage fondamental comme Venom. Le scénario est de Tom De Falco et Roger Stern, selon le style Marvel habituel, et c'est de la bonne "came". Les dessins sont signés Ron Frenz, qui réalise une revisitation postmoderne agréable, remaniant personnellement l'héritage du légendaire Steve Ditko.
Incroyable Hulk #324 résume bien l'ère Shooter: renouveler sans oublier le passé. En fait, dans cet épisode, en raison d’une série de circonstances variées, le Goliath Vert change de couleur et devient gris. En réalité, il s’agit d’un changement mais aussi d’une référence au vrais débuts du colosse. Qui était gris quand Stan Lee et Jack Kirby l'ont inventé. L'histoire n'est pas mauvaise, malheureusement l'impact est atténué par les dessins pas vraiment exceptionnels de Milgrom, dont nous reparlerons un jour prochain (on prépare un article sur les Secret Wars II)
Le #378 de Mighty Thor fait partie d'une histoire longue et complexe axée sur les machinations de Malékith et de Loki. Il revient à Walt Simonson de raconter une histoire fascinante sur un ton fantastique, aidé par le trait essentiel et évocateur de Sal Buscema. Encore une fois, l'apparence du protagoniste change, car le dieu du tonnerre affiche alors une longue barbe et portera plus tard une armure, qui le fera ressembler à un vrai viking. Honnêtement, une trouvaille de grande classe, qui a laissé des souvenirs émouvants dans les bibliothèques.
Le #333 de Captain America fut un choc pour les lecteurs, car Mark Gruenwald avait osé quelque chose que beaucoup considéraient comme un sacrilège. Steve Rogers est contraint par le gouvernement américain d'abandonner le rôle de la Sentinelle de la Liberté. Sa place sera prise par l'immoral et violent John Walker. Les paroles de Gruenwal fonctionnent et creusent à vif dans le malaise social américain des 80's, mais les dessins de Tom Morgan sont parfois sommaires. L'artiste est encore à la recherche de sa voie. 
L'annual #24 de Amazing Spider-Man présente un autre changement, non pas dans l'apparence du personnage, mais dans sa vie privée. Peter Parker épouse la belle Mary Jane dans une histoire touchante écrite par David Michelini et Jim Shooter, et illustrée par le regretté Paul Ryan, lors d'une de ses premières prestations pour la maison des idées. C'était avant Mephisto et le pacte qui annule tout, et ces derniers mois, durant lesquels les deux tourteraux se sont bien rapprochés...

Le volume se termine par le dramatique numéro 24 de X-Factor, une série qui racontait à l'époque les aventures des premiers X-Men, déguisés en chasseurs de mutants. Louise Simonson place l'équipe dans un récit aux tonalités tragiques et tristes, avec la menace terrifiante d'Apocalypse. Et dans cet épisode Angel subit une transformation à la fois physique et psychologique, devenant l'inquiétant Archangel. Les dessins sont réalisés par le mari de Louise, l'excellent Walter Simonson, qui nous offre des planches embellies par son style agressif habituel, sous influence Kirby.
Les années 80 chez Marvel, si vous ne connaissez pas bien, c'est l'assurance de belles découvertes, et d'intuitions heureuses. Allez-y! 



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LA DOOM PATROL DE GRANT MORRISON ARRIVE CHEZ URBAN COMICS

Au commencement, il y eut un fauteuil roulant et un groupe de personnages inhabituels et extravagants ...Contrairement à ce que vous pourriez penser, nous ne parlons pas des ultra populaires Uncanny X-Men, mais de la Doom Patrol, un groupe de super-héros mineurs et catagorisés "losers" de DC, qui a droit à deux publications inattendues chez Urban Comics (la DP par Gerard Way, et ce volume qui fait l'objet de nos attentions) sur la foi d'une série télévisée audacieuse et amusante, qui a permis au grand public de savourer cette formation de niche.

Les membres de la Doom Patrol, créés par Bob Haney et Arnold Drake la même année que les mutants de Marvel, étaient au départ des monstres transformés par le destin en créatures grotesques, dotées de pouvoirs extravagants, et donc craints par les foules, qu'elles préféraient éviter. Plus ou moins le même sort qui allait être réservé à leurs cousins ​​marvelliens, victimes de la phobie antimutante. Cette pratique du clonage était courante dans le monde encore jeune des super héros, et par la suite on l'a vu ressurgir en de multiples occasions (Spawn et Deadpool doivent beaucoup à qui, à votre avis?). Pour autant, existe t-il de bons récits issus du passé mettant en scène la Doom Patrol? Quels arcs narratifs seraient à lire, pour accompagner et transcender la série télévisée? Et bien la réponse est dans ces pages, avec l'arrivée de Grant Morrison au numéro 20, dans les années 90, alors que le mensuel bat un peu de l'aile, et qu'il est nécessaire de le refonder pour en extraire la substantifique moelle. Morrison se débarrasse assez sommairement de ce qui a été écrit avant lui, et va repêcher et remixer celles et ceux qui sont à la base même de la légende de la formation. Le chef de bande est ainsi le professeur Caudler, scientifique paraplégique, mentor et chef mystérieux, pas toujours dans l'empathie. Sous ses bons conseils, nous avons Robotman, un être humain dont seul le cerveau a pu être sauvé, placé par Caudler dans un puissant corps cybernétique.  Crazy Jane et ses dizaines de personnalités multiples et Rebis, l'homme négatif (une fusion inédite de Larry Trainor et du Docteur Eleanor Pool, qui donne ainsi naissance à un héros hermaphrodite/transgenre, mais aussi mélange entre une afro américaine et un blanc Wasp "classique") complètent le roster tel que vous l'avez probablement vu sur le petit écran. 

Grant Morrison s'était déjà présenté comme un auteur émergent doté d'une forte personnalité, en réinventant le personnage d'Animal Man, qui reste l'un des exemples les plus importants de bandes dessinées expérimentales et métalinguistiques à ce jour. Sur Doom Patrol, pour commencer, Morrison a commis plusieurs transgressions narratives, en adoptant un langage moqueur et surréaliste. Ses récits flirtent avec la folie, en permanence, et il faut s'accrocher pour saisir les tenants et aboutissements de l'action, qui part dans tous les sens. Vous allez croiser le chemin des Hommes Ciseaux qui "découpent" leurs victimes hors de la réalité, pour ne laisser qu'une ombre fantasmatique qui n'a plus d'existence propre. Red Jack, qui a une tendance à l'omniscience divine et prétend être aussi le nouvel avatar de Jack l'éventreur. Ou encore la Confrérie du Dada, qui se réfère à ce courant artistique où l'absurde devient le centre même de toutes choses, brouillant les perceptions et le sens. C'est probablement l'arc narratif le plus réussi, avec la présence d'un tableau qui happe tout ceux qui le regardent, au point qu'il aspire la ville de Paris dans son intégralité, et que la Doom Patrol va vivre une extraordinaire aventure à travers les différents styles picturaux des siècles derniers, pour résoudre cet épineux problème! 
Le dessinateur qui prête main forte à ce volume de dingue (dans tous les sens du terme) est Richard Case. Soyons honnêtes jusqu'au bout, c'est du bon boulot, avec un trait concis et assez précis, mais de là à considérer cela comme un chef d'oeuvre, ce serait exagéré. Reste une inventivité certaine, et obligée, pour suivre les méandres de la pensée de Morrison, et là l'artiste est au diapason, et a parfois de belles intuitions qui laisse pantois, avec même une variété de styles intéressante. On trouve aussi du Doug Braithwaite, sur un épisode.
Doom Patrol par Grant Morrison, ce n'est de toute évidence pas pour tout le monde. Mais faites donc l'effort, et pariez sur votre imagination, vous pourriez bien être emportés par cet ovni attendu depuis des lustres! 


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X-MEN MALICIA ET GAMBIT : MEILLEURS AMIS ET PIRES AMANTS?

Ces deux là ont un sacré passé en commun, mais ils sont aussi un sacré passif. Vous qui lisez les X-Men depuis les années 90, vous faites certainement partie de ces lecteurs pour qui il est établit que le grand amour de Gambit, pourtant séducteur volage devant l'éternel, n'est autre que la belle Malicia, ou si vous préférez  la VO, Rogue. Ces dernières années, on ne sait plus trop sur quel pied danser. Un coup ils sont ensemble ou tentent de se rabibocher, l'autre coup c'est pour allez fricoter avec d'autres partenaires et tirer la tronche. Bref il faut suivre! 
Kelly Thompson choisi de ne pas choisir. La romance entre les deux mutants est présentée avec beaucoup d'ironie et une certaine distance, mais en même temps, on devine que sous les cendres, il y a toujours un incendie qui couve. Cette série est le prétexte pour mettre en scène un duo attachant et plutôt comique, composé de "deux meilleurs amis du monde ", anciens et peut-être futurs amants. Les dialogues sont savoureux et les situations amusantes, comme lors d'une conversation en avion, alors que Gambit s'offusque que la belle mutante ait pu avoir l'audace d'embrasser Deadpool. En avion oui, car les voici tous les deux partis en voyage, sur une île paradisiaque, là où d'autres mutants anonymes auraient mystérieusement disparus. Comme par hasard, on pratique là-bas une sorte de thérapie de couples, ce qui serait bien utile dans le cas de nos deux tourtereaux. 
Résultat... les voici obligés de partager une mission qui les rapproche à nouveau, même si c'est pour s'engueuler à longueur de journée. Kitty Pryde s'est dégonflée  (le couple qu'elle forme avec Colossus en font aussi d'excellents candidats) et elle a profité de son statut de "cheffe" momentanée des X-Men pour choisir Remy et sa belle. Une fois sur place, il est drole de remarquer que c'est le déballage, chacun vide son sac, et reproche à l'autre d'avoir fait capoter une love-story inéluctable. Pour autant, il ne faudrait pas oublier la mission...




C'est là que ça devient un peu trop confus. Kelly Thompson invente une histoire de vampire d'émotions, positives ou négatives, qui parvient à créer dans le même temps des simulacres du "donneur", qui en perd de la sorte des fragments de son identité. Du coup Malicia et Gambit se sentent soulagés du fardeau de leurs errements sentimentaux, et envisagent même de rester sur l'île pour vivre une idylle artificielle. Sauf que non, ce sont des X-Men, ils vont jusqu'au bout des choses, quitte à ce que les 40 dernières pages soient principalement à base de bourre-pifs et de pouvoirs qui vont et viennent. Ceci est illustré par un Pere Perez qui livre un travail propre, attachant, attentif à bien rendre les deux héros qu'il dessine à tour de page, sans jamais tomber dans la facilité, livrant même plusieurs double splash pages inventives et culottées, qui font plaisir.
Cet album est plus malin et pertinent qu'il ne semblerait à première vue, on le recommande sincèrement, même si la fin est plus faiblarde, et ça se voit. 



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DOCTOR DOOM #1 #2 : LE DICTATEUR EN SOLO AVEC CANTWELL ET LARROCCA

Rien de plus charismatique qu'un grand méchant qui parfois l'est un peu moins, et dont les motivations sont teintées d'une étrange forme de noblesse, et couvertes par un voile tragique. Alors bienvenue en Latvérie, contrée imaginaire du bloc de l'est, royaume d'un certain Victor Von Doom, le dictateur local. Derrière un sinistre masque de fer (il est défiguré) et doté d'une cape et d'une armure au style gotico-médiéval, le bonhomme a pour principal passe-temps la conquête du pouvoir, et l'envie de se débarrasser de ses ennemis et rivaux de toujours, les Fantastic Four. Sauf que ces dernières années les choses ont bien changé, et c'est un Fatalis (pardon, Doom!) 2.0 qui est désormais le héros de sa propre série, écrite par Christopher Cantwell. 
Doom n'est pas du genre à avoir des faiblesses, mais il reste toutefois un être intimement tourmenté, d'autant plus qu'il a parfois des visions d'un futur radieux, où son existence aurait connue une évolution pacifique et familiale. Tout ceci le perturbe, et son air bougon finit par l'emporter, quand le monde communie dans la liesse générale : une sorte de trou noir artificiel a été conçu sur la Lune, pour s'attaquer au problème de la pollution de notre planète. Bref on y jettera tout et n'importe quoi, et le fonds de l'air en sera plus sain. Victor, tel un Nicolas Hulot à l'énième puissance, est de son coté persuadé que sur le moyen long terme, cette idée engendrera une catastrophe invraisemblable. Mais comme il est la seule voix dissidente, et que c'est un dictateur guère fréquentable, son opinion compte autant que celle d'un opposant à Emmanuel Macron au moment de voter dans l'assemblée. Et bien évidemment, le présage va devenir réalité, mais pas forcément de la manière dont on pourrait s'y attendre. Et là la série devient vraiment palpitante. 




En guest star dans ces pages, nous trouvons aussi Kang (une autre version du même personnage, en fait) qui va avoir une importance réelle pour Fatalis, dans le second numéro. Et surtout, nous avons un dictateur qui n'est pas aussi intouchable que nous le connaissons. Face aux événements qui s'enchaînent et qu'il ne maîtrise pas, devant la pression des gouvernements du monde entier, qui cible en lui l'ennemi à abattre du moment, Victor Von Doom en devient presque fragile, et montre toutes ses failles. En fait, dès lors qu'il sort de sa coquille, de son domaine (de son armure, au sens propre, à un moment) nous avons un personnage qui redevient humain, avec ce que cela implique comme problématique évidente. Le second numéro est haletant en ce sens, car il place Doom dans une position presque inédite, et se termine par un coup de théâtre choquant, qu'on ne voit pas venir. Tout ceci est illustré par Salvador Larroca, qui épure et clarifie son style, revenant lorgner vers la bonne époque, celle où il était un des artistes les plus appréciés des lecteurs. Sans esbroufe et avec concision, il propose un Doom qui renoue avec un classicisme bienvenu, et contribue à donner envie de lire ce titre, qui colle bien à l'actualité, et emmène son "héros" vers des territoires inconnus et périlleux. 



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HEROES IN CRISIS : LES HEROS EN PLEINE CRISE (DE NERF)

Vous pensez vraiment qu'exercer l'activité de super héros est sain pour l'esprit (et le corps!)? La réponse est négative, et l'heure est venue de se pencher sur celles et ceux qui doivent faire une pause, se reconstruire, après un trauma qui nécessite du recul. Les héros en crise, existentielle et nerveuse. Burn out à tous les étages.
Les héros de Tom King sont fragiles, et derrière le costume ou le masque rutilant, les psychés sont chancelantes, les tempéraments sujets à découragement, tristesse, doute. Il faut donc trouver l'endroit idéal pour libérer la parole, comprendre ce qui se passe. 
Et c’est précisément pour cette raison que le Sanctuary est né, une sorte de structure de soutien psychologique pour les héros (et les criminels) dans les moments difficiles. Cela ressemble à une ancienne ferme perdue en paysage rural de l'arrière-pays américain (là où a grandi Superman), mais en réalité, se cache sous cette apparence banale un système d'analyse sophistiqué, permettant de surmonter la crise stress post-traumatique des patients. Le support est complètement robotisé et toute trace d'interaction est évitée une fois sur place, de manière à garantir un anonymat total. Fortement souhaité par Superman, Batman et Wonder Woman, cette méthode s'avère immédiatement un support indispensable pour la communauté des super-héros. Au cours des neuf numéros de la maxi-série, nous lisons un grand nombre de pages dans lesquelles, par le biais d'une grille de neuf vignettes, nous avons accès aux archives et à l'intimité de personnes qui sont souvent victimes de leurs pouvoirs. Si, dans ce genre de récits nous avons l'habitude de ressasser encore et encore des combats entre superslips costumés, nous pouvons voir ici ce qui se cache vraiment derrière ces masques. Fragilité, fatigue, confusion, des murs qui ne veulent en aucun cas se briser, mais dont la résistance est de plus en plus futile. Les héros craquent en silence, et entre humour ou larmes dans les yeux, ils viennent se confesser chacun leur tour. 


Mais là où Heroes In Crisis dérape totalement, c'est dans l'indicible massacre qui se produit, là où normalement les âmes doivent guérir. Le bodycount est élevé, et certaines des victimes sont illustres! Le premier numéro de la série s'ouvre dans un dinner - comme ceux que nous, européens, considérons comme typique des parodies de la campagne américaine authentique - et enchaîne presque immédiatement avec un plan large, sur des terres cultivées à perte de vue. It smells like america, confie Harley Quinn. A ses cotés, on trouve Booster Gold. Les deux se sont écharpés, et chacun considère que l'autre est responsable de ce qui s'est produit, que le lecteur va découvrir progressivement. Le dessinateur Clay Mann est appelé à jouer le rôle de nouveau Norman Rockwell de la bande dessinée américaine. Il dessine ici des visages et des corps d’une beauté pure et rassurante, tandis que ses vues sont toujours vastes et riches, d’une nature douce et bienveillante. On retrouve aussi Mitch Gerads, et Jorge Fornes, d'autres excellents artistes, qui apportent leur pierre à l'édifice. Joli joli joli. Heroes In Crisis oppose une esthétique ultra léchée, à un discours de fonds bien sombre, où les doutes, les déchirures, le malaise constant, sont ce qui va nourrir cette déconstruction du mythe super héroïque, pris en flagrant délit de gros malaise. Tom King peut dérouter, tant son écriture est fragmentaire, cryptique, et même la solution adoptée pour offrir une conclusion, et qui concerne un des bolides de l'univers DC, est franchement difficile à comprendre et métaboliser. Bref, il n'est pas dit que tout le monde adhère, mais il reste pourtant que cette parution est exigeante, réussie, parfaitement en décalage avec ce que nous lisons trop souvent, et mérite réellement que vous envisagiez l'achat. Seule reproche que feront certains : si la partie de l'analyse psychologique atteint des sommets vraiment intenses, la narration ne propose pas de moments vraiment mémorables. Ce dont nous nous souvenons le plus, ce sont les pages d’auto-analyse des personnages, reflétant la qualité du travail effectué sur leur psychologie dans le scénario. Et c'est déjà beaucoup, et pas forcément si courant. Heroes In crisis, c'est un blockbuster déguisé en film d'art et d'essai. 


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JIM STARLIN : ENTRE THANOS ET WARLOCK, AU LUCCA COMICS & GAMES

C'est un véritable monument à la gloire des comics qui s'est exposé ces jours derniers entre Paris et Lucca, à l'occasion du Comicon français et de la célèbre kermesse Lucca Comics & Games. Jim Starlin, redevenu le centre putatif de l'univers Marvel, par la grâce du succès des Avengers au cinéma, avec Thanos et sa quête pour les joyaux de l'infini. Pour autant, et c'est le coté paradoxal des choses, on ne peut pas dire que la Maison des Idées exploite le grand Jim à la hauteur de ses compétences. On lui a même explicitement fait savoir qu'il ne pouvait plus toucher à Thanos, Warlock, et ses autres personnages fétiches, autrement que sous forme d'aventure hors continuité, qui n'impacteront pas la grande tapisserie formée par tous les autres. S'il faut mettre en oeuvre les nouvelles Infinity Wars, ce n'est pas Starlin qui expliquera et décidera ce que deviennent les fameuses gemmes. Exit, le totem. Place aux jeunes. 
Starlin, c'est avant tout une certaine idée des années 70, 80, et 90. Quand les comics étaient moins calibrés pour suivre aveuglément le marketing, quand l'aspect créatif était capable de fuser en tous sens, pour le pire et souvent le meilleur. Lui même l'admet, quand on le laisse disserter sur la genèse de son travail. "Difficile de dire ce qui m'a vraiment influencé, à l'époque. Quand j'étais très jeune, je fréquentais des écoles catholiques et les sœurs étaient très difficiles. Après l’école, j’ai fait le service militaire et pendant mes 21 premières années, j’ai dû faire preuve de résistance contre l’autorité et la religion. Mon scepticisme envers les autorités a donc grandi de pair, et cela s'est toujours reflété sur mon travail.". Scepticisme, jusqu'à envisager le pire? Bref, si Starlin et Thanos vont de pair, faut-il y voir une vision nihiliste de l'existence, en partie due à des expériences  frustrantes ou castratrices? "Je ne pense pas qu'il y ait des personnages mauvais ou complètement bons. Thanos, par exemple, a tenté à plusieurs reprises de détruire l'univers, mais il l'a sauvé presque autant de fois. Thanos est le premier personnage que j'ai jamais créé. Donc, si Marvel me demandait de m'occuper de Captain Marvel, Warlock ou du Silver Surfer, j'ajoutais toujours Thanos à l'équation, car c'est un peu mon enfant... Finalement toutes les séries de ces autres personnages ont mis la clé sous la porte. Thanos semblait plus vendeur, alors Marvel m'a laissé travailler " Et Warlock, alors? Son frère jumeau? "Warlock est un type paranoïaque et schizophrène aux tendances suicidaires. Irrésistible non? Cela dit aujourd'hui je ne ne suis guère ce que Marvel fait avec ces personnages... de mon coté je ne veux pas influencer les auteurs qui travaillent et je ne veux pas penser aux nouvelles histoires qu'ils font". Mais qu'est-ce qui pousse Starlin à écrire, finalement? "Parler de ce qui motive les personnagesEn tant qu'artiste, je dois travailler sur les motivations des personnages, même si ce sont des extraterrestres, des robots ou des animaux, je dois trouver une raison. Je me suis toujours senti à l'aise au moment de passer de l'humain au non-humain. "


Starlin ne peut pas non plus se résumer à un Titan fou, aux gemmes du pouvoir et Adam Warlock. Il a écrit nombre de personnages pour Marvel, et chez d'autres éditeurs, comme DC Comics, où nous pouvons relire des choses comme Cosmic Odyssey, la mort de Jason Todd dans la saga A death in the family, ou encore la descente aux enfers de Batman dans The Cult. "L’idée de la mort de Jason Todd est venue de Dennis O’Neil. Il a pensé faire voter le public pour savoir si Robin devait vivre ou mourir, et ce dernier a voté pour le tuer. Toutefois, cela n’a pas été communiqué au service commercial de DC, qui s’est donc retrouvé avec une pile de produits dérivés représentant un personnage qui venait de mourir. C'était un désastre et quand il a fallu blâmer quelqu'un, ça m'est tombé dessus. Les projets qui m'avaient été attribués ont été retirés et finalement je suis passé chez Marvel. C'était une bonne chose, car c'est précisément à cette époque que le gant de l'infini est né. " Comme quoi, on peut avoir une poule aux oeufs d'or dans son écurie, et avoir la vision trop courte pour empocher la mise! On imagine que le grand Jim doit être satisfait de sa carrière, malgré tout, et avoir le sentiment d'une longue et prolifique carrière exceptionnelle. Mais a t-il pour autant des rêves inassouvis? "J'aurais voulu créer Hulk. Kirby a déclaré que Hulk était né comme une métaphore de la stupidité, car plus on la bat, plus elle devient forte. Une idée que j’ai toujours aimé et sur laquelle j’ai travaillé pour la création de Thanos, dont le désir de posséder et détruire est si grand  que ça le rend constamment insatisfait ". Et pas de regret devant l'ampleur du phénomène au cinéma, à l'heure où Marvel ne compte plus vraiment sur ses services? "Le Marvel Cinematic Universe est quelque chose de différent des comics. Je dois regarder les choses de cette façon, en évitant toute comparaison avec ce que j'ai créé, car si je le faisais, je deviendrais fou, mais j'ai quand même souvent aimé regarder ce qu'ils avaient imaginé, en particulier  l'interprétation de Josh Brolin. " Jim Starlin ne dessine plus, en raison d'ennuis de santé, mais il continue de développer de nouveaux projets, qui certes l'éloigne toujours plus de Thanos et compagnie. "Je travaille sur Dreadstar pour Ominous Press. On a dans l'idée de faire une réimpression des 40 premiers numéros et une série de romans graphiques avec d'autres auteurs et artistes. D'ailleurs dans les deux prochains mois, j'aurai une annonce à faire à ce sujet. » Beaucoup pensent à une série télévisée, une manière pour Starlin de s'emparer à sa manière du petit écran, à défaut d'avoir une réelle emprise sur ce qui passe dans les salles obscures. Jim Starlin, une légende tenue sur la touche, malgré le fait qu'il soit la pierre angulaire de la réussite fabuleuse des Avengers au cinéma. Vous avez dit paradoxe? 

Propos recueillis par notre espoin de service, au dernier Lucca Comics & Games, lors de la conférence de Jim Starlin. 


(Picture from Jim Starlin Instagram)

L'omnibus pour tout comprendre sur Thanos et sa quête mortifère


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WATCHMEN : LA SERIE TV QUI S'ATTAQUE AU MYTHE

Rien de tel, pour faire parler d'une série télévisée avant sa sortie, qu'un bon vieux règlement de compte virtuel sur les réseaux sociaux. Il faut dire qu'Alan Moore est toujours aussi jaloux de ses créations, et peu enclin à les partager, tandis que Damon Lindelof, le showrunner de Watchmen, n'a aucune intention de se laisser molester par le barde courroucé, au point de le remettre vertement à sa place. Attendons que les portes du saloon finissent de battre stérilement, et jetons un oeil aux deux premiers épisodes. Tout d'abord, soyez rassurés, le mythe, le vrai, reste intact, puisque nous n'avons pas sous les yeux le spectacle d'une réécriture de Watchmen pour un autre média (le film de Snyder s'en est déjà chargé), mais plutôt un produit original, inspiré par l'univers de Watchmen, ses personnages et son esthétique, ce qui est autre chose. Et Alan Moore peut bien fulminer, lui aussi a fait du neuf avec de l'ancien, qui ne lui appartenait pas forcément. Lorsque DC Comics racheta le catalogue des éditions Charlton, il lui fut demandé d'écrire une histoire avec les personnages en faisant partie. Sauf que les plans changèrent vite, et la requête fut finalement d'inventer de nouveaux héros, clairement des copies carbone de ceux qui existaient déjà (ceci pour conserver le peu de valeur que pouvaient avoir les "anciens", tout se recycle dans les comics, tôt ou tard). Blue Beetle devint Nite Owl, Captain Atom se transforma en Doctor Manhattan, Nightshade donna naissance à Silk Spectre, Peacemaker au Comédien, The Question à Rorschach, et Thunderbolt fut rebaptisé Ozymandias. Moore fit la moue, car il avait des idées plus audacieuses que cela, mais il finit par digérer le petit affront, et se mettre au travail. Cela dit, il n'avait cure de savoir ce que penserait des itérations les auteurs impliqués dans les origines de ces personnages, comme cela fut aussi le cas dans ses autres travaux "révisionistes" tirés des chefs d'oeuvres de Lovecraft ou Stevenson, entre autres. Mais dans le sens inverse, si Lindelof fouille dans le coffre à jouets d'Alan Moore, c'est la bagarre dans la cour de récré. Fair-play, please. 
Bref. En fait, ce Watchmen là se déroule environ trente ans après la fin de la bande dessinée. Nous sommes à Tulsa, dans l'Oklahoma, en 2019 (mais pas le notre, clairement). La technologie a évolué d'une manière différente: il n'y a pas de téléphone portable ni d'Internet, seulement des pagers et leur bip sonore. Le président des États-Unis est Robert Redford, élu en 1992 et toujours en poste; les super-héros sont des hors-la-loi et la police ressemble à un escadron de justiciers qui travaillent le visage couvert: personne ne sait qui se trouve sous les masques jaunes des forces de l'ordre ou les cagoules des lieutenants. Pour protéger la sécurité des agents, si vous êtes un policier, vous ne pouvez parler de votre job à personne, vous devez avoir un deuxième emploi et un pseudonyme. Dans les faits, vous agissez comme un super-héros à la solde de l'État. Certains ont d'ailleurs des noms de bataille super héroïques (Red Scare, Looking Glass, Sister Night), des costumes, et des facultés physiques presque "surhumaines". 


Toutes ces précautions sont nées à la suite de l’événement connu sous le nom de "Nuit Blanche", un massacre de policiers commis à minuit, trois ans plus tôt, à Noël, par un groupe de suprémacistes blancs. Tout ceci est narré en flash-back dans le second épisode. L’organisation, qui a pris pour référence le justicier Rorschach, porte son masque et adore ses fétiches (son journal, ses méthodologies). Elle a été combattue, mais semble être revenue à la mode. Car dans Watchmen, le discours racial est omniprésent. Ceci dès les premières images introductives du premier épisode, qui relatent un terrible carnage à Tucson, basé sur des faits réels, tant la région a souffert des exactions du KKK, qui avait fait de la ville un de ses fiefs historiques. Une blessure qui ne s'est jamais vraiment refermée, au point d'en redevenir purulente assez régulièrement, et d'être le terreau fertile sur lequel la série va pousser. 
Car dans Watchmen, un nouvel attentat sur un policier remet le feu aux poudres. L'attaque amène le commissaire de police Judd Crawford (Don Johnson) à appeler la détective Angela Abar (Regina King) pour enquêter. Angela a été blessée durant la Nuit Blanche, et a perdu son partenaire, mais elle a courageusement repris son travail au sein de la police, en utilisant une entreprise de pâtisserie comme couverture. Bonne pioche, l'actrice est d'une crédibilité totale, et le personnage est fort, complexe, intrigant, et prouve combien Lindelof est désireux de faire du neuf avec une franchise qu'on réputait inabordable.
Le showrunner découpe Watchmen en petits morceaux, qu'il parvient à cacher dans les replis des scènes. Un manifestant agite le panneau "L'avenir est prometteur", au lieu du dicton de Rorschach "La fin est proche"; le slogan "Quis custodiet ipsos custodes?" est devenu la devise de la police; la goutte de sang ne tombe pas sur un smiley, mais sur l'insigne d'un policier (pour signaler qu'ils sont le produit de la transformation des super-héros) et à son tour, le smiley n'est plus un badge mais la forme prise par les jaunes d'oeufs cassés par Angela au cours d'une démonstration à l'école; le parfum Nostalgie d'Adrian Veidt devient des pilules qui font revivre le passé; la police utilise un véhicule volant comme celui de Night Owl; un hôtel à l'arrière-plan s'appelle le Corsaire Noir. Le test de Rorschach est devenu la Capsule, une salle d’interrogatoire dans laquelle les symboles de l’Américan Way of Life sont projetés sur les murs (publicité pour le lait, alunissage, photo de cow-boy) pendant que les suspects répondent à des questions, pour voir s'ils ont des préjugés psychologiques, amenant à lutter contre l'ordre établi. N'oublions pas non plus d'aborder le seul personnage "survivant" de l'oeuvre en comic book, c 'est à dire Ozymandias, ici campé par un Jeremy Irons un poil cabotin, tout occupé à réciter le role du lord fantasque et déconnecté des règles morales et sociales du tout un chacun. Le Doctor Manhattan est régulièrement cité, mais aux dernières nouvelles, il est toujours sur Mars... 
Pour résumer, Watchmen est le moyen pour Lindelof de parler d’autre chose: des super-héros au sens le plus large possible (dans la fiction, tout le monde s’est approprié une image - ou un imaginaire - en déformant le sens, ce qui en fait un accessoire esthétique, au service de chacun), de racisme, de suprématisme, du patrimoine culturel, de l’information et ses manipulations. Il semble animer du désir de proposer une revisitation complète de l'oeuvre d'Alan Moore, tant en la faisant coller d'avantage à des thématiques modernes, ou tristement anciennes, mais qui reviennent furieusement sur le devant de la scène. Difficile de savoir exactement où va Watchmen, après juste deux épisodes, mais force est de constater que nous avons envie d'aller vérifier. 



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COSMOPIRATES TOME 1 : CAPTIF DE L'OUBLI (JODOROWSKY / WOODS)

 Xar-Cero est typiquement le genre de mercenaire sur lequel on peut compter. Si vous avez une mission à exécuter, soyez certain qu'il ir...