SUICIDE SQUAD GET JOKER ! AZZARELLO ET MALEEV FORMAT BLACK LABEL


 Jason Todd est mort. Même si en apparence, cela va beaucoup mieux depuis. Au cas où vous l'ignoriez encore, il s'agit du second Robin dans la chronologie des sidekicks de Batman, juste après Dick Grayson. Si le premier était bondissant et souvent joyeux, le second s'avérait taciturne, violent et issu d'un quartier malfamé, où il avait vécu une enfance malheureuse. Pire encore, Jason a terminé sa carrière de diablotin costumé à coups de barre de fer sur le crâne, assénés par un Joker au summum de sa cruauté. Certes, il n'est pas le seul responsable de cet effroyable assassinat puisque ce sont en fait les lecteurs eux-mêmes qui en avait décidé ainsi, à l'issue d'un sondage organisé par l'éditeur DC comics. Un petit rappel humoristique et sagace s'est glissé dans les dialogues, dès les premières pages de ce Get Joker qui nous intéresse aujourd'hui. Brian Azzarello nous présente un Jason Todd en cellule; clairement sa libération n'est pas prévue pour tout de suite, à moins que ne se produise un fait inattendu, comme par exemple la visite d'Amanda Waller, qui est aussi la directrice d'un projet très spécial, qui agit à l'abri des regards, dans l'ombre de tous les organismes gouvernementaux recensés. Le projet X est d'ailleurs beaucoup mieux connu sous l'appellation de Suicide Squad, ce qui est tout un programme. Waller décide alors de recruter Jason en lui proposant une importante remise de peine contre ses services. Pour l'aider dans sa mission, elle l'incorpore dans une formation composée majoritairement de seconds couteaux ou de dingos aussi méconnus que dangereux, à l'exception d'un personnage très appréciée de tous (les lecteurs), la pétulante Harley Quinn. Jason finit par accepter… Ah, comment..? Je ne vous ai pas dit ce qu'il est censé faire? Et bien, rien de bien spécial, trois fois rien, c'est-à-dire enfin se débarrasser du Joker, le clown du crime, qui passe plus de temps à s'évader ou en liberté, que derrière les barreaux. Nul doute que si on le supprimait une bonne fois pour toutes, les impôts des contribuables de Gotham en seraient particulièrement allégés…




La mini série de Brian Azzarello était bien sûr prévue à l'origine pour surfer sur la vague du succès espéré du film de la Suicide Squad, de James Gunn. Problème, si les deux premiers numéros sont sortis à l'heure, il a fallu attendre six mois pour que le troisième et dernier soit enfin proposé aux lecteurs; entre-temps, la hype était retombée. L'ensemble est particulièrement violent et construit comme un blockbuster d'action, avec toute une série de trahisons, de complots, jusqu'à l'apparition d'une autre formation de la Suicide Squad, qui vient se mêler à la bagarre générale (celle emmenée par Peacemaker, comme au cinéma, cela va de soi). Mais elle débarque comme un cheveu sur la soupe, sans que cela apporte grand-chose à l'histoire, si ce n'est obliger la bande de Jason Todd et le Joker à se retrouver bien plus proches qu'ils ne le pensaient au départ, c'est-à-dire tous menacés de se faire trucider, aussi bons ou méchants soient-ils. Les dialogue sont très crus, avec de très nombreuses insultes d'une planche à l'autre, parfois (dans les premières planches) remplacées par des signes typographiques qui font que le lecteur devra imaginer le terme de son choix, d'autres fois de manière directe et presque malaisante. Alex Maleev propose un travail soigné et qui correspond à ce que on peut attendre de lui et de son style particulier. De ce côté, il y a peu de choses à lui reprocher, si ce n'est l'apparence du Joker, avec ses petites cornes dessinées sur le front, qui ont tout de même un petit côté ridicule. Le vrai problème de Get Joker c'est qu'on a du mal à vraiment comprendre où veut en venir Aazzarello. S'il se passe toujours quelque chose et que les amateurs de comics qui défouraillent et analysent la situation après vont en avoir pour leur argent, les autres risquent d'être un peu déroutés, car en dehors de cette débauche armée, il n'est pas certain qu'il y ait vraiment quelque chose de pertinent à retenir. Du coup, on tient la une histoire qui sans être ennuyeuse ou totalement ratée, passe clairement à côté du grand potentiel de son sujet. Reste du Maleev sur le Black Label, et on a vu bien pire côté esthétique, je vous assure! Un argument qui pourrait alors vous convaincre d'acheter cet album, qui m'a fait l'effet d'une surprise avortée.





LE LABYRINTHE INACHEVÉ : LA GRANDE QUÊTE MÉTAPHYSIQUE DE JEFF LEMIRE


Le temps finit par tout effacer, même les drames intimes les plus déchirants. William Warren, qui travaille en tant qu'inspecteur des travaux publics, a perdu le goût de vivre le jour où sa petite fille est morte, il y a de cela une dizaine d'années. Depuis, William s'est perdu; son épouse a fini par le quitter, il mène une existence en solitaire et ne semble plus posséder le moindre rêve, la moindre l'ambition. Chose encore plus terrible, il se rend compte qu'il est désormais incapable de convoquer le visage de Wendy, sa fille, dans sa mémoire. S'il parvient encore à saisir certains détails de leur existence ensemble, comme ce pull-over rouge trop grand et tout miteux qu'elle adorait porter, ses traits, son sourire, son regard tout simplement, lui sont désormais inaccessibles. L'histoire prend un tour particulièrement étonnant, pour ne pas dire inquiétant, durant une nuit somme toute banale. William reçoit un appel téléphonique masqué et il se décide finalement à répondre, après avoir refuser de décrocher la nuit précédente, à la même heure. Au bout du fil, la voix qui lui demande de partir à sa recherche, jusqu'à atteindre le "centre" est celle de Wendy, sa fille. Comment est-il possible que la jeune morte entre en communication de cette manière? S'agit-il d'une hallucination, des prémices de la folie, d'une douleur si grande qu'elle fait déraisonner celui qui la ressent? Jeff Lemire déroule une fois de plus certains des thèmes fondateurs de son œuvre, comme les rapports familiaux, la mort, la solitude. Nous sommes ici dans la veine la plus personnelle et intimiste de l'auteur canadien, celle qu'il a patiemment creusé à travers des albums inoubliables comme Jack Joseph, soudeur sous-marin (la ressemblance est presque frappante) ou encore Essex County. La grande passion de Wendy pour les labyrinthes est l'élément portant de ce qui va être une longue quête métaphysique, pour un homme, un père de famille qui a laissé la tristesse et le désespoir l'enfermer dans une prison sans murs, mais sans horizon. "Trouver le centre", ne serait-ce pas aussi se retrouver, tout simplement? 




Le labyrinthe c'est le lieu où on se cache, où on se perd, c'est aussi à l'image de l'existence de tout un chacun. Il est bien rare d'entreprendre ce genre de voyage et d'atteindre le but fixé au premier coup, sans avoir besoin de faire demi-tour, sans se leurrer par endroits, sans devoir même recommencer du début, lorsqu'on s'aperçoit qu'on est dans une impasse totale. L'existence de William en est arrivée à ce point; une perte si dramatique et si inacceptable pour lui qu'il n'a dès lors cessé de dériver, et a laissé au temps qui passe le soin de le porter, de l'annuler, au gré des événements, au point de ne plus savoir où il est ni qui il est, d'ailleurs. Pour une fois, cette histoire ne se passe pas dans une province reculée du Canada, mais dans une ville, à Toronto, et l'architecture même de la cité, la modernité urbaine, participe activement à cette histoire, tout comme en partie ça pouvait être un peu le cas dans les tous premiers épisodes de Gideon Falls, par exemple. Mais ce n'est pas une œuvre si sombre que cela, car l'auteur canadien nous présente toujours un espoir en toile de fond, que l'on peut apercevoir comme une lumière blafarde derrière les nuages cotonneux d'un jour de brume. Il est là, et pour peu que l'on sache regarder dans sa direction, c'est-à-dire entreprendre une traversée courageuse du labyrinthe, il est possible de trouver le réconfort, la solidarité et même pourquoi pas l'amour. La poésie du quotidien a toujours une double face chez Lemire; elle est capable de vous montrer ce qu'il y a de pire et de plus déchirant, et en même temps de vous prouver qu'il existe son contraire, la beauté, si on se donne la peine de la chercher. Jeff Lemire fait tout tout seul, comme dans certaines de ses œuvres les plus abouties. Pour les dessins, il ne s'embarrasse pas de fioritures; conscient de ses propres limites en la matière, c'est surtout l'émotion, les sentiments qu'il est capable de transmettre de manière extraordinaire : les visages sont ainsi ébauchés en apparence seulement, mangés par des lignes qui cherchent à en dessiner la physionomie concrète. Il y a parfois un subtil changement de couleur, quand on passe d'un univers réel à un autre un peu plus métaphysique, ou onirique, et le fil rouge qui traverse le récit est à prendre au sens littéral et figuré, puisque cette quête intime et familiale prends aussi l'aspect d'une corde rouge, comme un fil infini qui se déviderait du pull-over élimé de la jeune Wendy. Derrière tout cela, quelques touches à l'aquarelle enrichissent les cases, qui jouent beaucoup sur les silences, la lenteur, une manière cinématographique de tourner autour des personnages. Il y a d'infinis possibilité de se tromper dans ce Labyrinthe inachevé, comme il y en a dans la vie, mais la seule certitude selon Jeff Lemire, c'est qu'il n'y a aucune chance d'en atteindre le centre si l'on ne se met pas en mouvement et si on n'entreprend pas l'aventure, avec la certitude et même la nécessité de pouvoir parfois se tromper, se corriger, recommencer, mais toujours avancer. Une leçon philosophique et artistique de tout premier ordre à dévorer dès cette semaine chez Futuropolis.






VOLUME 1 POUR LE THOR DE DONNY CATES : LE ROI DÉVOREUR


 Vous connaissez tous le célèbre adage, à grands pouvoirs grandes responsabilités. Et bien, nous pourrions ajouter, à grandes responsabilités, grand poids à porter. C'est ainsi que depuis son accession au trône d'Asgard, Thor est assailli par un sentiment de pesanteur devant l'immensité de ce qu'il va devoir accomplir. Une sensation psychologique et une réalité physique, lorsqu'il réalise qu'il doit fournir toujours plus d'efforts rien que pour soulever son marteau Mjolnir. Pas le temps non plus d'assister au réjouissances royales, puisque voici que débarque Galactus, en piteux état, qui vient demander l'aide du Dieu tonnerre. C'est qu'une nouvelle menace pointe le bout de son nez à l'horizon. L'Hiver Noir menace tout l'univers et pour l'arrêter ce ne sera pas simple. Après tout, c'est ce qui a mis un terme définitif à l'univers qui a précédé le nôtre, celui dont Galactus semble être l'unique survivant. Le pouvoir n'est alors pas suffisant pour vaincre, il faut véritablement accéder à un tel niveau de puissance que nous sommes là dans le domaine de l'improbable, de l'indicible. Thor va-t-il se mettre au service de Galactus, ou Galactus sera-t-il un objet qu'utilisera Thor pour triompher? Toujours est-il que cet étrange attelage va se lancer dans une course poursuite afin de mettre un terme à ce qui menace l'existence tout entière. Donny Cates a un grand mérite, probablement hérité des années 1990, il ose, il parvient à écrire des histoires qui repoussent les limites de l'émerveillement et du crédible, pour à chaque fois réutiliser et réinventer des éléments clés de la mythologie des séries qui lui échoient. Cette fois encore, c'est une grande épopée majestueuse et fun qui attend le lecteur, et qui après un véritable feu d'artifice cosmique prend une direction beaucoup plus intime. Et dramatique.



Lourde est la charge, pour celui qui est devenu roi sans jamais avoir demandé d'endosser cette responsabilité. Impossible d'avoir un moment de répit, de bénéficier de relations autres que celles du souverain avec ses subalternes. Il existerait bien une solution, qui serait de momentanément s'éclipser, ou pour être exact d'échanger sa présence physique avec celle de celui qui fut autrefois son double humain, le docteur Donald Blake. Le problème, c'est que cela fait bien des années qu'un tel échange n'a plus eu lieu, et Blake a eu tout le temps de sombrer dans la folie, oublié de tous et de tout, dans une sorte de construction artificielle autrefois établie par Odin, et qui est devenu au fil du temps une prison dorée. Alors, quand enfin Thor et Donald Blake s'apprêtent à changer de place une nouvelle fois, c'est une situation inédite et impensable qui se produit : Thor se condamne tout seul à l'exil, dans l'impossibilité de reprendre sa place, et le docteur Donald Blake n'est plus qu'un cinglé sanguinaire, bien loin de celui qui autrefois sauvait des vies. Comme déjà dit précédemment, il y a un mérite évident aux histoires écrites par Donny Cates; on ne s'ennuie jamais. Il y a toujours ce petit quelque chose qui nous fait vibrer en attendant l'épisode prochain. L'association avec le dessinateur Nic Klein est particulièrement réussie, car ce dernier est à la fois capable de produire des planches riches en détails et fort agréables, tout en gardant un petit côté sauvage et indie a des illustrations du plus bel effet, que ce soit dans la construction des pages, l'attention portée aux expressions, ou des splash pages de grand impact, pour souligner les moments les plus imposants. Klein fournit un travail remarquable, et il est véritablement le bon artiste au bon endroit, au bon moment. Aaron Kuder se contente de mettre en scène deux épisodes de transition plutôt burlesques, qui servent de temps de respiration. Décidément après un run d'une longueur et d'une qualité exceptionnelle signée Jason Aaron, Thor n'a pas fini d'être choyé, et nous autres lecteurs avons de nouvelles raisons de nous en réjouir.





LE PODCAST LE BULLEUR PRÉSENTE : L'HOMME À LA TÊTE DE LION


 Dans le 133e épisode de son podcast, Le bulleur vous présente L'homme à la tête de lion, album que l’on doit à Xavier Coste, édité chez Sarbacane. Cette semaine aussi, on revient sur l’actualité de la bande dessinée et des sorties avec :

- La sortie de l'album L'écluse que l'on doit au scénario de Philippe Pelaez, au dessin de Gilles Anis et c'est édité chez Grand angle

- La sortie de l'album L'homme qui corrompit Hadleyburg, adaptation d'un récit de Mark Twain par Wander Antunes et édité chez La boite à bulles

- La sortie du premier tome de Journal inquiet d'Istanbul, titre que l'on doit à Karabulut Ersin et aux éditions Dargaud

- La sortie de l'album La vie me fait peur, adaptation d'un roman de Jean-Paul Dubois par Didier Tronchet au dessin, Christian Durieux au dessin et c'est édité chez Futuropolis

- La sortie de l'album ADAN, l'agence de tous vos fantasmes que l'on doit au scénario conjoint d'Alban Sapin et Clara Néville, au dessin de Dudy et c'est édité chez Glénat dans la collection Porn' pop

- La réédition des 6 premiers tomes de la série Aya de Yopougon que l'on doit au scénario de Marguerite Abouet, au dessin de Clément Oubrerie et c'est édité chez Gallimard






 
 


ASTERIOS LE MINOTAURE : MYTHE, SOLITUDE ET INTOLÉRANCE


 Il n'est finalement pas si facile que cela de s'attaquer aux mystères de la mythologie grecque dans une bande dessinée; tout d'abord car à peu près tout et son contraire a déjà été dit et mis en images, ensuite parce qu'il est assez ardu de trouver un angle de vue ou un fil narratif qui puisse plaire au grand public et s'éloigner d'une didactique guindée, sans tomber dans le drama exagéré. Serge Le Tendre poursuit son exploration des passions de la Grèce antique, avec cette fois l'histoire du Minotaure. Mi-homme, mi taureau, il est le fruit de l'accouplement entre Pasiphaé, l'épouse du roi Minos, et un taureau. Son aspect aussi insolite que terrifiant en fait une créature que tout le monde craint et évite. Une solitude insondable et une condamnation sans appel pour celui qu'on nomme Asterios : être isolé à jamais du reste du genre humain, ne jamais connaître des plaisirs simples comme l'amour ou la solidarité. Heureusement que Dédale, un architecte génial admiré de tous à Athènes, et exilé contre sa volonté à Crête, depuis un malheureux accident concernant un de ses apprentis, le prend sous son aile et lui offre (avec son épouse) cette famille qu'il n'aurait jamais eu autrement. Le Minotaure doit lutter pour que son aspect bestial ne prenne pas le dessus, mais au fond de lui, c'est un être assez doux. C'est surtout la frustration et l'impossibilité d'atteindre à une forme de normalité qui le rend dangereux pour lui-même et les autres. Une figure pathétique plus que sanguinaire, et bien évidemment totalement incomprise, puisque pour tous les autres, ce sera la forme qui primera sur le fond, toujours et inexorablement. 



Il y a bien des scènes sanglantes, où le Minotaure laisse exploser sa fureur, mais c'est surtout l'être "humain" qui est le responsable de son malheur, guidé par ses peurs et ses préjugés. La partie qui concerne l'enfermement du Minotaure dans le labyrinthe, et les sacrifices qui s'en suivent, et très éloquente, et excellemment présentée. Y compris le héros Thésée, qui apparaît ici dans toute sa complexité, et certainement pas comme un guerrier de légende qui n'aurait rien à se reprocher. Serge Le Tendre a bien étudié ses mythes, et plus encore, il les a bien cernés. Et il peut alors en dégager certaines règles universelles, qui démontrent comme en fait ces récits hautement fantaisistes et merveilleux parlent clairement de nous, de notre banalité, de notre grandeur, de notre couardise, bref de notre humanité. Frédéric Peynet effectue un travail de toute beauté aux dessins, alternant des scènes assez posées et statiques, qu'il parvient à rendre attrayantes et fort lisibles, à des explosions soudaines de l'action, avec un Asterios qui crève littéralement la page à deux reprises, dans une séquence qui est le point d'orgue de cette bande dessinée pertinente et passionnante. La couleur s'adapte très bien aux tons du récits, se drapant parfois de ténèbres froides, pour plus loin baigner dans une lumière douce et reposante. Voici donc un ouvrage qui sait faire du neuf -et de quelle manière- avec une histoire que tout le monde croit connaître, souvent à tort, et qui a l'habileté de construire également de vrais personnages attachants, aussi bien dans leur caractère retors (Tectamus et sa duplicité agissent comme un coup de pouce du destin, comme on le pensait pour Eris, la déesse de la discorde, qui régissait les disputes les plus cruelles) que dans leur grandeur d'âme. Sortie prévue chez Dargaud cette semaine, que nous vous conseillons d'ores et déjà avec conviction. 





CRIMINAL INTÉGRALE VOLUME 1 : NOIR C'EST NOIR


 Les super-héros ont fini par vous fatiguer et vous préférez lire des récits d'un tout autre genre, avec une prédilection pour le polar ? Ed Brubaker et Sean Phillips sont vraiment les artistes qui sont faits pour vous. D'ailleurs, bien difficile de dire quelle est leur œuvre conjointe la plus aboutie, tant à chaque fois que l'on lit ou relit leur travail, l'impression est qu'ils sont capables de se dépasser, de se renouveler, de ne jamais tomber dans la redondance, tout en creusant le même sillon. Delcourt propose désormais l'intégrale de la série Criminal, qui fut un rappelons-le publiée au départ chez Marvel, sous l'étiquette Icon. On pourrait résumer cet ensemble d'histoires comme des récits où des criminels (justement) ou de simples hommes et femmes tentent d'échapper à leurs propres destins, qui agissent sur eux comme une toile d'araignée où ils restent finalement englués. Par exemple, le personnage principal de la première aventure, un certain Leo, est considéré par tout le monde comme un pleutre.  Leo a la particularité de savoir quand il convient de se retirer, de ne jamais faire le pas plus long que la jambe, avoir les yeux plus gros que le ventre. S'il ne se fait pas prendre, c'est parce qu'il est capable de mesurer les risques et de ne pas tenter le sort. Seulement voilà, même les hommes les plus prudents peuvent un jour être trompés par le malheureux hasard ou l'incurie. Surtout quand un ancien associé, membre véreux de la police, débarque avec une proposition alléchante mais mal ficelée, accompagné d'un collègue violent et obtus. D'ailleurs, les récits chez Brubaker fonctionnent comme un jeu de domino; dès lors qu'on fait tomber par imprudence le premier; il est impossible d'arrêter la longue séquence de chutes, qui ne prend fin que lorsqu'il ne reste plus rien qui tient debout. Que ce soit la police corrompue ou la pègre qui fréquente ce bar de l'Undertown, que l'on revoit régulièrement dans Criminal, et qui sert un peu d'ancre géographique aux différentes histoires, il n'y a point de salut dans un monde sombre et vérolé, où la violence, les trahisons et les faux espoirs, sont au menu de chaque instant. Et comme l'ensemble est raconté-dessiné d'une manière cinématographique et avec une maestria chirurgicale par un Sean Phillips en état de grâce permanent, c'est tout simplement envoûtant.




Dans le second "livre" de cette épopée, nous suivons les pas de Tracy, le frère de la petite frappe Ricky Lawless, qui s'est engagé dans l'armée et a combattu en Bosnie, pour échapper à la délinquance du quartier et à la vie bien sombre qui l'attendait, s'il était resté dans le giron du paternel. Il faut dire que le cadet a été refroidi, probablement victime des mêmes malfaiteurs avec qui il travaillait sur un nouveau coup, et que le frangin a bien l'intention de venger cet affront. La vérité se fraie un chemin à coups de rebondissements bien poisseux, de faux billets de banque, et de retournements de veste bien sentis. L'humanité est régulièrement prise en faute? Parce que dans l'univers de Criminal, la famille est une faiblesse; les fautes des pères rejaillissent sur les fils et les fils ne s'émancipent jamais vraiment de l'ombre du père, même quand ils ont la chance d'avoir une vie à eux et de prendre d'autres directions. Ils finissent par revenir dans le giron de la pègre et se laisser prendre dans les rouages infernaux de mécanismes qui les dépassent. Même chose pour ce qui est des femmes; vénéneuses ou simplement faussement naïves, elles n'attirent que des ennuis à ceux qui succombent à leur charme (Ricky puis Tracy sont deux exemples à géométrie variable). C'est ainsi que dans le troisième livre de cette première intégrale, la vie de Jack "La Grogne" Brown, que nous connaissons depuis les premières pages en tant que tenancier de l'Undertown Bar, va connaître un tournant tragique. Destiné à devenir un boxeur de renom, l'homme était parvenu à (presque) s'affranchir momentanément des origines criminelles de sa famille et de ses relations amicales, voire fraternelles, bien ancrées dans le milieu. Mais voilà, Danica est la femme qui vient semer la discorde, celle qui brise les liens les plus solides, celle qui enclenche le mécanisme fatal et mortifère. Brubaker n'invente rien, il joue juste les bonnes cartes, au bon moment, maitrise les codes à la perfection, tisse des récits haletants et au couteau, qui ne présentent pas la moindre fausse note. Phillips est l'orchestre parfait pour la partition de cette symphonie au noir, qui est un bijou du genre, une œuvre dont chaque partie répond en écho aux précédentes, pour former un opéra à couper le souffle. Du polar en mode majeur. 






CAPTAIN AMERICA : UN SUPER-SOLDAT OU UN SUPER-JUNKIE (QUESTION DE SERUM)

Captain America est un super-héros un peu particulier. A la base il ne dispose pas de super pouvoirs, mais depuis qu'un sérum formidable a été introduit dans son organisme, il est doté de force, réflexes, et endurance surhumains. Nous pourrions donc considérer que même s'il est motivé par des idéaux louables et qu'il est plein d'un courage extraordinaire, Steve Rogers à tout du junkie. Il doit ses aptitudes à une drogue, ni plus ni moins. D'ailleurs est-elle toujours dans son organisme ? Je vous rappelle qu'en 1990 Mark Gruenwald et Ron Lim sont les auteurs d'un arc narratif intitulé streets of poison, courant du numéro 373 au numéro 378, et qui a remis fortement en question la présence du sérum dans le sang du héros. Tout a commencé lorsqu'il a été exposé par accident à une nouvelle forme de drogue appelée ice; celle-ci s'est mêlée avec le sérum du super soldat, et le résultat est que le leader des Avengers est devenu ultra violent et complètement cinglé. Il fallut un certain temps pour que ses amis puissent le maîtriser et le ramener sur le droit chemin. Impossible d'y parvenir avant que Hank Pym n'effectue une transfusion de sang total. 



Pour sauver Steve Rogers… nous allons peut-être devoir tuer Captain America. Voilà les propos du savant au moment de venir en aide à son ami. Sans le sérum, suis-je encore Captain America ? se pose comme question notre héros enfin devenu clean… le voici qui part bouclier au poing pour aller affronter Crossbones et vérifier ce qu'il en est véritablement de ses talents et de sa force légendaire. Première mission à l'eau claire pour l'ancien dopé qui doit désormais compter sur mère nature et rien d'autre.


Bien sûr le chef des Avengers s'impose, car il connaît des trucs fort utiles dans un corps à corps de ce genre. Bonne nouvelle au terme de l'affrontement, Pym lui fait savoir que tout va pour le mieux, le sang a été purifié et traité correctement, et il est possible de rendre le sérum à Steve, et de revenir à la situation de départ. Je suis ce que je suis, avec ou sans le sérum dans mes veines. Hop, Captain America reste inflexible, il en a fini avec les aides pharmacologiques, et c'est un justicier propre et crédible qui se tient devant nous. N'ayez crainte, il ne vieillit pas instantanément, ne redevient pas malingre, non, il s'entraîne juste plus dur que d'habitude, et fait du jogging avec ses potes, dans un épisode très mal dessiné par Chris Marrinan, de passage sur la série. 




Une excellente idée narrative, que de priver Captain America du sérum du super soldat, et de le faire compter uniquement sur ses propres forces. Sauf que dès le #384, quelques mois plus tard, une simple visite chez le médecin révèle que non, en fait la mixture est toujours là, et qu'elle était juste inactive durant un temps, suite à la transfusion. Voilà pourquoi Cap pouvait mettre un vent à ses amis en allant courir au parc. Sacré tricheur. Et en plus, si vous lisez la dernière bulle publiée ici même, vous verrez que Steve estime qu'il n'existe pas de vraies comparaisons possibles entre son sérum et les drogues traditionnelles qu'utilisent les accrocs pour se faire plaisir. Bref, inutile d'appeler le contrôle anti-dopage, l'emblème de l'Amérique est dans son plein droit, et il est propre sûr et au dedans de lui. Toc. 



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LES MAÎTRES DU COSMOS : SOUVENIR COSMIQUE CHEZ SEMIC


 C'est les vacances pour tout le monde, y compris pour nous. Point de "nouvelle lecture" aujourd'hui, mais une plongée dans le passé, avec une odyssée cosmique totalement oubliée, les Maîtres du cosmos. Dans les années 1990, Thanos acquiert un statut variable. Présenté parfois comme la pire engeance que l'univers ait jamais connu (Thanos Quest, Infinity Gauntlet...) ou bien comme le classique grand vilain repenti aux attitudes de sage en devenir (Infinity Crusade) on rencontre au fil des pages des versions subtilement différentes, voire contradictoires, du personnage. Cela dit attention, dès qu'il s'ennuie, il retrouve sa vocation première, à savoir la recherche du savoir et par là même du pouvoir, de toutes les manières possibles. Ce qui inclut bien entendu la violence et les abus en tout genre… Dans les Maîtres du cosmos nous le rejoignons en pleine scène de combat, en train d'effectuer un carnage sur une planète lointaine. Thanos ne demande pas, il prend ce qu'il veut, et c'est précisément ce qu'il est en train de faire. Il est à la recherche d'un trésor inestimable, qui en fait n'est pas constitué de joyaux ou de pièces d'or, mais de connaissances, d'informations. Pendant ce temps-là rien ne va plus dans la galaxie. Le dernier héraut en date de Galactus, un certain Morg, ancien bourreau sanguinaire de son monde d'origine et adepte de la torture extrême, à été capturé par Tyrant, un être surpuissant dont les racines plongent dans un très lointain passé, et qui a maille à partir avec le dévoreur de mondes depuis des siècles. Tyrant avait disparu de la circulation, à tel point que plus personne ne pensait à lui, mais s'il revient sur le devant de la scène, ce n'est certainement pas pour faire de la figuration. Il représente en tous les cas un défi formidable et irrésistible pour le Titan fou, qui néanmoins sait bien qu'il ne sera pas aisé de venir à bout d'un tel opposant, et de lui voler ce qu'il convoite, grâce à la seule force brute.  Son premier allié sera donc Terrax, lui aussi autrefois au service de Galactus, et ce n'est pas un poète! Armé de sa hache cosmique, il laisse derrière lui cadavres et mutilations. Terrax, nous le retrouvons captif dans une sorte d'arène, où le prix du combat est sa liberté . Mauvaise idée que d'utiliser le personnage comme un simple divertissement pour les jeux, et rien de surprenant de le voir s'échapper, et faire payer chèrement ses geôliers et ceux qui désiraient l'exploiter. Une force de frappe notable commence à se liguer contre Tyrant et un choc cosmique s'organise, le tout scénarisé par Ron Marz, qui assemble une à une les pièces du puzzle.



Si Thanos est le héros de la première partie de cette saga intitulée Cosmic Powers en VO, il faut savoir qu'en tout elle est divisée en 6 parties. A l'époque Semic avait proposé l'intégralité de la mini série sous forme de 3 albums contenant deux histoires chacun. Au fur et à mesure de la progression du récit, le cast s'étoffe et ce qui semble au début un regard particulier et scrutateur sur chacun des personnages et leurs motivations intimes devient peu à peu une grande bataille rangée, entre êtres au pouvoir incommensurable. Nous avons déjà parlé de Thanos et de Terrax donc, avec les dessins de Ron Lim, grand habitué des sagas cosmiques dans les années 1990, mais aussi de Jeff Moore, qui a su insuffler beaucoup de dynamisme dans son travail. Andy Smith s'occupe pour sa part d'un curieux duo. D'un côté le Valet de cœur qui semble condamné à une solitude éternelle, enfermé dans un costume qui l'empêche de vivre une vie normale, mais aussi le préserve en vie. Il fait la rencontre de Ganymède, une combattante hors-pair, dernière de sa race, dont le but ultime est justement la destruction de Tyrant. Ce couple improbable et touchant est aussi victime des machinations de Thanos. Autre héros à être impliqué dans cette histoire, Legacy, à savoir le fils du Captain Marvel des origines. Impulsif et encore peu habitué à ses nouveaux pouvoirs, il fonce dans le tas sans trop réfléchir, et se retrouve face à face avec Nitro, celui qui condamna son géniteur en l'empoisonnant avec un gaz mortel, qui plus tard lui occasionnera un cancer foudroyant. Les deux dernières parties sont consacrées à Morg, avec les dessins surprenants de Tom Greenberg, dans un style proche de ce que peut faire Mignola. A l'époque beaucoup n'aimaient pas ses planches, mais j'ai toujours eu un petit faible pour cet artiste, selon moi très sous estimé. Scott Eaton est le dessinateur qui s'occupe de la déflagration finale, quand tout le monde tape sur tout le monde, et que l'heure est venue de fournir une conclusion à cette grande aventure. Bien évidemment, Thanos n'est pas seulement une créature puissante et mauvaise, c'est aussi le maître incontesté des plans machiavéliques et de la fourberie quand cela sert ses propres intérêts. L'ensemble se laisse encore lire avec plaisir bien des années après, même s'il est clair que cette histoire est très marquée du sceau stylistique qui dominait autrefois, au fin fond du cosmos dans l'univers Marvel. Les lecteurs qui ont grandi avec ces antagonistes fraîchement remis à la page en ont toujours des souvenirs émus.





Et comme toujours, venez nous remercier pour notre travail, et vous abreuver du meilleurs des comics, en likant la page

URBAN COMICS PROPOSE (ENFIN) ANIMAL MAN PAR GRANT MORRISON


Animal Man, pour beaucoup de lecteurs qui ont pris le train des comics en marche ces dernières années, c'est avant tout une série écrite par Jeff Lemire, où il est question de forces élémentales de la nature, comme la Sève, le Sang, ou la Nécrose. Mais ce n'est pas le seul et unique grand moment de la carrière de ce super-héros un peu particulier. Longtemps cantonné à de brèves apparitions, en tant que guest-star dans les aventures des autres, ou ravalé au rang de faire valoir, Buddy Baker devient enfin un héros respectable à la fin des années 80, alors que Dc comics cherche à mettre la main sur le nouvel Alan Moore, et s'en va faire razzia de nouveaux artistes en Grande-Bretagne. La plupart finiront dans le giron du label Vertigo, et réaliseront des œuvres qui restent encore aujourd'hui comme de petits bijoux indémodables. L'écossais Grant Morrison ne fait pas exception à la règle. Au départ, Dc lui confie Animal Man pour une mini série de quatre épisodes, avec une liberté totale de mouvement. Le background et la continuity du personnage sont si peu exploités, à cette époque, que Morrison a carte blanche pour raconter plus ou moins ce qui lui passe par la tête. Du coup, il se focalise sur deux points essentiels. La vie de famille de Buddy, qui avant d'être un héros en costume (pas très crédible, par ailleurs) est aussi un père de famille et un mari un peu frustré (sa femme paie le loyer). Et puis la défense des animaux, notamment ceux utilisés pour des tests en laboratoire, qui servent de cobayes pour les délires malsains de la science et du progrès. Animal Man va ainsi se heurter à un laboratoire, qui sous couvert de mettre au point un remède contre le Sida, fabrique en réalité une nouvelle souche du virus Ebola. Engagé par les scientifiques pour arrêter une sorte de surhomme aux pouvoirs totémiques (B'Wana Beast, incarnation des pouvoirs sauvages de la Terre Africaine, avec un costume ridicule entre revue du Crazy Horse et Thunderbird, des premiers X-Men), notre héros va vite se rendre compte que la réalité est ailleurs… Morrison est végétarien, et il va également convaincre son personnage de le devenir. La série engrange rapidement faveurs du public, et chiffres de vente respectables. Ce qui amène tout naturellement Dc à transformer l'essai. Animal Man devient une on-going des plus surprenantes, où il se passe un peu tout et n'importe quoi, avec une seule constante : la qualité intrinsèque des idées de Grant Morrison. Comme dans cet épisode considéré le plus réputé, The Coyote Gospel, où Animal Man rencontre l'équivalent du Road Runner de Tex Avery (Bip Bip si vous préférez), pour un récit qui flirte avec l'absurde et la méta bande-dessinée. Ce n'est que la première étape d'une grande réflexion, qui va amener Buddy a prendre conscience qu'il n'est en fait qu'un personnage de papier, soumis aux caprices de son auteur. 



Animal Man devient vite une série incontournable. Certes, tout n'est pas non plus parfait. Par exemple, les aventures du héros tendent à se limiter assez vite à des histoires narrées en un seul numéro, dont la qualité varie un mois sur l'autre. Quelques baisses de régime se font sentir, notamment lorsque Buddy part aux Iles Féroé pour sauver des dauphins du massacre (une boucherie caricaturale qui se termine avec Animal Man qui condamne un des responsables à une mort quasi certaine, sans que cela l'émeuve particulièrement, lui et ses amis écologistes) ou encore lors d'une virée à Paris, contre The Commander of Time, qui donne l'impression d'un fill-in bâclé. On peut déplorer également les dessins parfois sommaires et souvent dépouillées de fond de case construits d'un Chas Truog aimable mais loin d'être transcendantal, et d'un Doug Hazlewood du même acabit. Un peu mieux fait Tom Grummett, honnête artiste taillé pour les comic books en costumes. Qu'à cela ne tienne, réjouissez-vous avec cet Animal Man et son monde cocasse, étrange, et truffé, comme l'aime Grant Morrison, de personnages de second plan, un peu risibles et pathétiques, qui montent sur la scène et jouent les premiers rôles, l'espace d'une vingtaine de pages. Comme le Mirror Master, qui vient attaquer Buddy en famille, ou encore le Red Mask et ses robots, qui envisage le suicide. Questionnement sur l'identité même du héros, sur les frontières entre réalité et monde de papier, sur l'essence même, la définition, d'un super héros aux repères fracassés, le Animal Man de Morrison déroute, provoque, amuse, interroge. Il explore aussi la dualité entre hommes et animaux, flirte avec la justification des actions coup de poing des défenseurs animaliers, avec un héros qui n'hésite pas à briser la loi et s'introduire dans les laboratoires où se poursuivent certaines expériences au détriment de singes brimés, ou même de petits rongeurs. Urban Comics a entamé la publication de l'intégrale de ces épisodes longtemps attendus, et nous vous conseillons très très chaudement d'investir en ce sens. Signalons aussi qu'au terme de la prestation de Morrison, ce sont des scénaristes comme Peter Milligan, Jamie Delano ou le regretté Rick Veitch qui prennent le relai, alors que l'horreur devient de plus en plus prégnante. 





JUSTE AVANT L'ÉCLOSION : UNE BELLE FABLE HUMAINE CHEZ SHOCKDOM


 Finalement, qu'est-ce que l'éclosion si ce n'est une naissance, quand on parle d'un végétal. Une occasion joyeuse en apparence, sauf pour Breena. La jeune créature, sorte de feu follet élémentaire, n'est aucunement intéressée par assister à la l'éclosion des autres. Ce qui l'intéresse, c'est quitter la serre où elle attend elle aussi de venir à la vie. Mais l'événement tarde et la frustration monte. Pire encore, elle a la possibilité d'observer la vie quotidienne de nous autres humains, grâce à une fontaine magique. Breena souhaite donc accélérer les choses et "advenir". Bel hasard des choses, une possibilité lui est offerte lorsque son maître spirituel lui explique qu'il serait envisageable de se joindre aux humains, avec cependant une condition très simple, la nécessité de faire changer les autres pour qu'elle puisse elle-même changer à son tour. Breena se jette dans la nouvelle grande aventure, où elle devient une jeune femme entreprenante et pleine de vie, une sorte de tourbillon en mouvement. Elle possède un pouvoir presque surhumain, qui lui permet de faire changer d'avis les gens qu'elle fréquente. Bien pratique, mais le libre arbitre, dans tout ça? Avec une amie, elles crée une marque de vêtements, et se consacre à temps plein à cette nouvelle activité. Mais le désir de bien faire et d'aider doit aussi se mesurer à la réalité de la vie quotidienne, comme par exemple récupérer un rapport familial délicat fait de non-dits et d'incompréhension, et aussi celui de couple, qui se délite lentement, rongé par la trahison. Faire changer les autres, est-ce une bonne manière d'agir, quand le changement se fait, au final, pour son propre confort, son propre intérêt ? Qu'en est-il de l'acceptation du monde et de l'altérité, pour ce qu'ils sont alors ? 



L'ensemble reste continuellement poétique, subtil, chargé en émotion et dessiné dans des tons fiabesques et lumineux. Un trait souple, des formes harmonieuses, et une grande expressivité sur les visages des personnages, voici les points formes de l'aspect graphique de ce récit. Le projet est véritablement né en 2018, par la volonté d'une certaine Nyda,  qui demanda à la scénariste Sara Antonellini (à la tête d'un collectif d'histoires autoéditées, Potpourri Comics, qui a présenté sept ans durant un recueil anthologique) de traduire en texte la mauvaise passe qu'elle venait d'affronter, mais dont elle était parvenue à se sortir. La dessinatrice Corinna Braghieri fut ensuite repérée sur Internet et la bande dessinée présentée au Festival de Lucca Comics, ou le succès obtenu fit que toutes les copies trouvèrent rapidement leur public. C'est donc un plaisir de pouvoir disposer aujourd'hui de la version française de ce petit succès transalpin au capital sympathique évident, qui pourra toucher un public large, avec une forme innée de ravissement, que nous vous invitons chaudement à découvrir. Une histoire de petits pas et d'humanité, donc, de décisions et de conviction, de comment les moteurs de nos choix personnels sont aussi des rouages essentiels pour faire fonctionner le monde qui nous entoure. Chacun a sa place dans la grande mécanique, et il ne faut jamais oublier l'essentiel, c'est à dire qui nous sommes, au profit de ce que nous avons. C'est bête et simpliste, exprimé ainsi, mais c'est juste et plus clair avec Antonellini et Braghieri.  Comme toujours quand il est question d'audace stylistique et de grande variétés des genres, il convient d'aller jeter un œil chez Shockdom, éditeur protéiforme et en évolution permanente.







GREEN LANTERN CORPS INTÉGRALE TOME 1 : RECHARGE


 Hal Jordan a beau être le Green Lantern le plus célèbre et efficace de tous les temps, il n'en est pas moins faible comme un humain. Ainsi, lorsqu'il cède à la peur et devient Parallax, il signe dans le même temps la disparition quasi totale du Corps des Green Lantern, cette police intergalactique dont tous les membres sont dotés d'un anneau vert, pour faire respecter la justice et l'héroïsme, dans tous les secteurs de l'univers. Alors qu'une guerre a éclaté entre les empires de Rann et de Thanagar, et que de nouvelles menaces pointent à l'horizon, les Gardiens de Oa (en gros, les supérieurs hiérarchiques des Lantern) décident qu'il est grand temps de reformer un Corps plus puissant et efficace. Comme d'habitude, Kilowog se charge de l'instruction des nouvelles recrues, tandis que Guy Gardner, toujours aussi arrogant et sûr de lui, commence à jouer les francs-tireurs. Il faut dire que d'étranges trous noirs apparaissent ça et là dans le cosmos, et engloutissent des planètes entières à leur suite. L'Arachnoguilde, des araignées spatiales aussi repoussantes que prédatrices, essaime aux quatre coins de la galaxie et met à rude épreuve ceux qui se dressent sur son chemin. De nombreux Green Lantern sont déjà mort au combat. Tout ceci sert d'introduction à la nouvelle série du Green Lantern Corps, présenté sous la forme d'une mini série en 5 volets intitulée Recharge, écrite par Geoff Johns et Dave Gibbons et dessinée par Patrick Gleason, qui à l'époque fut encensé pour son travail, mais qui démontre clairement qu'il avait encore besoin d'un peu de temps pour devenir celui qu'il est aujourd'hui. Autre personnage important dans cette résurgence de la patrouille verte et téméraire, Soranik Natu, qui est une brillante chirurgienne native de la planète Korugar. Là-bas, les Lantern ont laissé de bien piètres souvenirs, en raison du passif accumulé avec Sinestro. L'ancien dictateur local est passé du côté obscur (jaune) de la force, après avoir mis un monde entier sous sa coupe. Soranik a donc bien des réticences a enfiler l'anneau, puis beaucoup de mal à se faire respecter par les siens. 


Même s'il s'agit des aventures du Corps des Green Lantern, le personnage principal et récurrent s'appelle GuyGardner. Le scénario est en effet confié à un Dave Gibbons qui distille beaucoup d'humour tout au long de ces treize premiers épisodes, où la tête brûlée en provenance de la Terre s'en donne à cœur joie. Non seulement il ne respecte pas toujours le règlement à la lettre, mais certaines de ses remarques flirtent avec la misogynie et le mauvais goût… mais c'est pour ça qu'on l'aime, le Guy, son côté un peu transgressif, capable de penser hors des cases. Ici une de ses premières préoccupations est de pouvoir prendre enfin un peu de vacances et de repos bien mérité. Malheureusement, alors que cela semble enfin possible, Bolphunga se dresse sur sa route et profite du fait que son adversaire a momentanément ôté l'anneau de son doigt. Ce n'est qu'un court interlude de répit pour Gardner, qui va même un certain temps faire parti du "Cadavre", c'est-à-dire une sorte de branche bien particulière des Green Lantern, chargée des opérations secrètes et à qui il est demandé d'agir de manière radicale. C'est pour cela que très souvent les Lantern de la Terre ne sont pas sélectionnés, car leur sens moral et leurs atermoiements peuvent être fatales. Gardner est un fonceur et il est peut-être le seul à pouvoir s'adapter. La mission est de contrer le Dominator, dont le pouvoir grandissant devient un danger pour toute la galaxie. Et même à compter qu'il s'en sorte, Gardner aura ensuite affaire à une sombre histoire d'assassinat d'un de ses collègues, dont il est accusé à tort. En réalité, il est question d'une espèce de virus neuronal qui sévit sur Mogo, la planète Lantern, là où vont en général les membres du Corps pour se ressourcer quand ils traversent des épreuves trop délicates à digérer. Au niveau des dessins, Gleason s'améliore d'un épisode sur l'autre, gagne en confiance, avec tous ces personnages fantasmagoriques dont les différences font le sel de la série. Gibbons dessine lui-même quelques épisodes qui apparaissent dès lors un peu moins sombres, mais aussi avec des scènes plus figées ou artificielles. Si cette intégrale peut sembler un peu difficile à lire au départ, lorsqu'on n'est pas habitué à l'univers des Green Lantern, elle se révèle très attachante sur la durée. Chaque nouvelle aventure ne faisant que renforcer le merveilleux et le drolatique qui caractérisent ces pages. Au final on est impatient de découvrir les seconds et troisième tomes, tant il s'agit là d'une série sous-évaluée et qui mérite vraiment d'être mise en lumière (verte, bien sûr). 






THE BOYS : DES OMNIBUS CHEZ PANINI POUR LES P'TIS GARS DE GARTH ENNIS


 Avant d'être le succès planétaire que vous savez, sur la plateforme Prime d'Amazon, The Boys c'était la maxi série la plus déjantée et installée dans la durée, du scénariste dingo Garth Ennis. Panini est toujours à l'affut (le contraire serait une faute éditoriale) de l'instant, et propose donc le premier Omnibus de nos petits Gars, et pour ceux qui sont passés à côté (oui, il en reste) c'est une opportunité à saisir, et vite. Il y en a même qui n'ont jamais regardé la série télévisée, et ne savent pas de quoi nous parlons. Promis ! Je m'adresse donc à ceux-là en premier, mais à vous autres aussi : franchement, vous croyez vraiment que si les super-héros existaient, ils se contenteraient, du haut de leurs statuts d'icônes et de leurs pouvoirs formidables, de sauver la veuve et l'orphelin sans rien demander en échange? Juste par pure abnégation et sens des responsabilités, comme ce bon vieux Peter Parker? Oui, il y en aurait peut être, mais il y a aussi fort à parier qu'une bonne majorité d'entre eux finirait par s'adonner à la corruption, ou par dévier de sa trajectoire initiale. Le pouvoir fait tourner les têtes, alors le super pouvoir, imaginez donc! Et quand une communauté de héros en latex, tout puissants, commence à toiser le commun des mortels et ne s'embarrasse plus des dommages collatéraux occasionnés par les batailles de rue, qui pourrait donc bien rétablir un semblant d'équité, en rappelant à l'ordre, par la force s'il le faut, ces demi-dieux inconscients? Cette tâche ingrate, c'est celle qu'ont acceptée les cinq membres d'une force gouvernementale secrète, The Boys, dirigée par la carrure impressionnante de Butcher, le plus cynique et solide d'entre eux. Toutes les méthodes sont bonnes pour faire plier ces super gugusses sans foi ni loi, comme les sept plus grands héros de la Terre, avec le terrifiant et et égocentrique Homelander à leur tête, qui en orbite géostationnaire autour de la Terre, dans leur quartier général ultra moderne, font passer une audition particulière à la petite dernière, leur nouvelle et jeune recrue. La jolie blonde va devoir ouvrir la bouche pour ces messieurs (toute ressemblance avec la JLA de Dc comics n'est pas fortuite, bien entendu) alors que la version juvénile de ces défenseurs de la paix (les Jeunes Terreurs, clin d'œil réussi aux Jeunes Titans) n'est pas en reste : les gamins se fourvoient dans le stupre, la drogue, l'immoralité la plus totale. Il est temps d'agir, les Boys sont là pour cela. 



Garth Ennis avait l'ambition de faire encore plus dérangeant, avec The Boys, que ce qu'il fit avec Preacher quelques années auparavant. Mission réussie, mais il ne faut pas être trop sensible. L'aspect religieux, si souvent présent et brocardé chez l'auteur irlandais, est ici mis de coté, au profit d'une représentation crue et acide de la sexualité débridée, tout spécialement des rapports de groupe et homosexuels. On a l'impression que tous les super slips, chez Ennis, sont clairement ou indirectement dévoyés, et cachent de lourds secrets/tabous en rapport avec leurs pratiques ou fantasmes sexuels. La charge ironique sur le sujet est si forte qu'on bascule régulièrement dans le mauvais goût, même si c'est très clairement à prendre au second (troisième ?) degré. C'est bien là la limite de Garth Ennis, sa propension à vouloir écrire des scènes qui flattent les plus bas instincts de son public, jouant avec les codes honnis du sexe, principalement. Du coup, il atteint par moments sa cible à merveille, comme la scène où Stella, jeune recrue, est contrainte à une fellation multiple pour être acceptée parmi ses aînés héroïques; ou lorsque son idole de toujours lui dessine une vaste échancrure au marqueur, sur le costume, pour l'inciter, sur ordre des sponsors du groupe, à en revêtir un nouveau, plus audacieux et croustillant. The Boys est un concentré hautement irrévérencieux mais pas forcément subversif, je ne sais pas si vous saisissez et appréciez la différence. C'est en tous cas, indéniablement, un comic-book qui vous transporte dans une joyeuse sarabande parodique, et modifie à jamais votre perception ingénue des rapports entre tous ces héros que vous avez appris à connaître, que vous aimez, mais qui cachent tous, tant bien que mal, leurs parts de névroses, addictions, et autres manies honteuses. Justement le terreau fertile sur lequel prospère la série de Ennis, qui réserve aussi des moments d'espoir ou plus apaisés, principalement avec un duo attendrissant. Une histoire d'amour véritable, belle et sincère, peut-elle quand même s'épanouir dans l'univers glauque et cynique de The Boys? C'est tout le défi qui est réservé au P'tit Hughie et à la blonde Stella. Le premier est certes la dernière recrue en date de la bande impitoyable qui contrôle l'exubérance des super-héros, mais il n'a pas encore ce coté désabusé et violent qui distingue ses compagnons d'armes. La seconde est une vraie héroïne depuis qu'elle a été accepté au sein de la super équipe des Sept, mais son enrôlement avait un prix humiliant, une séance de viol collectif à son arrivée. Ces deux-là ont des bleus à l'âme, et sont peut être faits pour se rencontrer. Butcher, lui, fait foi à son patronyme, la Crème est une armoire à glace friable, la Fille une explosion de violence jouissive, et le Frenchie une sorte de couteau suisse bourré de surprises. Darick Robertson est parfait aux dessins, avec son trait gras et expressif, et il parvient à mettre en scène tout un univers de super-héros plus proches de super-zéros, aux costumes bigarrés et aux coutumes dissolues. The Boys est donc avant tout un divertissement subversif, qui ose et met le doigt là où ça fait mal, quitte à tomber parfois dans le grand guignol ou l'outrance la plus complète. Mais clairement, ce genre de comic book, aux mains d'artistes de cette trempe, est également salutaire et fascinant. Probablement plus encore que la série d'Amazon, qui ne peut pas, par exemple, parodier les X-Men (ici les G-Men) pour des questions de droits, et doit parfois (si, je vous jure) mettre un peu d'eau dans son vin, comparé à la liberté de ton de Garth Ennis au format papier. Si ça, ça ne vous incite pas à lire…


 


LE PODCAST LE BULLEUR PRÉSENTE : BILLY LAVIGNE

 Dans le 196e épisode de son podcast, Le bulleur vous présente Billy Lavigne que l’on doit à Anthony Pastor, un ouvrage publié chez Casterma...