Certains crient au chef-d’œuvre, d’autres restent à la porte. Le format comic, avec son rythme particulier, semble parfois brider l’ambition du projet. Un roman ou une série documentaire aurait pu déployer l’affaire avec plus d’ampleur, Torso doit se plier à un exercice imposé pas si simple : on le juge aussi trop verbeux pour être haletant, trop elliptique pour vraiment creuser ses enjeux. La part politique du récit, nécessaire à la compréhension du contexte, pèse parfois lourd dans la narration. Mais ce serait faire preuve de mauvaise foi que d'insister dans ces remontrances superficielles. Car l'ambiance qui se dessine, cette lourdeur qui trouvent ses racines dans le polar classique mais aussi dans la déroute sociale d'une ville et d'un pays qui souffrent, est en réalité très aboutie et addictive. Les dessins aussi font ce qu'ils peuvent pour diviser le lectorat : répétition de cases identiques, séquences figées, ruptures de rythme visuel qui nuisent à l’immersion. Mais à bien y regarder, cette fragmentation de la manière de produire du récit est fascinante, aide à perdre le lecteur, à le placer dans un sentiment d'inconfort qui est celui de tous les protagonistes. Pour les amateurs de polars méticuleux, de récits noirs à la lisière du réel, Torso est un ouvrage fascinant, qui mérite d’être lu attentivement, pour pleinement apprécier son dispositif narratif. Entre bande dessinée expérimentale et chronique judiciaire, œuvre tiraillée entre la légende et l’échec, un véritable dossier classé sans suite, rouvert par deux auteurs passionnés, en somme. Cette nouvelle édition chez Delcourt est enrichie par un cahier assez fourni, avec des pièces du dossier, des coupures de journaux, de quoi rapprocher la fiction de la réalité (forcément quelque peu différente, mais pas trop) et se plonger jusqu'à la lie dans une affaire dont on ne voit pas encore le point final en 2025, même si le faisceau d'indices semble assez conséquent.
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