TORSO : LE MEURTRIER AUX TORSES DE CLEVELAND AVEC BENDIS ET ANDREYKO


Quand Brian Michael Bendis s’attaque à un fait divers aussi dérangeant que les meurtres d'un tueur en série qui démembre ses victimes, il ne le fait pas à moitié. Torso, c’est l’histoire vraie d’un assassin insaisissable qui a dépecé ses proies à Cleveland, dans les années 1930, sous l’œil impuissant du légendaire Eliot Ness. Un pitch en or, donc, pour un auteur qui a grandi à l’ombre de Frank Miller et qui, à l’époque pré-Marvel, aimait conjuguer polar, noirceur graphique et dialogues ciselés comme des rafales de mitraillette. Sur le papier, tout y est, donc : une affaire irrésolue, un enquêteur mythique en chute libre, un contexte social sous tension et une ville gangrenée par la corruption. Bendis, assisté ici par Marc Andreyko, livre un récit qui, par sa structure et son esthétique, flirte avec le documentaire autant qu’avec le thriller. Il entremêle dessins sobres et photos d’archives, coupures de presse et rapports d’autopsie, dans un noir et blanc réaliste qui évoque plus un dossier du FBI qu’un comic mainstream. Le résultat ? Une ambiance glaçante, une reconstitution historique méticuleuse, et un hommage amer à un héros fatigué. Mais Torso n’est pas un Sin City à bon marché, ni un From Hell un poil plus moderne. Certes, l’ombre de Frank Miller plane — notamment celle de son Daredevil — mais Bendis fait ici du Bendis : il déconstruit les mythes, brouille les lignes entre le bien et le mal, et laisse ses protagonistes se débattre dans une réalité trop complexe pour les archétypes hollywoodiens. Ness n’est pas un cow-boy de l’ordre, c’est un homme dépassé, largué politiquement, socialement, jusque dans son couple. Il touche du doigt la vérité, sans jamais pouvoir la transformer en justice. Et comme si ça ne suffisait pas, il doit composer avec la corruption des forces de police locales, qu'il est censé de toute manière nettoyer de fond en comble. 



Certains crient au chef-d’œuvre, d’autres restent à la porte. Le format comic, avec son rythme particulier, semble parfois brider l’ambition du projet. Un roman ou une série documentaire aurait pu déployer l’affaire avec plus d’ampleur, Torso doit se plier à un exercice imposé pas si simple : on le juge aussi trop verbeux pour être haletant, trop elliptique pour vraiment creuser ses enjeux. La part politique du récit, nécessaire à la compréhension du contexte, pèse parfois lourd dans la narration. Mais ce serait faire preuve de mauvaise foi que d'insister dans ces remontrances superficielles. Car l'ambiance qui se dessine, cette lourdeur qui trouvent ses racines dans le polar classique mais aussi dans la déroute sociale d'une ville et d'un pays qui souffrent, est en réalité très aboutie et addictive. Les dessins aussi font ce qu'ils peuvent pour diviser le lectorat : répétition de cases identiques, séquences figées, ruptures de rythme visuel qui nuisent à l’immersion. Mais à bien y regarder, cette fragmentation de la manière de produire du récit est fascinante, aide à perdre le lecteur, à le placer dans un sentiment d'inconfort qui est celui de tous les protagonistes. Pour les amateurs de polars méticuleux, de récits noirs à la lisière du réel, Torso est un ouvrage fascinant, qui mérite d’être lu attentivement, pour pleinement apprécier son dispositif narratif. Entre bande dessinée expérimentale et chronique judiciaire, œuvre tiraillée entre la légende et l’échec, un véritable  dossier classé sans suite, rouvert par deux auteurs passionnés, en somme. Cette nouvelle édition chez Delcourt est enrichie par un cahier assez fourni, avec des pièces du dossier, des coupures de journaux, de quoi rapprocher la fiction de la réalité (forcément quelque peu différente, mais pas trop) et se plonger jusqu'à la lie dans une affaire dont on ne voit pas encore le point final en 2025, même si le faisceau d'indices semble assez conséquent. 



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