
Il va falloir que vous vous y fassiez. Oui, le label Absolute est véritablement synonyme d’audace éditoriale, de relecture radicale, voire de grand écart narratif. Après Absolute Batman et Absolute Wonder Woman, voici donc pour finir (pour cette première salve chez Urban Comics) Absolute Superman, signé Jason Aaron et magnifiquement mis en images par Rafa Sandoval. Une nouvelle mouture qui ose tout et réussit tout ce qu'elle entreprend. Rien que ça. Première surprise : Krypton. Exit les cristaux rétro-futuristes ou les déserts glacés de l’ère Byrne. Ici, c’est une planète rongée par la bureaucratie, structurée en castes, et tout droit sortie d’un cauchemar d’exécutif middle-management. Jor-El et Lara ne sont plus les scientifiques de toujours : ce sont des prolétaires engagés, exclus pour avoir eu le mauvais goût de crier au désastre écologique. Jason Aaron revisite les fondations du mythe en remplaçant la froide rationalité par la chaleur humaine. Et contre toute attente, ça fonctionne : ce Krypton-là a du cœur, du drame, et même des outils agricoles. Sur Terre, Kal-El a troqué son costume lisse pour une armure/combinaison vivante régulée par une IA baptisée Sol, voix pragmatique parfois tentée de lui souffler de ne pas trop jouer les syndicalistes. Mais le Superman version Absolute, même affaibli, n’hésite pas à se frotter aux Peacemakers 2.0 pour défendre des mineurs surexploités en Amérique du Sud. Un retour aux racines sociales du personnage ? Absolument. Car Aaron ne déconstruit pas Superman, il le ré-ancre : dans la boue, dans la lutte, dans le réel. En gros, ce que Grant Morrison a tenté d'écrire avec le début des New 52, mais sans approfondir vraiment le concept. Les puristes feront sans doute de la spasmophilie devant tant de libertés : Lois Lane militaire, pas de Daily Planet à l’horizon, une symbolique kryptonienne redéfinie… À quoi bon appeler ce personnage Superman si on change tout ? Eh bien, parce qu’en réalité, on ne change rien de l’essentiel. Aaron a compris ce que tant d'autres ont oublié : Superman, c’est l’espoir en action, le refus de l’injustice, même quand cela coûte. Ce n’est pas "notre" Superman ? Non. Et tant mieux. Il n’a pas vocation à rassurer, mais à nous rappeler ce qu’est un héros. Et les héros sont proches du peuple, issus du peuple.

Ce Superman là est organique et humain, il ne triche pas. Dans sa défense des opprimés, qu'il fréquente, qu'il assiste, en temps que prolétaire révolté devant les injustices commises par ceux qui peuvent et donc se permettent un peu tout et n'importe quoi. Et aussi dans sa manière de vivre et d'interagir avec le monde, comme lorsqu'encore jeune écolier sur Krypton, il subissait les foudres de ses enseignants parce qu'il insistait pour écrire ses textes seul, sans recourir à l'intelligence artificielle, détentrice de tout le savoir de son monde. D'ailleurs, savoir, sur sa planète natale, c'est un peu fomenter la révolte, représenter un trouble majeur à l'ordre public. Le monde se meurt, sans que ses couches ouvrières ne le sachent, pendant que les élites tentent d'évacuer dans la plus grande discrétion. De quoi forger un mental et surtout un moral pour le futur Homme d'Acier. Côté dessin, Sandoval régale. Son Superman est minéral, presque tellurique, vibre d’une intensité brute, renforcée par les couleurs terreuses magnifiques d’Ulises Arreola. La chaleur visuelle contraste avec la froideur de "l’armure", ce qui instaure un équilibre subtil entre l’homme et l’icône. La cape notamment, est une trouvaille visuelle très intrigante. Chaque page semble ciselée pour servir la cause : donner chair à un mythe différent, mais semblable. Absolute Superman est clairement un paradoxe réussi : le titre réinvente sans trahir, bouscule sans perdre le cap. Il pose des questions, ose des réponses, et surtout, il ne cherche pas à tout prix à plaire à ceux qui veulent encore et toujours le Superman "classique". Il propose une autre voie. Tout en resservant les personnages secondaires essentiels (Lois Lane, Jimmy Olsen, entre autres) à des fonctions inattendues mais somme toute logiques. Et à voir le héros se diriger vers Smallville, en toute fin d'album, on a hâte de lire la suite, pour voir la légende s'étoffer.
Sortie le 30 mai.
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