MIRACLEMAN : DECONSTRUCTION D'UNE ICONE AVEC ALAN MOORE

Pour ce qui est de la vraie genèse de Miracleman, il faut faire un sacré bond en arrière, dans les années 50. C'était alors la mode des super-héros tout puissants, reporters dans le civil (vous avez dit Superman) ou bien capable de se "transformer" suivant un mot magique (Kimota, qui signifie, à l'envers Atomik. C'est subtil). Après quelques années de bons et loyaux services et une plongée dans l'oubli collectif, Miracleman gagne ses lettres de noblesses lors d'un retour remarqué dans les années 80, sous la plume inspirée d'Alan Moore (puis Neil Gaiman, quelle chance) et les crayons de Alan Davis, Garry Leach ou Chuck Austen. C'est un tout autre personnage qui nait de l'association de cet aréopage de talents. Michael Moran est un individu torturé, blessé, meurtri. Il n'a plus aucuin souvenir de la vie héroïque qu'il menait autrefois, si ce n'est des cauchemars récurrents qui pourraient bien être la clé pour un retour des souvenirs perdus. Et même s'il parvient un beau jour à retrouver le mot magique qui le transcende à nouveau, c'est pour affronter une réalité bien différente. Entre le besoin de se réadapter à cette puissance incroyable, et une opposition inattendue et perverse, les difficultés ne manquent pas. Les bribes qui reviennent peu à peu sont douloureuses, et suintent la mort, avec une bombe mortifère qui parait avoir éliminer de l'équation les side-kicks qu'étaient Young Miracleman et Kid Miracleman. Car vous l'aurez compris, la "famille" Miracleman est copiée en tous points sur la "Marvel Family", celle qui comprend notamment Shazam, ou Mary Marvel. D'un coté nous avons donc un humain, faillible, marié et anonyme, de l'autre une créature qui réalise tous les fantasmes de l'Ubermensch, et dont les dons sont à priori illimités. Les deux ne font qu'un, mais ne sont pas pour autant exactement la copie conforme de l'autre. Ils ont une sorte de conscience ommune, mais ce sont deux entités séparées. Et surtout, c'est le secret de la génese de Miracleman qui va alimenter tous les premiers épisodes. comment une telle créature a pu voir le jour? Vient-elle d'une autre planète? Est-elle artificielle? La réponse englobe un peu tout cela, et puise ses racines chez l'archi ennemi du héros, un certain Docteur Gargunza. 


Pour Michael Moran l'accession à ce statut quasi divin n'est pas un cadeau du sort, ou une bénédiction. C'est une profonde mutation qui vient mettre en péril son quotidien de mari et de futur père. Nous sommes bien dans les prémices du travail de déconstruction entrepris par Moore, et qui aboutira au chef d'oeuvre qu'est Watchmen. Le super-héros n'est pas cet être insouciant qui combat le crime dans un costumes aux couleurs criardes, et jouit de sa réputation. C'est un être qui ne trouve pas sa place, n'a pas choisi ce qui lui arrive, et subit un sort enviable en théorie, mais qui devient vite un boulet qu'il doit traîner jour après jour, sans pouvoir s'en débarrasser. Emblématique la grossesse de l'épouse de Michael, qui est en fait imputable à Miracleman, alors que le mari semblait incapable d'assurer une progéniture. Le surhomme est tout ce que l'homme n'est pas et ne sera jamais, il est son alter ego idéalisé, inaccessible, et en cela d'avantage non-humain que plus qu'humain. Marvel (et Panini dans la foulée) a donc eu la très bonne idée de reproposer au public ce comic-book aussi intelligent que dérangeant, tout en optant pour la recolorisation des planches. Ce n'est pas une mauvaise idée, dans la mesure où les originales étaient bien entendu marquées à jamais par une époque, au risque de piquer les yeux des nouvelles générations qui n'ont pas connu les eighties. Croquis ou variant covers complètent les différents tomes, et vous le verrez, il y a en a une grande variété (certes réduites au format de quatre covers par page, c'est assez frustrants par endroits). Présenté dans la revue anglaise Warrior, Miracleman a donc enfin trouvé un public moderne et connaisseur, et propose aux textes le scénariste originel (Alan Moore, qui n'a jamais trop accepté que Marvel fourre son nez dans les droits d'édition de la série, et on sait le bonhomme assez antipathique quand il le souhaite) et aux dessins des artistes comme Garry Leach (très réaliste et raffiné, avec des personnages qui portent gravés sur les visages les tourments de l'être intérieur), Alan Davis (plus souple) ou Chuck Austen (qui n'est pas que scénariste, en voici la preuve). Icone surpuissante mais au destin maudit, Miracleman vous séduira (ou vous a déjà séduit) par l'intelligence et la maturité du propos. Hautement conseillé. 

Chez Panini pour le moment : Quatre tomes de publiés





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