DIBBOUK : THRILLER ET MYTHOLOGIE JUIVE CHEZ LES HUMANOS


 De Toulouse à Paris, aller-retour en l’espace de vingt ans. Marie a quitté la Ville rose il y a deux décennies — ou, pour être plus exact, elle s’en est enfuie. Au fil des pages, on découvrira les raisons qui l’ont poussée à fuir le milieu juif orthodoxe dans lequel elle a grandi. La tragédie qui l’a frappée l’a contrainte à une décision radicale : tourner le dos aux siens, fuir dans la capitale et initier une vie nouvelle. Celle qui autrefois s’appelait Myriam se fait donc désormais appeler Marie. Elle a rencontré un homme avec qui elle a eu deux enfants, et semble avoir fondé une famille équilibrée — même si la situation économique du couple est loin d’être idéale. Elle est journaliste, mais ses revenus restent modestes ; lui, actuellement au chômage, espère rebondir à Toulouse. La maison dans laquelle la famille va s’installer est particulièrement spacieuse… mais tombe en ruine par endroits. Et, cerise sur le gâteau : elle est réputée hantée. Lorsque le lecteur comprendra ce qui s’y est réellement passé, il ne sera guère surpris. C’est en fouillant dans une des malles installées dans une chambre à l’étage que le petit garçon du couple, Félix, va faire une découverte qui bouleversera sa vie. Petit à petit, l’enfant — qui, à Paris, avait été victime de harcèlement scolaire — adopte un comportement de plus en plus étrange. Chaque fois qu’on le contredit ou qu’il est soumis à un stress intense, son nez se met à saigner (oui, il y a peut-être un soupçon d’influence Stranger Things ici), et des phénomènes de violence extrême se produisent. Ainsi, un camarade de classe finit dans le coma après avoir été roué de coups dans les toilettes. Quant à Lise, la fille, elle entre de plain-pied dans l’adolescence et s’inscrit, bien évidemment, dans une forme de rébellion envers ses parents — d’autant que les secrets que sa mère lui avait jusqu’ici dissimulés commencent peu à peu à remonter à la surface. Et croyez-moi, ce ne sont pas de petits secrets…



Le dibbouk, dans la culture juive, c'est l’esprit d’un mort qui, pour diverses raisons (péché non expié, mort violente, incomplétude spirituelle), ne parvient pas à trouver le repos et s’accroche à un vivant, souvent en prenant possession de son corps. En gros, une métaphore de la mémoire, du traumatisme, du péché ou du non-dit, qui hante les générations suivantes. Ici, un meurtre dans la famille, le poids des interdits et des attentes, qui peut plomber sérieusement ceux qui vivent dans le carcan de l'orthodoxie à outrance. S’il est possible de qualifier Dibbouk de thriller, c’est parce que les indices sont distillés progressivement tout au long de l’histoire. Au départ, on a du mal à croire à ce récit de possession démoniaque, mais il faut se rendre à l’évidence : les phénomènes qui accompagnent la frustration ou la colère de Félix relèvent du surnaturel, et semblent bel et bien guidés par un esprit malveillant. Déborah Hadjed-Jarmon parsème également son récit de références à la religion hébraïque, n’hésitant pas, d’ailleurs, à orienter résolument la conclusion dans cette direction. Ce sera une sorte de retour aux sources pour Marie, contrainte de se tourner vers son passé pour tenter de mettre un terme aux tragédies qui frappent son présent. Des révélations viennent renforcer cette lecture, et peu à peu, tout prend sens. Ce qui fonctionne particulièrement bien dans cette bande dessinée, c’est la dynamique entre les personnages, et la façon dont ils sont écrits. Chacun possède une personnalité distincte ; tous se trompent, souffrent, doutent de leur place. C’est précisément cette humanité qui rend cette petite cellule familiale à la fois attachante et crédible. Le dessinateur italien Alberto Zanon (héritier de l'école Disney) insuffle corps et vie à l’ensemble, en variant les angles de vue et en adoptant un trait incisif, parfois anguleux, qui insuffle mouvement et énergie à chaque planche. Même si la dernière partie est un peu difficile à avaler et atténue quelque peu l’impression de réussite globale, Dibbouk (publié chez les Humanoïdes Associés) demeure une lecture réellement plaisante, à laquelle on souhaite sincèrement de trouver son public.

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3 commentaires:

  1. On a hâte de lire un album sur la cause palestinienne.

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    1. Il n'y a absolument aucun rapport entre ce qui se passe actuellement dans le conflit israélo-palestinien et cette bande dessinée, où la religion n'est abordée qu'à travers des légendes, la mythologie, un prétexte pour ajouter un élément horrifique.

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    2. Sinon : https://www.decitre.fr/livres/palestine-9781560974321.html

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