LES SEPT SECRETS : THRILLER ET COMPLOTS CHEZ DELCOURT


Les secrets peuvent être lourds à porter, au sens propre comme au sens figuré. Dans cet album qui vient de sortir au mois de janvier chez Delcourt, ils sont au nombre de sept. Clairement chacun d'entre eux peut changer la face du monde, à jamais; c'est la raison pour laquelle une organisation elle aussi secrète (qui en réalité ressemble beaucoup à une secte) appelée tout simplement l'Ordre, a pour mission de les protéger afin que personne ne puisse jamais les découvrir. C'est-à-dire s'en emparer. Ils sont lourds à porter au sens propre, car chaque secret est attribué à deux personnes : le porteur, qui doit en permanence avoir avec lui une valise dans laquelle est enfermé le secret, et son gardien, celui qui en connaît la teneur est l'utilisation, qui en est le dépositaire ultime. Bien évidemment les différents membres de l'Ordre doivent maintenir le plus grand sérieux dans leurs tâches, et cela implique de ne pas avoir d'histoire sentimentale, et encore moins des rapports intimes entre eux. Le pire serait que deux de ces élus finissent par avoir une progéniture... et bien évidemment c'est ce qui se produit très rapidement. Le jeune Caspar est donc l'enfant inattendu et non désiré, qui va être vite soustrait à ses deux parents. Pendant les premières années de sa vieil va être élevé dans un lieu inconnu dont il ne garde d'ailleurs plus le souvenir en mémoire. On le retrouve jeune adolescent, en pleine période de formation, quand il s'exerce à tous les arts possibles, que ce soit ce du combat, de l'espionnage ou du vol. Le but est d'en faire un individu aussi dangereux que déterminé pour pouvoir lui aussi un jour être un des porteurs des sept secrets.  Pendant ce temps-là une menace commence à pointer le bout de son nez, incarnée par le mystérieux Amon. Qui risque de mettre en danger, voire même d'annihiler l'existence de l'Ordre, et donc surtout de dévoiler au grand jour ces secrets qu'il faut taire.



Ces Sept Secrets ont pour architecte Tom Taylor, autrement dit un des scénaristes les plus en vogue du moment, un de ceux qui sont capables de présenter des personnages très bien écrits et attachants, qui résistent sur le long terme. C'est ce qu'il a fait chez DC Comics pour Dcseased ou bien encore Injustice, et il recommence ici en apportant de surcroît un vent de fraîcheur et une écriture parfaitement adaptée à un public plus jeune ou moderne, orientation qui est forcément destinée à faire mouche. En plus, il est épaulé par le dessinateur italien Daniele Di Nicuolo, qui parvient à réussir une synthèse admirable entre un manga shônen et un comic book américain. La manière dont l'énergie se dégage de cette histoire, la construction des scènes d'action, et pour autant une lisibilité enviable, en font le crossover parfait à destination de celui qui lit des mangas mais ne dédaigne pas non plus de bons comics . Ou le contraire. On prête ici clairement une attention plus grande aux personnages, à leurs émotions, aux scènes de kung fu, la manière dont le langage corporel permet d'exprimer ce que les "héros" possèdent à l'intérieur. Et bien entendu, pour être fidèle au titre, les secrets ne manquent pas. Non seulement ceux qui demeurent dans les valises attachées à leurs porteurs, mais également dans la trame constituée comme un millefeuille : plus on avance et que l'on retire de couche, plus nous découvrons de nouveaux mystères, qui d'ailleurs à la fin de ce premier arc narratif sont encore bien loin de trouver une résolution. Au contraire un ultime cliffhanger nous promet même un retournement de situation qui pourrait envoyer la série sur de nouvelles pistes, peut-être même contraire à ce qui a été présenté jusque-là. C'est indéniablement une belle petite réussite, parfaitement à l'aise dans l'air du temps. Et qui a un énorme capital sympathie, pour peu que le public décide de donner une chance à cet album. Si vous avez lu cette chronique et qu'en général vous nous faites plutôt confiance, vous savez ce qu'il vous reste à faire. 




LE PODCAST LE BULLEUR PRÉSENTE : HARLEM


 Dans le 120e épisode de son podcast, Le bulleur vous présente la première partie d'Harlem, album qui sera décliné en deux parties, que l’on doit à Mikaël, édité chez Dargaud. Cette semaine aussi, on revient sur l’actualité de la bande dessinée et des sorties avec :

- La sortie de l’album Amalia que l'on doit à Aude Picault et aux éditions Dargaud

- La sortie du premier tome d'un triptyque baptisé Molière, premier tome qui s'intitule À l'école des femmes, que l'on doit au scénario de Vincent Delmas, au dessin de Sergio Gerasi et c'est édité chez Glénat

- La sortie de l'album Crushing que l'on doit à Sophie Burrows et aux éditions Gallimard

- La sortie du second tome de la série Karmela Krimm baptisé Neige écarlate, que l'on doit au scénario de Lewis Trondheim, au dessin de Franck Biancarelli et c'est édité chez le Lombard

- La sortie de l'album Je suis toujours vivant que l'on doit au scénario conjoint de Roberto Saviano et Asaf Hanuka, au dessin de ce dernier et c'est édité conjointement chez Steinkis et Gallimard

- La sortie en intégrale de Moi, René Tardi, prisonnier au stalag IIB que l'on doit à Jacques Tardi et aux éditions Casterman

JUSTICE SOCIETY OF AMERICA TOME 1 : LE NOUVEL ÂGE


Si la Justice League représente la réunion des super-héros les plus puissants de l'univers DC, une formation de gros calibres pour affronter les crises les plus dramatiques, la Justice Society of America ressemble quasiment à une famille. C'est que le concept de transmission, d'héritage, s'y développe pleinement. Au départ les personnages qui la composent sont ceux qui sont nés avec l'âge d'or des comics, dans les années 40. Des super-héros vieillissants qui ont été mis officiellement à la retraite en 1986, avec la célèbre saga Crisis on Infinite Earths, censée simplifier grandement la généalogie des histoires publiées jusque-là. Mais on ne peut pas mettre de côté des individus aussi attachants; c'est pourquoi peu à peu ils ont fait leur retour, au point que dans les années 90 Geoff Johns leur offre une nouvelle série à la hauteur de leurs compétences. On y retrouve le premier Flash des origines (Jay Garrick) mais aussi le Green Lantern originel (Alan Scott), un combattant hors pair comme Wildcat, et également des personnages plus jeunes comme Power Girl, Hourman et Liberty Belle, ou carrément récents et proposés pour l'occasion, comme Stargirl, une jeune héroïne ultra sympathique qui a été inspirée au scénariste par sa jeune sœur tristement décédée. Aujourd'hui vous la connaissez bien, car elle a aussi sa propre série sur le réseau CW. Dès le départ le ton du récit est donné : il sera question de super-héroïsme, mais en même temps d'une attention aux détails du quotidien, aux liens qui unissent tous ces personnages. Par exemple nous allons nous attarder sur l'arrivée d'une toute jeune rouquine (Cyclone) qui fait son entrée au sein de la JSA avec des étoiles plein les yeux. Cela dit sa première réunion est interrompue par le cadavre de Mister America, qui défonce la verrière et s'écroule sur la table. C'est qu'il a été pris en chasse et battu à mort par un individu qui a précédemment exterminé toute sa famille. Car oui, dans l'ombre, quelqu'un tente de mettre fin une bonne fois pour toute à l'héritage de ces grands héros de l'âge d'or. Le récit a été publié pour la première fois il y a si longtemps que je ne pense rien révéler de décisif en assurant qu'il s'agit de Vandal Savage; qui pour l'occasion s'est
acoquiné avec une bande de super méchants nazis. Nous suivons également l'arrivée de Starman au sein de la formation. Un visiteur d'un autre univers dont le psychisme est totalement fragmenté, au point de le faire flirter avec la folie permanente. Tout cela donne un ensemble assez dysfonctionnel mais qui donne vraiment envie d'être là, de les côtoyer au quotidien. La JSA, ce sont des super-héros certes puissants, mais on sent l'amitié, l'amour, l'entraide, dans chacun de leurs actes, et en cela Johns à effectué un remarquable travail. 




C'est cela qui me plait tant dans cette série. L'émotion qui suinte de certains des épisodes, les relations humaines qui sont aussi importantes que les actes de bravoure. C'est d'autant plus criant quand Johns offre des "interludes" centrés sur un personnage en particulier. Le nouveau Commander Steel, appelé Citizen Steel, dont l'amputation d'une jambe n'est que le prélude à une seconde carrière, après un autre drame effroyable, quand sa famille est massacrée par des nazis lors d'un picnic anodin. Ou encore Liberty Belle (autrefois Jessie Quick) dont le désir de perfection a eu de tristes répercussions sur ses relations familiales, avant de comprendre que les défauts sont inhérents au genre humain. Cette JSA là trouve toujours des ressources insoupçonnées dans l'union, qui pour le coup fait vraiment la force. Rien de surprenant à voir apparaître certains membres de la Légion des Super-héros, lors d'un crossover avec la Justice League, car c'est un peu le même principe qui anime ces amis disposés à tout pour venir en aide les uns aux autres. Cette état d'esprit est aussi mis à rude épreuve quand débarque un nouveau Superman massif et plus âgé, en provenance d'une Terre (celle de Kingdom Come) qui a cessé d'exister, et où le super-héroïsme s'était transformé en une doctrine agissante qui ressemble à une forme de fascisme. Plongé dans un univers qui lui est inconnu, mais avec nombre d'exemples vertueux sous les yeux, ce Superman là peut aussi se rapprocher de Power Girl, elle aussi personnage "déplacée" en provenance d'une autre réalité, depuis effacée, et qui porte en elle un lourd sentiment de solitude. Tout ceci n'étant en fait que le prélude à une crise majeure, qui arrive... Cet énorme pavé est en majorité dessiné par Dale Eaglesham (héros puissants, musculeux, trapus, une noblesse qui suinte des poses, des muscles) et Fernando Pasarin (un style plus souple, plus classique, parfait pour ce genre d'orgie à super pouvoirs) et esthétiquement il y a peu à dire, si ce n'est que c'est fort plaisant, d'un bout à l'autre, ce qui contribue à faire de cette JSA un excellent moment de lecture, une petite utopie de ce que devraient être nos chers héros de papier, animés par la justice, l'héroïsme, la solidarité. 



L'ESCADRON SUPRÊME : LE PROGRAMME UTOPIE


Commençons par le minimum indispensable à savoir, pour comprendre ce que nous vous proposons de lire. L'Escadron Suprême est un groupe de super-héros appartenant à Marvel Comics, qui évolue sur la Terre-712, dont les membres sont clairement des avatars maison de la célèbre Justice League de chez DC Comics. Secondement, cet album fait suite à une saga réalisée par Jean-Marc De Matteis, avec les Défenseurs, où les membres de l'Escadron sont manipulés et sous l'emprise mentale de l'Overmind, au point d'être poussés à instaurer une véritable dictature en lieu et place des Etats-Unis d'Amérique. Grâce à l'aide du Docteur Strange, Hyperion et les siens finissent par triompher, mais la confiance du peuple est sérieusement entamée, et surtout, les dégâts sur le tissu social et économique sont considérables. Presque tout est à refaire, et c'est dans ce contexte que démarre notre histoire écrite par Mark Gruenwald, avec la démission du président américain Kyle Richmond, qui s'avère aussi être Nighthawk, le "Batman" de l'Escadron. Le désaccord du milliardaire est total, lorsqu'il apprend que ses collègues envisagent de redresser le pays à leur manière, c'est à dire en décidant pour la population ce qui est bénéfique pour elle, ce qui lui sera permis, ce qui ne le sera plus. Non seulement une question de lois, de constitution, mais aussi de morale, qui devient alors l'apanage de super-héros, qui s'arrogent la possibilité de tracer eux-mêmes une frontière entre le bien et le mal. Le programme Utopie commence par la suppression de toutes les armes à feu, aussi bien détenues par l'armée, que par les simples citoyens. C'est ensuite la décision la plus invraisemblable : modifier les schémas cérébraux des criminels pour que leur propension à faire le mal disparaisse, et en faire de bons et agréables citoyens. Nighthawk est si choqué par ce qu'il entend qu'il envisage même un instant d'assassiner son leader, Hyperion, alors que que celui-ci s'adresse à la nation. Hyperion, c'est Superman, un type invulnérable (si ce n'est une sensibilité mortelle à une roche extra-terrestre) et propre sur lui, un justicier qui incarne la bonté et la force dans le même corps. Les autres membres les plus influents sont Power Princess, Whizzer, le Docteur Spectrum, Amphibien, l'Archer Doré, et sa "compagne" Alouette, ou encore l'Aigle Bleu et l'inventeur de petite taille, Tom Pouce. L'intuition géniale de Gruenwald est donc quelque chose de révolutionnaire pour l'époque. En seulement douze numéros, le regretté scénariste américain va dépeindre des héros douteux, fragiles et parfois même carrément méchants. Des personnages qui, jusque-là s'étaient montrés intègres et qui au contraire ont basculé d'un coup d'un seul, affligés par la jalousie, la colère, la frustration et bien d'autres sentiments très éloignés des stéréotypes du super-héros, auquel le lecteur avait été habitué jusqu'alors. 



Pouvant compter sur une liberté créative difficile à obtenir sur d'autres séries de la Maison des Idées (certes c'est plus facile quand le récit se déroule dans un univers parallèle, son influence sur la continuité Marvel devant être pratiquement nulle) Gruenwald en profite pour violer d'autres tabous. D'abord, au bout de quelques pages, tous les membres du groupe, pour gagner la confiance des habitants de la planète, renoncent à leurs identités secrètes, puis, dans un crescendo dramatique, plusieurs de ces justiciers perdent la vie (la mort de l'un d'entre eux est même causée par un "accident", une intervention mal calibrée de la part d'un coéquipier, qui en voulant bien faire contribue à commettre l'irréparable). Le meilleur de l'humanité finit par côtoyer le pire. Les intentions sont bonnes, c'est indéniable, mais quand on est fondamentalement humain, alors qu'on possède des pouvoirs qui nous placent au delà de cette condition humaine, la corruption peut s'immiscer par les plus minces interstices. Avoir la volonté de changer le monde (sans son consentement), en avoir même les capacités apparentes, est-ce bien raisonnable quand on ne parvient pas à se changer soi-même? Quand le doute est si pernicieux qu'un héros ne s'estime plus digne de poursuivre sa mission? Quand un autre par amour commet un des viols métaphoriques les plus abjects de l'histoire de la bande dessinée? C'est ainsi que fonctionne la destructuration du mythe du super-héros, qui allait être l'apanage des grands auteurs britanniques de la fin des années 80 (Moore, Gaiman...). Certes des artistes comme Dennis O’Neil et Neal Adams (avec le duo Green Arrow Green  Lantern en plein road trip social au coeur des Etats-Unis) ou Frank Miller (Daredevil et son western urbain) avait déjà initié le mouvement, mais ici nous sommes face à autre chose. Le niveau de pouvoir est si total qu'on flirte avec le totalitaire. Le voile du bien fondé ne masque qu'à peine une effluve fascisante, les contours inquiétants d'une société où une oligarchie dotée de pouvoirs formidables guide et oriente un peuple dont on attend avant tout les remerciements, et l'obéissance. Les héros sont fragiles, ils peuvent être mesquins, on en voit aussi qui sont violents, rageurs, jaloux, et les passions sont mauvaises conseillères, quand on accède à ce niveau de responsabilité. Gruenwald ouvre la voie à Mark Waid, Mark Millar, Garth Ennis, anticipe tout ce qui va suivre, aidé dans un premier mouvement par un Bob Hall qu'il serait temps de réévaluer sérieusement. Son trait parfois plus anguleux et nerveux que convenu se base sur la puissance expressive et sur les émotions des personnages, presque au détriment d'une attention anatomique canonique. Mais ça marche, et les planches vivent réellement. C'est ensuite Paul Ryan qui prend la suite. Avec moins de personnalité, moins d'originalité, mais toujours une lisibilité et une capacité à mettre en scène tout ce beau monde, sans fausse note, qui rend l'ensemble encore plaisant bien des années plus tard. John Buscema pour sa part ne réalise qu'un seul épisode. On ne peut donc qu'applaudir à pleines mains l'initiative de Panini Comics de rééditer cette saga fondamentale, parue au départ dans Spidey n°87 à 99, dans un grand format Deluxe soigné avec une traduction méritoire et une qualité d'impression indiscutable. Un bel objet, mais surtout une belle épopée, probablement parmi les plus sous-évaluées de toute l'histoire des comics de super-héros. Si vous n'avez jamais lu l'Escadron Suprême, il est urgent de remédier. Je vous le promets, vous y prendrez un réel plaisir. 



NOCTERRA : LE TRIOMPHE DE LA NUIT AVEC SNYDER ET DANIEL CHEZ DELCOURT


 "Nocterra marque mon retour au rôle de dessinateur qui ne s'occupe que de produits indépendants, et c'est une série que je voulais faire depuis des années. Un titre qui mélange l'horreur de mes œuvres indépendantes, telles que Whytches et American Vampire, avec le rythme effréné et l'épopée de mes histoires pour DC, dans le but d'offrir quelque chose de personnel, un peu dingue et très, très drôle, aux lecteurs. Je n'aurais pas pu rêver d'un meilleur co-auteur que Tony Daniel, un grand ami et une superstar de la bande dessinée américaine". C'est avec ces mots que Scott Snyder présentait Nocterra, titre qui débarque en Vf en ce début d'année chez Delcourt. Au menu, un univers bien sombre, dans tous les sens du terme. L'ambiance est à la réécriture post-apocalyptique de notre société, et la lumière a disparu, littéralement. Plus de soleil, la noirceur et le froid partout, une humanité aveugle. Pire encore, dans cette pénombre devenue la norme, tous les organismes vivants finissent par muter, devenir de véritables monstres. Cela concerne les êtres humains, les animaux, même les plantes. Il faut donc se protéger, et il n'existe qu'une seule solution efficace, se réfugier à l'abri de la lumière artificielle, de tout ce qui passe à portée de main, de la lampe de poche aux néons. Les groupuscules de survivants se sont réunis en communautés séparées les unes des autres, et il faut bien du courage pour aller de l'une à l'autre, et transporter le matériel, les denrées nécessaires pour subsister. C'est le cas de Val Riggs par exemple, l'héroïne de cette histoire, qui sillonne les routes à bord de son poids-lourd ultra customisé. La jeune femme n'est pas seule, puisqu'accompagnée de son frère cadet, Emory, qu'il va cependant falloir sauver de la gangrène noire, c'est à dire de cette infection qui gagne ceux qui restent trop longtemps privés de toute source lumineuse. Les rapports entre les personnages sont importants, au point que c'est avec cet aspect qu'on ouvre les différentes parties de Nocterra, grâce à des flash-backs qui nous ramènent à l'âge d'avant, de la vie en famille, aux premiers temps de la grande catastrophe. Ce qui fait que même si ce nouvel univers propose d'emblée tout un ensemble de règles du jeu propre à donner la migraine, on est cependant assez vite en terrain balisé, aptes à profiter du spectacle qui commence. 



Le récit s'emballe vraiment quand Val reçoit une mission différente par rapport à d'habitude : un vieil homme nommé August s'approche d'elle et affirme qu'il connaît l'emplacement d'une "oasis" sûre, une véritable ville fortifiée, très différente des rassemblements éphémères de cabanes et de lampes dans lequel les rescapés vivent maintenant ; un endroit qui, vraisemblablement, accepterait d'accueillir Val et Emory à bras ouverts... pour peu que la jeune routière décide de l'escorter, lui et sa nièce Baley, jusqu'aux portes de la citadelle. Acte de foi, il faut donc se contenter de vagues promesses, et espérer que tout ceci ne se termine pas par une mauvaise surprise, d'autant plus que la requête semble provenir de celui qui est aussi le responsable de la fin du monde tel qu'on l'a connu!  Bon, il faut être honnête, cette série ne brille pas par sa manière révolutionnaire de reformuler les codes du genre, mais au fond, est-ce bien un problème? Nocterra est à consommer pour ce qu'il est, à savoir un bon gros blockbuster d'action post apocalyptique (d'ailleurs en passe d'être adapté par Netflix) qui présente une héroïne badass incarnant à elle seule les fantasmes des années 90 et le coté moderne et assuré des héroïnes du XXI° siècle. La série utilise bien entendu une des peurs fondamentales du genre humain, celui d'être à jamais condamné à errer dans les ténèbres, et y mêle toute une série de concepts, de transformations monstrueuses, de cliffhangers convenus mais efficaces, qui font qu'on est happé par l'histoire assez rapidement, qui devrait dès lors ressembler aussi à un road-trip divisé entre plusieurs escales, une course en avant vers la lumière, ou le peu qu'il en reste, avec son lot d'embûches et de cruelles contre-vérités. Tony Daniel est bien entendu un petit plaisir visuel à lui seul, avec des planches truffées de détails, dynamiques, qui savent provoquer le frisson au bon moment, et parfois avec une économie de moyen encore plus éloquente (le vilain de cette histoire, tout en noirceur absolue, et simplement génial). L'aide bienvenue de Tomeu Morey à la couleur permet de combler habilement toutes les vignettes ne présentant pas de décor abouti (et dans le noir, cela peut se comprendre), mais plutôt un jeu d'ombres et de faisceaux, qui instaure un climat blafard et inquiétant à souhait. Sans la prétention de laisser une empreinte indélébile dans la légende des comics américains, Nocterra assume son statut, celui de divertissement bien calibré, bien troussé, qui donne indubitablement envie d'en savoir encore plus. 



CAMPUS : FRATERNITÉ INFERNALE CHEZ LES HUMANOS


L'amitié, quand on est jeune, c'est une bien belle chose, un sentiment puissant, parfois naïf. Jake et Wyatt sont ainsi les meilleurs amis du monde, même si au premier coup d'œil beaucoup de choses les séparent. Malheureusement le premier nommé
 déménage, laissant le second dans un état de tristesse totale, en partie atténué par la possibilité de retrouver son pote grâce aux jeux en réseau, dans la soirée. Les deux gamins grandissent jusqu'à ce qu'arrive l'âge d'entrer à l'université. S'il a perdu sa mère dans un accident et qu'il est beaucoup plus réservé, emprunté, Wyatt est une sorte de geek; Jake lui un blondinet sportif et extraverti, qui entend bien s'amuser et profiter de sa nouvelle existence estudiantine. C'est la raison pour laquelle il décide d'intégrer Omega Zeta Nu, qui est une sorte de fraternité dans laquelle les jeunes peuvent exprimer leurs sentiments les plus grégaires et agrégants. Il tente de convaincre son ami de l'accompagner mais sans grand succès. Quelque chose cloche d'ailleurs... Wyatt a eu la désagréable surprise de voir à travers la fenêtre de la chambre qu'il occupe en cohabitation avec son ami une étrange figure humaine, à tête de lapin, en train de dévorer une grenouille. Était-ce une apparition ou un mauvais présage, toujours est-il que la fraternité cache de lourds secrets. Dès son entrée Jack est initié à un rituel qui repose sur la magie noire; les nouveaux adaptes sont rebaptisés du nom d'une entité satanique, et ils doivent se plier à des règles strictes. Conséquence néfaste pour avoir versé un peu de son propre sang, et avoir accepté de participer à ce délire mystique, le blondinet commence à entendre des voix dans sa tête, des phrases qui le guident puis lui intiment de faire des choses, bouleversant son quotidien, au point de le faire douter de tout ce qui l'entoure, y compris de ses poches. Clairement, l'histoire bascule dans l'ésotérisme le plus inquiétant, au fur et à mesure que l'emprise de la fraternité sur Jake se concrétise... 



Jon Ellis aborde donc le thème de l'amitié, de l'entrée dans la vie adulte, de sa nécessaire prise de (nouveaux) repères. C'est l'âge où même les relations les plus étroites sont mises à rude épreuve, car tout le monde change, évolue, trouve de nouveaux horizons, se forge une vie, une destinée. Le changement de Jake n'est pas que naturel, il se caractérise par l'emprise de puissances occultes, facilités par une jolie rousse aux formes abondantes, qui le séduit d'emblée et sera le catalyseur de sa descente aux enfers. Le récit évite de tomber dans l'outrance, et de mettre en scène les conséquences désastreuses de l'arrivée de déités sataniques sur notre plan d'existence. Nous sommes bien plus préoccupés par le microcosme de la faculté, et les conséquences directes de tout ceci sur un groupe restreint de personnes, avec le binôme Wyatt/Jack et leurs amies respectives. Hugo Petrus (souvent aperçu chez DC Comics ces dernières années) est le dessinateur efficace qui prend en main l'ensemble pour le rendre si attrayant. Il possède un trait d'une pureté et d'une précision remarquables. Chaque page est parfaitement lisible, truffée de petits détails, les visages et les expressions faciales sont clairement réussis et ajoutent de l'émotion à cet album dont la couverture élégante et épurée (cette étudiante à tête de lapin...) est aussi mystérieuse que fonctionnelle. Une jolie petite réussite disponible chez les Humanos, le genre de parution qui se dévore d'une traite, sans la moindre pause, artistiquement aboutie. Vous pouvez y aller, promis.  


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DC INFINITE FRONTIER : LE FUTUR C'EST MAINTENANT !


 Les grands récits de super-héros -et c'est d'autant plus vrai dans le cas de DC Comics- sont aussi des histoires de transmission, de générations. Et c'est la véritable raison de leur permanence dans notre culture commune. Quelle que soit l'époque, les héros sont à nos côtés. Immuables mais différents. Identiques, mais déclinés sous formes d'avatars. Chaque révolution s'accompagne de sa "crise", et pour les éditeurs, c'est l'occasion de mettre en scène un récit ambitieux, qui apporte son lot de retouches, de réinitialisations des mythes, de subtiles réécritures. D'autant plus qu'il existe dans les comicbooks une infinité de mondes parallèles, où dans le même temps coexistent autant d'incarnations du même personnage que d'univers disponibles. L'heure est venue de s'atteler au futur, chez la Distinguée Concurrence. De donner un coup d'œil dans le rétroviseur, pour ensuite embrasser l'horizon, la ligne de fuite. Infinite Frontier s'ouvre avec un numéro oversized qui est un catalogue de promesses, d'avant premières, de présages. On y retrouve Yara Flor, la nouvelle et jeune amazone, un Jonathan Kent qui est devenu Superman, mais qui pourrait être une menace à la hauteur de l'espoir qu'il représente. Mais aussi les nouvelles ombres (la peur) qui menacent de couvrir Gotham, la libération de la parole pour Alan Scott qui accepte enfin sa vraie personnalité. Tout ceci constitue les prémices à l'avenir, à ce que sera l'univers narratif de Superman et consorts. Les Terres parallèles sont à nouveau au cœur du processus, et la Justice Incarnée, cet aréopage de héros qui est censé veiller sur toute la tapisserie dimensionnelle, va avoir fort à faire. Pour se familiariser avec celles et ceux qui vont être placés en tête de gondole, nous avons alors six récits extraits de Infinite Frontier Secret Files. Là, c'est avec des héros comme Obsidian et Jade (les jumeaux, enfants d'Alan Scott), avec le machiavélique Bones, avec un Roy Harper revenu des morts sans qu'il sache trop bien comment, que le lecteur va partir à l'aventure. Au centre de tout ceci, le multivers donc, sans oublier sa contrepartie négative dont nous avons récemment fait la connaissance, et le sentiment que le pire ne vient pas de se produire, mais est encore à venir, même si tout le monde semble être "revenu" après la crise récente. Ce qui est clair, c'est que ça ne va pas durer ainsi. 


Pour recontextualiser précisément Infinite Frontier, disons qu'il s'agit des conséquences directes de la défaite du Batman qui rit, et par ricochet du fait que l'humanité toute entière est désormais au courant pour le Multivers. Entre déni et sidération, chacun essaie de s'adapter ou de ne pas y penser, de protester ou d'accepter. Ce qui n'a rien de surprenant à une ère moderne où tout est remis en question, tout est questionné, et où le complot se love dans chaque événement. Darkseid est le grand méchant qui trame dans l'ombre, comme c'est souvent le cas, depuis Terre Oméga, qui s'avère ne pas être tout à fait ce qu'on pourrait imaginer. Face à la lui, la Justice Incarnée, des héros piochés dans plusieurs Terres parallèles, avec des calibres comme le Président Superman Calvin Ellis, ou des personnages mineurs et baroques comme Captain Carrot. Joshua Williamson ouvre son récit par l'arrivée inopinée du Batman Flashpoint (le père de Bruce Wayne) sur la Terre de Calvin Ellis, à bord d'une fusée semblable à celle qui amena un Clark Kent encore bambin sur la nôtre. Nous suivons aussi un Barry Allen, manipulé par le Psycho Pirate, et les aventures d'Alan Scott et Obsidian, qui partent à la recherche de Jade, tandis que Roy Harper ne comprend pas ce qu'il fait en vie, et encore moins pourquoi il porte un anneau au doigt, qui fait de lui une sorte de zombie / Black Lantern dès qu'il puise dans ses pouvoirs. Le but semble être de consolider le nouveau statuquo et de préparer le terrain pour tous les bouleversements à venir. Si ça marche assez bien, c'est parce que les personnages y apparaissent tous attachants, chacun ayant sa ou ses scènes de bravoure, où il peut s'exprimer. Par exemple le Président Superman n'a jamais été aussi intéressant et central dans la grande tapisserie des choses, et on a vraiment envie d'en lire plus à son sujet, à l'avenir. Le dessin est solide, soigné, dans la grande tradition des comics super héroïques, signé Xermanico. Il est épaulé pour certaines scènes par toute une série d'artistes, et pas des moindres, comme Jesus Merino, Paul Pelletier, ou encore Norm Rapmund, l'encreur bon pour toutes les saisons. Non, Infinite Frontier n'est pas une de ces "Crises" qui laissent des cicatrices à jamais dans l'univers Dc, c'est plutôt l'occasion de développer un mystère, de bâtir un avenir, fait de lignes narratrices à exploiter prochainement. Le futur commence donc maintenant, dans ce gros album de début d'année. 




PEACEMAKER TRIES HARD : BOUFFONNERIE, SATIRE ET SOLITUDE

Le super-héros ringard et super violent Christopher Smith (alias Peacemaker) sauve un chien errant après avoir neutralisé un groupe de terro...