Au début des années 90, Todd McFarlane est une star des comics. Son style qui mêle allègrement grotesque et spectaculaire a déjà permis de relancer plusieurs séries chez Marvel, et tout particulièrement Hulk (dans sa version grise) et Spiderman. Avec le tisseur, l’artiste va encore plus loin : il crée de toutes pièces un nouveau titre déconnecté de la continuity dont il se charge d’écrire aussi le scénario. Les ventes explosent, bien que les thématiques abordées soient tout sauf révolutionnaires. Todd mise beaucoup sur les monstres, l’exagération anatomique et des planches riches en détails baroques, sombres et ultra dynamiques. Une propension à faire primer l’aspect visuel au détriment de l’histoire, que nous allons retrouver lorsque plusieurs grands noms de l’époque décident de fonder une nouvelle maison d’édition, où les personnages appartiendraient à leurs créateurs ; c’est le phénomène Image comics. MacFarlane en est, bien entendu, et il emporte avec lui une créature sortie tout droit des enfers, mais qui œuvre pourtant pour le bien : voici venir Spawn (le rejeton) alias Al Simmons, ancien marine chargé des opérations spéciales, une existence passée avec du sang sur les mains, jusqu’à ce qu’un sursaut de moralité entraîne son assassinat et une trahison au plus haut niveau de l’Etat. Al est si amoureux de Wanda, sa femme, qu’il pactise avec celui qu’il pense être le Diable en personne, pour retourner sur Terre, et la revoir. Mais comme tout le monde le sait, il ne faut jamais se fier au Démon, et de fait, il revient cinq ans plus tard sous les traits d’une créature putride recouverte d’un étrange costume vivant (Todd nous ressert le symbiote de Spiderman, Venom, à une autre sauce) et doté de pouvoirs extraordinaires, qui toutefois le consument à chaque fois qu’il y a recours. Quand à sa femme, elle s’est remariée entre temps, avec l’ancien meilleur ami de son premier mari, et elle a désormais une charmante petite fille, alors que Simmons était convaincue qu’elle était stérile ! Bref, dans le genre retour raté, il n’y a guère mieux. Spawn trouve refuge et réconfort auprès des clochards du quartier, qu’il défend contre une série de créatures absurdes et nauséabondes, la première d’entre elles étant le Violator, un autre monstre des enfers qui semble avoir un rôle à jouer dans la formation de rejeton infernal de Simmons. Notre nouveau héros doit aussi arrêter un violeur et tueur d’enfants, Billy Kincaid, et un cyborg loué par la mafia du nom d’Overt-Kill. De l’action en barres à chaque épisode, du sang qui gicle un peu partout, des tonalités obscures comme la nuit, voilà pour la recette de base du nouveau carton de l’année, chez Image.
Delcourt nous propose, à travers un cycle d’intégrales (splendides albums au demeurant) de revivre les premiers pas et l’évolution du personnage. Il ne faut pas être trop regardant pour apprécier pleinement Spawn, n’allez pas chercher une profondeur quelconque au scénario, ni une ambiance urbaine réaliste à la Miller. Il s’agit là d’une série qui mise avant tout sur l’efficacité, avec un discours déjà entendu mille fois auparavant, sur le grand combat entre les Enfers et le Paradis, sur l’Armaggedon céleste qui guette, et le rôle que les créatures recrutées par l’un et l’autre camp auront à jouer sur le champ d’honneur. Le monde de MacFarlane n’est pas joli joli : les êtres sont souvent exagérément gras, petits, maigres, à la limite de la caricature sur pieds. Son Spawn concède beaucoup à l’esthétique gothique, chaînes et tenue sombre de rigueur, il est d’emblée une créature romantique, otage d’un enjeu qui le dépasse, dupé par des forces supérieures qui en ont fait un simple jouet. Mais les quelques moments d’introspection sont surtout l’occasion de pleurer ou de nourrir le désir de se venger, Spawn n’approfondit guère son nouveau statut en dehors des perspectives qu’il lui ouvre pour assouvir son ressentiment. Dire que tout cela a assez mal vieilli n’est pas faux : nous nagions alors en pleine période «Image» où chaque détail anatomique, chaque case se devait d’être passée à la gonflette. Après les sixties/seventies et leur usage intempestifs de psychotropes (couleurs criardes et dessins aux Lsd) les nineties s’ouvrent sur un surprenant traitement aux hormones et aux anabolisants. On en met plein les yeux pour combler ce qui ne parvient pas forcément jusqu’au cerveau. C’est aussi l’époque où surgissent des personnages féminins particulièrement dévêtus et attirants (Witchblade) ou de jeunes donzelles influencées par les mangas qui transpirent l’érotisme (Gen 13) : Image n’a pas fait que du bien aux comics, et confirmé l’adage que dessinateur et scénariste sont deux rôles bien distincts que tout le monde ne peut franchir avec la même aisance. Paradoxalement, ce n’est qu’avec le temps, et le défilé des épisodes, que j’ai apprécié un peu plus la créature de McFarlane. J’ai eu du mal avec sa genèse, gore à souhait, truculente et sanguinolente, mais qui perd en crédibilité et en substance à chaque lecture. Inutile de préciser que Spawn a eu assez rapidement droit à son film (un four, au point que la suite annoncée a été remisé au rang de chimère) et à sa ligne d’action figure, qui sont elles plutôt réussies : d’ailleurs Todd a rénové les standards du genre avec une finition de toute beauté, qui lui a valu moult récompenses et gros billets verts. Spawn, ça déchire, ça hurle, ça montre les muscles, mais si vous y allez y voir de très près, vous verrez, c'est plus inoffensif que ça en a l'air. Une série à tester et aimer, comme alternative au grand barnum Marvel/Dc qui se partage l'essentiel du gâteau mainstream.
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