V POUR VENDETTA : L'ANGLETERRE TOTALITAIRE SELON ALAN MOORE ET DAVID LLOYD

En Angleterre les années 80 ont été marquées par la droite conservatrice au pouvoir, avec la célèbre Margaret Thatcher comme figure de proue, ou pour être plus exact comme Dame de fer. Dans l'univers dépeint par Alan Moore, pour l'excellent V for Vendetta, c'est la gauche (parti travailliste) qui a pris le pouvoir durant ces mêmes années, mais elle a fini par s'embourber dans un conflit interminable et meurtrier (une sorte de troisième guerre mondiale) après s'être affranchie des missiles américains et avoir connu les assauts de la Pologne et de la Russie. Londres n'a certes pas été bombardée mais en revanche une grande partie du monde a sombré dans la destruction et dans l'oubli. Le feu nucléaire a fini par changer le climat et a rendu une bonne partie des terres peu amicale. Une nouvelle situation géopolitique catastrophique a amené au pouvoir la droite dure, pour être exact un parti fasciste sans pitié, qui a repris la situation en main à coups de matraque, déportant les étrangers, les homosexuels, tous ceux qu'il estimait être différent et parasite pour son modèle de société. C'est de cette Angleterre là qu'il s'agit à la fin des années 90 dans l'oeuvre d'Alan Moore. Plus personne ne semble en mesure de se rebeller dans cet univers carcéral, jusqu'au jour où une jeune fille sur le point de se faire violer dans une ruelle est secourue  par un étrange bienfaiteur portant un masque blanc, arborant un sourire sardonique. Cet étrange individu sait se battre, tout en déclamant de la poésie et en manifestant un fort penchant pour le théâtre et la littérature. Surgi de nulle part, juste affublé d'un patronyme qui se résume en une seule lettre (V), son apparition n'est pas totalement le fruit du hasard. Après des années passées dans l'ombre, l'heure est venue pour ce mystérieux justicier de faire payer ceux qui l'ont torturé et ont transformé l'Angleterre en une parodie d'état policier. Un plan machiavélique et dingue, qui prévoit coups d'éclats, assassinats, du panache, et une philosophie pro-active aux conséquences parfois de mauvais goût. La révolution est en marche. 


Peu importe d'ailleurs qui se cache derrière le masque rieur de "V" (inspiré clairement de Guy Fawkes, un aspirant régicide anglais qui en 1605 avait élaboré la Conspiration des poudres pour tenter d'éliminer le roi Jacques Premier). Il s'agit d'une idée, d'un symbole; ce dont ont besoin les peuples trop longtemps captifs, et qui s'y accrochent pour recouvrer l'orgueil de lutter pour exister, pour se réveiller d'un long engourdissement. Dans une société marquée par la déshumanisation, la surveillance constante et omniprésente, la privation des droits les plus élémentaires, confisqués par une élite corrompue, le justicier aspire à de nobles idéaux, mais avec des méthodes violentes, radicales, qui le définissent plus comme un terroriste que comme un libérateur. On peut en effet être admiratif, à certains moments, devant ce stratége cultivé et fascinant. On peut parfois le détester, voir en lui des idéaux tout autant pervertis que ceux de ses ennemis, quand par exemple il décide de rallier une fois pour toutes à sa cause la pauvre Evey (qu'il a sauvé auparavant) en lui faisant subir une épreuve cruelle et insensée. V est un adepte de l'anarchie, qu'il envisage comme un mouvement en deux temps. Qui nait et prospère grâce à la destruction, la mise à mort de l'ancien régime, mais ensuite se charge de reconstruire, sur de nouvelles bases plus sereines. Alan Moore maitrise totalement la narration et le rythme de son récit, qui avance inexorablement vers un but attendu et libérateur, mais en prenant des chemins jonchés d'épines, de chardons, qui ne laissent personne indemne. C'est David Lloyd qui assure la partie graphique, et fait aussi office de co-scénariste tant il a participé à sa manière à l'élaboration de ce projet. Un trait sombre, subtil, utilisant à merveille les ombres et des cadrages riches et variés, qui servent parfaitement le discours de Moore. V pour Vendetta reste malheureusement plus d'actualité que jamais. Tous les travers de notre décadence occidentale sont présentes, à différents degrés. Ce futur qui est pour nous aujourd'hui le passé (l'action se déroule en 1998), n'est pas qu'une oeuvre de science-fiction politique, mais ressemble aussi à quelques unes des pires pages de notre histoire (les camps de la mort de la seconde guerre mondiale) ou a ce que pourrait devenir une grande nation aux mains d'un fou aveugle, manipulant des masses imbéciles et sevrées de toute culture. Demain, peut-être près de chez vous. Glaçant, mais indispensable, un ouvrage à lire et relire, disponible dans une édition de grand luxe chez Urban Comics. 




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2 commentaires:

  1. C'est un chef d'oeuvre et Alan Moore un génie. C'est bien simple, depuis Swamp Thing je suis devenu un inconditionnel de l'auteur. J'ai toujours été fasciné et impressionné par sa manière de raconter une Histoire. Une narration sophistiquée et complexe mais toujours très fluide. Souvent avec des mises en abymes pertinentes, on frôle la grande littérature classique. Quand on ajoute à cela les messages qu'il veut transmettre (comme ici la dénonciation d'un régime totalitaire) tout est dit... On a beau le détester (Il fait tout pour) il est bel et bien un des tout meilleur scénariste de bande dessinée.

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  2. Tout à fait exact mon cher Surfer, et Alan Moore est un grand avec un G majuscule.

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