JUPITER's LEGACY SUR NETFLIX : NOTRE AVIS SUR LA SERIE



 Les générations se parlent, se toisent, mais ne se comprennent pas toujours. Une évidence qui se vérifie dans de nombreuses familles somme toutes banales, et qui trouve un écho particulièrement pertinent dans celle qui est au centre du récit de Jupiter's Legacy, première des nombreuses séries issues du "MillarWorld" à être adaptées par Netflix, pour le petit écran. Mark Millar est souvent accusé d'écrire directement en pensant au format cinéma ou télévisé, mais jusque là, l'attente n'avait pas été concrétisée, si ce n'est les plutôt drôles et réussis longs métrages centrés sur le petit monde de Kick-Ass. Ici, les superhéros sont avant tout un prétexte pour une réflexion sur le temps qui passe, la manière dont une société et le noyau familial peuvent évoluer, les limites morales, éthiques, qu'impliquent la possession de grands pouvoirs. Il faut dire que le patriarche de la famille au centre de notre attention, un certain Utopian est du genre psycho-rigide. Pour lui les limites sont claires, et les surhommes sont là pour inspirer la population (américaine, bien entendu, toute la série est autocentrée sur le mythe américain), certainement pas pour imposer un point de vue économique ou politique, encore moins pour s'ériger en tant que juge et bourreau, et tuer. Le meurtre, tabou ultime, même en cas d'urgence absolue. Son frère, doté de pouvoirs psychiques extraordinaires, aurait tendance à penser différemment, et à vouloir reprendre les rênes d'une société en plein délitement, pour ne pas parler du fiston, Brandon, qui se sent perpétuellement mis sur la sellette, considéré comme un individu immature et incapable de prétendre à l'héritage familial, malgré ses propres dons hors du commun. Chloe, la sœur, présente un cadre pathologique encore plus préoccupant, avec une vie dissolue et irresponsable, noyée dans les vapeurs de l'alcool, elle aussi traumatisée par l'absence d'un père castrateur, incapable de confiance et d'amour véritable envers sa progéniture. Ou tout du moins de l'exprimer correctement, en temps et en heure. Tout l'équilibre du super héroïsme made in Jupiter's Legacy repose donc sur un code, une loi claire et jamais remise en cause, dont l'Utopian est le dépositaire absolu. Le monde a bien changé, la menace des criminels a franchi un cap (des cambriolages d'autrefois aux grandes corporations d'aujourd'hui) mais rien ne parait devoir entamer cette conviction granitique, ce crédo issu d'une ère révolue, celle de la fin des années 20 et de la grande dépression économique. Le présent et le présent sont par ailleurs associés à travers de nombreuses scènes de flash-back, qui ont l'intérêt de lever le voile sur l'obtention des pouvoirs de tous les personnages de la série, mais aussi d'expliciter l'inflexible code moral déjà évoqué, qui trouve ses racines dans une affaire familiale qui a mal tournée, où là encore les secrets et un manque de déontologie ont amené la catastrophe. 




Toute la difficulté est d'éviter de flirter avec les extrêmes. Que ce soit celui du mal qui se complait dans la destruction (une scène particulièrement longue et sanglante permet de lancer véritablement la série et d'exposer plus clairement ses enjeux) ou du bien qui se vautre dans ses propres oripeaux plutôt que d'affronter la réalité et ses nuances de gris. Les personnages de Jupiter's Legacy n'ont d'autre choix, s'ils veulent aller de l'avant, que d'embrasser et appréhender la complexité d'un monde, qui a clairement acté le changement générationnel. Du coup on se demande si le choix d'un va-et-vient permanent entre deux Amériques, deux époques aussi différentes, est si pertinent que cela. Tout d'abord car cette technique vient trop souvent rompre avec la tension et le rythme de l'histoire (qui par ailleurs est loin d'être spasmodique, on est parfois à un poil de la contemplation stérile, il s'en faut de peu), ensuite car l'obtention des pouvoirs est en réalité assez anecdotique, par rapport à ce que Mark Millar énonce dans son œuvre en bande-dessinée. Ici le showrunner Steven S. DeKnight se doit d'étaler la sauce et d'épicer le plat, pour combler les huit épisodes commandés, mais si cette dilution fonctionne sur le plan technique (oui, le travail d'adaptation est réussi et le cahier des charges coche toutes les cases) elle peine à convaincre sur celui de l'émotion, de la jouissance pure et simple d'un récit autrement plus concis, passionnant, explosif, au format comics. Autre handicap de poids, la tentation de présenter ce produit comme une sorte de Watchmen, ou pire encore, de The Boys (je parle bien sûr des avatars télévisuels). Jupiter's Legacy n'a pas du tout la patine décapante et furieusement foutraque du second cité, ni l'intelligence et la profondeur du premier. Et dulcis in fondo, ne peut pas non plus miser sur des effets spéciaux bluffants et le spectaculaire de scènes homériques pour rafler la mise, car c'est surtout l'aspect un peu trop cheap qui prédomine, avec des décollages/atterrissages qu'on a déjà rencontré plus crédibles sur Playstation, et des chorégraphies dans le pugilat qui se contentent du minimum, sans y croire. Dit comme cela, on pourrait presque croire au naufrage, et pourtant Jupiter's Legacy garde suffisamment de bagout pour nous convaincre d'aller au terme de cette première saison, mais sans coup de génie, sans ces petites bulles effervescentes qui pétillent longtemps sous la langue. On a le sentiment d'avoir moins soif, ça fait son office, mais l'étiquette grand cru serait assurément un mensonge grossier. Bref, Jupiter's Legacy? Pourquoi pas... 

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