JUDGE DREDD PAR AL EWING : SOURIEZ C'EST LA LOI (CHEZ DELIRIUM)


 La loi, c'est lui. Il en est l'incarnation. Certes, elle peut parfois être dure, rigide, intransigeante, mais c'est la loi. Et Dredd n'est pas là pour vous raconter ses atermoiements, pour faire dans la sensibilité et les circonstances atténuantes. Un personnage en fait bien plus complexe qu'il ne semblerait de prime abord, de retour chez Delirium avec un volume écrit par Al Ewing en personne. Rien que cette amorce devrait vous faire bondir sur votre siège et vous convaincre qu'il y a moyen de lire de bien jolies choses dans les prochains jours. Mais pour commencer, parlons un peu d'Al Ewing, avant Al Ewing. Je veux dire par là, avant la consécration chez Marvel, avant Immortal Hulk, Venom... Comme beaucoup d'autres artistes britanniques, c'est sur la revue 2000.AD qu'il a eu l'occasion de vraiment prendre son envol, avec Future Shocks et surtout des épisodes de Judge Dredd, ici compilés par Delirium dans un splendide album grand format et en couleurs. Le Dredd signé Al Ewing, c'est de l'humour décapant, et des clins d’œil très réussis aux comics populaires, dès les premières pages. Il est question de mutants, tout d'abord sous la forme d'un groupuscule qui souhaiterait que ces derniers soient les maîtres de la société, tout en ne faisant pourtant pas partie de cette catégorie génétique. Derrière le Professeur Clavier, c'est un certain Charles Xavier qui se cache, tout comme le lecteur amusé retrouvera des copies carbone hilarantes de Scott Summers et Jean Grey. Un autre mutant est ensuite la star d'une épreuve sportive d'un genre inédit, le Championnat du Monde du sexe. Le favori de ces épreuves insolites est frappé d'impuissance et il doit trouver un successeur en mesure de faire triompher son écurie. Ce sera un mutant dont le jumeau n'est autre que son propre sexe, et dont les performances sont assez éblouissantes. Dredd, de son côté, fait régner l'ordre et le fair-play, en évitant que le nouveau concurrent ultra doté ne se prenne une balle bien (ou mal) placée. Exprimé de cette manière, le concept peut sembler plus grivois que nécessaire, mais filtré à travers l'univers sérieux du Juge Dredd, ça crée un contraste très efficace, qui permet de démontrer, une fois encore, à quel point l'humour et le discours social sont des composantes essentielles d'une bande dessinée très souvent réduite à une apparence austère et fascisante.  



La religion est aussi tournée en dérision, avec un culte sectaire voué à la paresse et l'oisiveté la plus totale, qui s'avère être en fait un moyen détourné pour le terrible Démotivateur de mettre Mega-City One à sa botte. Quand l'inaction confine au nihilisme. Le pastiche est un genre qui réussit particulièrement bien à Al Ewing, comme lorsqu'il met en scène tous les acteurs ayant déjà interprété le rôle de James Bond, pour un hommage hilarant qui tourne au jeu de massacre, ou lorsqu'un fonctionnaire trop zélé tente de faire disparaître la tradition du Père Noël, au profit (économique et social) des Juges et de leur conception rigide de la Loi. Dans le premier cas, les personnalités et les tics de jeu des acteurs sont parfaitement illustrés, dans l'autre le discours est plus pertinent que jamais, dans une société où tout peut devenir arme de consommation massive. Le rire devient émotion avec « Une maison pour Aldous Mayous », où les drames du passé hantent toujours, bien des années plus tard, ceux qui tentent d'œuvrer pour la science et donc de réparer ce qui ne peut plus l'être. Le savoir ne peut s'opposer à l'inévitable, constat d'une tristesse poignante « Ce que le Hitler a vu » part sur des bases très alléchantes. Nous découvrons un musée où les plus grands noms de l'histoire (aussi bons, héroïques ou maléfiques soient-ils) sont interprétés par des acteurs immobiles, qui coûtent bien moins cher que des robots sophistiqués. L'habit fait-il le moine, ou pour être plus clair, celui qui doit revêtir chaque jour le costume et l'apparence d'Adolph Hitler, est-il condamné à la souffrance, la sienne, et celles des autres, qu'il entraîne dans son malheur, juste parce qu'il arbore la sinistre petite moustache, la mèche et l'uniforme ? Toutes ces histoires inédites nous montrent à quel point l'humour britannique est d'une puissance redoutable quand il s'agit de commenter ce que nous sommes devenus, comment nous organisons nos sociétés ubuesques et corrompues, à travers une science-fiction décapante et hautement intelligente. D'ailleurs la politique dans son plus simple appareil (sans jeu de mots) est au menu, avec un épisode intitulé « Gibier de potence » où il est question d'un ambassadeur qui pense être protégé de ses agissements immoraux par son immunité. Face au Juge Dredd et le caractère inflexible qu'il applique à toutes ses décisions, la corruption ne peut pas grand chose, et les meurtres et délits commis sont tous destinés à une juste punition, quel qu'en soit l'auteur. En bonus, un aréopage de dessinateurs, de styles, au service d'une des sorties indispensables de ce mois de mars. John Higgins, Simon Frazer, Paul Marshall ou encore Liam Sharp, pour les plus connus, devraient réjouir vos mirettes ébahies. Une parution parfaite pour une première sortie dans le monde de Dredd, ou pour prolonger le plaisir de ceux qui sont déjà conquis depuis longtemps. Chez Delirium, ça va sans dire. 




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