JURASSIC LEAGUE : LA JUSTICE LEAGUE DES DINOSAURES


 Avec Jurassic League, nous rencontrons une forme d'honnêteté et d'immédiateté absolue; c'est-à-dire que dès le titre, le lecteur sait à quoi il a affaire véritablement. Le problème serait de demander à cette bande dessinée d'être quelque chose qu'elle ne sera jamais. Il s'agit d'une mini série en six parties, écrite par un des phénomènes du moment, Daniel Warren Johnson et Juan Gedeon. L'objectif est de proposer un récit où tous les personnages de la Justice League que nous connaissons, ainsi que certains des ennemis emblématiques qu'ils affrontent au quotidien, sont présentés sous la forme d'animaux préhistoriques; autrement dit un ptérodactyle, un dinosaure et ainsi de suite. Je viens de résumer l'intégralité du scénario ou presque, en quelques mots. Il n'y a pas grand-chose, ça tient sur un timbre-poste et ce n'est pas là l'intérêt principal de cet album. Juan Gedeon au dessin laisse exploser sa créativité et sa folie, les planches regorgent d'action, parfois même à la limite de l'illisible, on sent une énergie folle, une débauche de chaos et de couleurs pour cette litanie d'affrontements singuliers, comme une mise en scène à vaste échelle d'un combat de catch primaire. Évidemment, on pourra s'amuser à voir la manière dont les différents animaux plus ou moins anthropomorphes sont amenés dans le récit. Il existe une sorte de fil rouge qui respecte plus ou moins la tradition comme par exemple un superman qui vient d'une autre planète mourante et qui a été élevé par une famille (ici, même carrément une espèce différente de la sienne) ou bien le pendant de Batman qui vit un drame familial et se lance dans une quête de vengeance... ou encore une Wonder Woman préhistorique qui professe la paix et l'harmonie, mais qui, c'est un petit détail intéressant, présente un corps trapu et massif qui est loin de faire écho à la grâce et la beauté naturelle d'une princesse amazone souvent hyper sexualisée. On y trouve aussi une version "Jurassic" d'Aquaman, de Flash ou encore de Green Lantern, mais ils se contentent d'apparaître sans avoir de véritable impact sur le prolongement de cette histoire. Ce qui a été dit pour les bons l'est aussi pour les méchants, à commencer par exemple par une version dingue et violente du Joker (Jokerzard) ou d'Atrocitus (qui devient Atrocitaurus). 


Il faut tout de même l'admettre, cette critique ne pourra pas être très longue, à moins de se mettre à inventer des choses qui n'existent pas ou à vouloir faire celui qui pinaille sur des concepts ou des idées qu'il a probablement rêvé. Je vous le répète, ne cherchez pas une véritable histoire, ne cherchez pas de rebondissements, attendez-vous bien entendu à ce que le grand méchant (outre la version "Jurassic" du Joker) soit un équivalent au grand Darkseid (Darkyloseid). Les personnages n'ont pas d'approfondissement psychologique particulier, Jurassic League est juste un jeu de piste qui permet au lecteur de recouper ce qu'il sait déjà, confronté à ce que propose les deux auteurs Warren Johson et Gedeon.  Le dessin ultra dynamique de ce dernier est également complété par Rafa Garres et Jon Mikel, qui proposent des planches encore plus fouillées, grotesques, qui se rapprochent du travail d'un Geof Darrows, d'une certaine façon. Supersaure, Wonderdon ou encore Batsaure, c'est au final un énorme délire, une claque visuelle, une récréation pour grands enfants, mais aussi une lecture rapide et assez pauvre, pour ce qui est du contenu et de la narration.


 Sortie cette semaine, le vendredi 5 mai



LE MYTHE DE L'OSSUAIRE DE LEMIRE ET SORRENTINO : DES MILLIERS DE PLUMES NOIRES


 Au départ, c'est l'histoire d'une rencontre. Deux jeunes filles fort différentes mais qui vont devenir les meilleurs amies du monde : Trish est orpheline et elle est passionnée de littérature fantastique et fantasy, Jackie (Jacqueline) de son côté vit avec une mère célibataire qui court les hommes pour exister, et possède plus ou moins les mêmes penchants littéraires. Si la première cité arbore un look bien sage, la seconde a les cheveux courts, un piercing dans le nez et des airs de garçon manqué. En tous les cas, l'entente va être rapidement à la limite du fusionnel. Pas seulement parce qu'elles sont capables ensemble d'écrire et d'inventer des récits et des jeux de rôle qui mettent en scène leurs obsessions artistiques, mais tout simplement parce qu'elles semblent se compléter en terme de caractères. D'ailleurs, à moins d'être complètement naïf, on comprend très vite que derrière cette amitié forte se cache quelque chose d'autre, un sentiment pas forcément partagé mais qui existe, au moins de manière unilatérale. Une relation qui ne pourra jamais être assumée mais qu'il serait stupide de ne pas remarquer. Nous sommes comme toujours avec Jeff Lemire face à l'enfance ou l'adolescence… et forcément le changement. Rien ne peut rester tel quel, l'évolution fait partie de l'ordre naturel de l'existence, surtout quand on est à un âge où fatalement on est destiné à évoluer fortement. Si pendant des années les deux jeunes filles vont écrire, fantasmer, jouer, s'emporter et rêver, l'entrée au lycée sera forcément vécue comme le moment charnière où les certitudes commencent à se désagréger. C'est l'époque des premières fêtes, des garçons qui commencent à vous draguer, des passions qui s'affinent. Trish ne parvient pas à accepter tout cela; pour elle, il était clair que la relation avec son amie était d'ordre exclusive et que rien ne pouvait venir s'interposer entre toutes les deux. Du coup, quand elle la voit en train de répondre aux avances d'un garçon bien plus âgé qu'elle, elle ne peut s'empêcher de blesser Jackie par les mots et de ressentir à nouveau un sentiment d'abandon qui ne la quitte jamais vraiment. Une dispute éclate et plus tard, ce sera même un baiser maladroit, qui ne fera qu'empirer les choses. Et à partir de cet instant, Trish ne reverra plus jamais Jackie. D'ailleurs, personne ne la reverra plus jamais.


Tout cela sent bon le renouveau du filon horrifique dans la bande dessinée américaine, et comme souvent, c'est chez Urban Comics que ça se passe. Après The nice house on the lake, la mythologie que déploient Jeff Lemire et Andrea Sorrentino est vraiment des plus fascinantes. Des milliers de plumes noires s'achève un peu comme le volume sorti le même jour, Le Passage. C'est-à-dire que le lecteur n'aura pas forcément toutes les clés en main, ou pour être plus clair, ne lira pas une solution et une morale définitives, assénées lourdement par un scénariste tout heureux d'avoir atteint la fin de son raisonnement. Ici, il est impossible de déterminer s'il s'agit d'une happy end ou au contraire si c'est le désespoir total qui l'emporte. Disons que les deux derniers épisodes de cette mini série en cinq parties sont différents des autres parce qu'on quitte la route un peu plus balisée du rapport entre les deux amies, l'enquête et le mystère de la disparition de l'une d'entre elles, pour plonger vraiment dans le fantastique, quelque chose qui ressemble beaucoup d'ailleurs à Gideon Falls, une des séries précédentes des deux artistes à l'œuvre aujourd'hui. On découvre comme la création d'un univers parallèle, dont on ne connaît pas très bien les connexions avec le nôtre et dans lequel Trish et Jackie sont appelées (peut-être) à se retrouver. Trish est un personnage qu'on devine tourmentée, fait de subtilité, d'amères défaites, mais animée par la volonté de poursuivre la lutte. Elle est accompagnée par une ombre qui ne la quitte jamais; elle semble entendre des voix; et surtout; que sont vraiment ces plumes de corbeaux qui tombent, non pas dans un silence profond, mais en émettant une sorte de grincement, comme celui de petits os qui entreraient en contact. Des corbeaux qui sont également présents dans Le Passage, tout comme cette vision d'horreur, cette apparition dotée d'un masque qui semble attendre la jeune femme de l'autre côté (de quoi, d'ailleurs ?). Alors oui, la réalité est vraisemblablement qu'il va falloir continuer à lire, c'est-à-dire à dévorer les prochaines propositions de l'auteur canadien pour développer le Mythe de l'ossuaire. Autant dans Le Passage l'unité d'espace et de temps imposait le choix logique d'un roman graphique, à lire tout d'une traite, autant ici le nombre de personnages qui intervient et le changement de situations géographiques rend pertinent la décision d'opter pour une mini série. Et revenir sur l'art de Sorrentino finit par être complètement redondant :tant chacune de ses œuvres montre à quel point il est capable de malaxer, pervertir et transformer le matériau de départ, pour en faire quelque chose qui ne ressemble à rien d'autre si ce n'est sa propre vision de l'art. La sensation est qu'il travaille beaucoup à partir de photos mais qu'il sait littéralement explosé ensuite le réalisme, à travers des visions cauchemardesques, un contraste poussé à son paroxysme et bien sûr le travail sur les couleurs de Dave Stewart, qui ici magnifie la noirceur omniprésente. On soulignera aussi quelques pages qui semblent se répondre, dans leur construction, entre le tout début et la toute fin de l'ouvrage. Comme un parcours, une trajectoire, qui guide le lecteur de la réalité à son négatif. On peut se sentir perdu, mais surtout fasciné. 






LE PODCAST LE BULLEUR PRÉSENTE : NÉES REBELLES (JEUNES FILLES AU POING LEVÉ)


 Dans le 150e épisode de son podcast, Le bulleur vous présente Nées rebelles, album qui s'intéresse à 5 jeunes et fortes personnalités au féminin, album que l'on doit aux éditions Deman. Cette semaine aussi, on revient sur l’actualité de la bande dessinée et des sorties avec :

- La sortie de l'album Les pays d'Amir que l'on doit au scénario de Séverine Vidal, au dessin d'Adrìan Huelva et c'est édité chez Grand angle

- La sortie de l'album Les fusibles que l'on doit au scénario de Joseph Safieddine, au dessin de Cyril Doisneau et c'est édité chez Dupuis

- La sortie de la première partie de Gone with the wind, adaptation du roman de Margaret Mitchell, Autant en emporte le vent, par Pierre Allary et c'est édité chez Rue de Sèvres

- La sortie de l'album Tati et le film sans fin, un titre que l'on doit au scénario d'Arnaud Le Gouëfflec, au dessin d'Olivier Supiot et c'est édité chez Glénat dans la collection 9 1/2

- La sortie de l'album Les sauvages que l'on doit au duo Julien Frey au scénario, Nadar au dessin et c'est édité chez Futuropolis

- La sortie de l'album L'incroyable histoire de la mythologie grecque que l'on doit au scénario de Catherine Mory, au dessin de Philippe Bercovici et c'est édité chez Les arènes BD







MIRACLEMAN OMNIBUS : UN SUPER-HÉROS À DÉCONSTRUIRE


 Pour ce qui est de la vraie genèse de Miracleman, il faut faire un sacré bond en arrière, dans les années 1950. C'était alors la mode des super-héros tout puissants, reporters dans le civil (vous avez dit Superman ?) ou bien capable de se "transformer" suivant un mot magique (Kimota, qui signifie, à l'envers, Atomik. C'est subtil). Après quelques années de bons et loyaux services et une plongée dans l'oubli collectif, Miracleman gagne ses lettres de noblesses lors d'un retour remarqué dans les années 1980, sous la plume inspirée d'Alan Moore (puis Neil Gaiman, quelle chance) et les crayons de Alan Davis, Garry Leach ou Chuck Austen. C'est un tout autre personnage qui nait de l'association de cet aréopage de talents. Michael Moran est un individu torturé, blessé, meurtri. Il n'a plus aucun souvenir de la vie héroïque qu'il menait autrefois, si ce n'est des cauchemars récurrents qui pourraient bien être la clé pour un retour des souvenirs perdus. Et même s'il parvient un beau jour à retrouver le mot magique qui le transcende à nouveau, c'est pour affronter une réalité bien différente. Entre le besoin de se réadapter à cette puissance incroyable, et une opposition inattendue et perverse, les difficultés ne manquent pas. Les bribes qui reviennent peu à peu sont douloureuses, et suintent la mort, avec une bombe mortifère qui parait avoir éliminéer de l'équation les faire-valoir qu'étaient Young Miracleman et Kid Miracleman. Car vous l'aurez compris, la "famille" Miracleman est copiée en tous points sur la "Marvel Family", celle qui comprend notamment Shazam, ou Mary Marvel, et que vous avez peut-être revue ce mois-ci au cinéma. D'un coté nous avons donc un humain, faillible, marié et anonyme, de l'autre une créature qui réalise tous les fantasmes de l'Ubermensch, et dont les dons sont à priori illimités. Les deux ne font qu'un, mais ne sont pas pour autant exactement la copie conforme de l'autre. Ils ont une sorte de conscience commune, mais ce sont deux entités séparées. Et surtout, c'est le secret de la genèse de Miracleman qui va alimenter tous les premiers épisodes de la série. Comment une telle créature a pu voir le jour ? Vient-elle d'une autre planète ? Est-elle artificielle ? La réponse englobe un peu tout cela, et puise ses racines chez l'archi ennemi du héros, un certain Docteur Gargunza. 



Pour Michael Moran, l'accession à ce statut quasi divin n'est pas un cadeau du sort, ou une bénédiction. C'est une profonde mutation qui vient mettre en péril son quotidien de mari et de futur père. Nous sommes bien dans les prémices du travail de déconstruction entrepris par Alan Moore (qui ira jusqu'à se déconstruire lui-même, refusant désormais d'être crédité aux génériques de ses gloires passées), et qui aboutira au chef d'œuvre qu'est Watchmen. Le super-héros n'est pas cet être insouciant qui combat le crime dans un costume aux couleurs criardes et jouit de sa réputation. C'est un être qui ne trouve pas sa place, n'a pas choisi ce qui lui arrive, et subit un sort enviable en théorie, mais qui devient vite un boulet qu'il doit traîner jour après jour, sans pouvoir s'en débarrasser. Emblématique la grossesse de l'épouse de Michael, qui est en fait imputable à Miracleman, alors que le mari semblait incapable d'assurer une progéniture. Le surhomme est tout ce que l'homme n'est pas et ne sera jamais, il est son alter ego idéalisé, inaccessible, et en cela d'avantage non-humain que plus qu'humain.  Puisqu'il est question de Alan Moore, il est inévitable de dresser un parallèle avec Watchmen; dans cette œuvre ultra célèbre, les personnages sont avant tout des pauvres types assez pathétiques ou bien les protagonistes sont contrôlés par leurs pulsions. Ici nous avons affaire à un héros dont l'essence est quasi divine et qui bien entendu peut vite perdre patience, face à une humanité banale qui ne semble pas être capable de se hisser à sa portée. Cela signifie aussi un recours à une violence exagérée, sans se rendre compte véritablement des conséquences. Quand il s'agit de se débarrasser de son ennemi par exemple, pourquoi ne pas le propulser à pleine puissance vers la stratosphère ? Désintégration assurée. Le portrait qui est dressé ici du super-héros et celui d'un individu capable de se laisser aller à une fureur inhumaine et cynique, un être qui n'a pas de limite et que personne n'est en mesure de freiner. Le contraire exact de ce qui se fait aujourd'hui, avec des personnages que nous tendons toujours à idéaliser ou bien à tourner en dérision, histoire de rendre chacune de leurs actions - même les plus graves - une sorte de running gag à répéter au cinéma. Miracleman va bien au-delà de tout cela. Les civils y finissent carbonisés et l'idée d'un état totalitaire mais aussi théologique est clairement théorisé et développé. Nous sommes à mille lieues de la bande dessinée superficielle destinée à faire vendre du pop-corn dans une salle obscure. Magnifié par le trait d'un Alan Davis, artiste dont les courbes sont toujours d'une plasticité presque inégalée, ou par l'abondance de détails soignés d'un John Totleben trop méconnu du grand public, l'omnibus est aussi l'occasion de saluer une dernière fois le cocréateur du personnage, Garry Leach, qui s'est éteint il y a un peu plus d'un an, en mars 2022. Un autre monstre sacré du comic book anglais; oui, la Grande Bretagne a probablement sauvé les comics américains, ou en tous les cas leur a donné cet aura et cette respectabilité que beaucoup leur refusaient ou leur refuseraient. 





LE PLAY AZUR FESTIVAL 2023 : L'ARTIST ALLEY BD COMICS VOUS ATTEND


 Oui, ça sent bon le printemps (voire l'été, ici à Nice) et donc, le moment des festivals BD comics. Nous avons quelque chose pour vous, là tout de suite...

Le PLAY AZUR FESTIVAL de NICE est de retour pour une sixième édition. Et cette fois encore, nous avons mis sur pieds une petite artist alley pour les fans de comics et bd. Vous pouvez donc venir rencontrer durant ces deux jours les artistes invités qui sont :

DAVID MESSINA

Qui présentera la nouveauté Han Solo & Chewbacca, et le très récent 3 Keys

DALIBOR TALAJIC

L'homme derrière le célébrissime Deadpool kills the Marvel Universe, et ses séries chez AWA comme HoteLL ou Black Tape. 

ELEONORA CARLINI

La dessinatrice des Marauders (X-Men), du Doctor Who, de Buffy...

ALESSIA DE VINCENZI

L'artiste de la série Les reines de sang (Fredegonde et Njinga) chez Delcourt

GIULIO RINCIONE

Qui présentera l'extraordinaire Dirt chez Closure, et ses graphic novels précédents chez Shockdom









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BENJAMIN CARRET artiste local de grand talent, auteur de plusieurs livre jeunesse super-héros (comme l'ABC D héros) et graphiste des couvertures de UniversComics Le Mag'. Avec son nouveau sketchbook. 

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Un espace "talents à découvrir" avec deux illustrateurs qui n'en manque pas, comme ERIC VAN ELSLANDE et LE CHAT ENCREUR 

Le PLAY AZUR FESTIVAL se tiendra au Palais des Expositions de Nice les 6 et 7 mai. Une liste est ouverte pour celles et ceux qui souhaitent une commission des artistes présents. Possibilité aussi de se procurer des ouvrages signés/dédicacés, dans la limite des stocks disponibles (nous privilégions bien entendu le public présent)

Le Play Azur, c'est aussi des jeux, des animations, de la science, des youtubers, des comédiens. Bref, un espace de pur plaisir détente culture, pour toute la famille. 

L'artist alley est organisée par l'association Play Azur, UniversComics Le Mag' et Les Fictionautes, comic shop de référence à Nice. 



Renseignements sur l'artist alley :

UniversComics Le Mag'

www.facebook.com/universcomics : pour gagner des places très bientôt !

mail : universcomics.lemag@gmail.com

DIRT LES FILS D'EDIN : GIULIO RINCIONE AU FIRMAMENT CHEZ CLOSURE


 Si le nom de Giulio Rincione n'évoque pas encore des hordes de lecteurs déchaînés en France, il est désormais solidement établi chez les amateurs de bande dessinée italienne. Un artiste au talent aussi singulier que foudroyant, qui a déjà proposé une belle brochette de romans graphiques chez Shockdom (dont il est un des auteurs de référence), et qu'on a aussi aperçu au passage sur Dylan Dog. Nous le retrouvons ce printemps en VF chez Closure, nouvelle émanation éditoriale de la branche française de Shockdom, pour un très bel ouvrage grand format. Vous vous souvenez du film Roger Rabbit et de cet univers de toons qui vivent comme nous autres les humains "classiques", qui cohabitent avec nous ? Il y a un peu de cela ici, mais dans le même temps une commixtion ambitieuse et fascinante entre notre monde et ses lois économiques et commerciales, les délires et obsessions personnelles de l'artiste, et un univers cartoony mais grinçant. Dirt, le protagoniste de cette histoire (il s'agit ici du premier tome, mais si le public français a un peu de jugeote, la suite ne tardera pas) est une sorte de nabot tout bleu, autrefois à la solde des industriels et des commerciaux de la Borrison Company Tobacco. Il peut être antipathique, arrogant, querelleur, mais surtout, c'est un personnage animé et il en a pleinement conscience. Tous ceux qui sont dans son état le savent, eux-aussi. Il faut dire qu'on a inventé un appareil révolutionnaire, le C Art One, qui permet de donner corps et vie à ces fantaisies dessinées. Du coup, les toons sont devenus nos voisins, et c'est même nous qui leur insufflons force et énergie, à travers notre admiration, notre intérêt, dont ils se nourrissent. Inversement, quand plus personne ne semble se pencher sur l'un d'entre eux, il est appelé à s'effacer. En effet, comment pourrait bien mourir un petit bonhomme artificiel, qui passe le clair de son temps à se faire débiter en petits morceaux dans des dessins animés, si ce n'est le jour où personne n'a plus envie de suivre ses aventures farfelues ? L'heure de gloire de Dirt est déjà passée. C'était alors les années 1950, une Amérique où fumer était un art de vivre, qu'on vendait aux clients en vantant les mérites et les bienfaits d'un produit qui les tuait à petit feu. Dirt était le fer de lance des publicité de la firme qui l'employait, et qui aujourd'hui n'a plus vraiment besoin de ses services.


 

Le récit n'est pas construit de manière linéaire, mais il va chercher des épisodes de la vie du passé de Dirt, et offre aussi une plongée dans le monde futur de 2040 post pandémie pour (dé)construire un portrait tragique. Voici alors un personnage de dessin animé qui a perdu "les siens", a connu l'oubli, refuse catégoriquement l'homologation, erre sans avoir de but défini, pour une pseudo existence qu'on devine laborieuse et pleine de souffrance. Il a perdu l'amour de sa vie, principalement, mais il a du aussi subir une sorte d'enregistrement/sérialisation des toons qui lui a coûté sa place au paradis du genre, quand il était l'image de la compagnie de cigarettes qui l'employait. Le travail de Giulio Rincione est non seulement d'une rare intelligence, mais son dessin mérite le détour. Il est très personnel, truffé de bien des détails, et chaque planche, chaque case est traitée comme si elle pouvait être considérée comme un mini tableau en soi. Un style à la limite du pictural, magnifié par des teintes sombres et une capacité évidente à faire apparaître un double monde, celui intérieur de Dirt qui se lit sur les expressions grotesques ou désemparées qu'il arbore, et celui extérieur, avec par exemple une vision convaincante d'un univers post apocalyptique qui est presque l'extension des ruines intimes de notre protagoniste. Si Shockdom France semble avoir changé d'identité et lancé l'étiquette Closure, pour ce qui sera (on l'espère) une seconde existence ponctuée de succès, l'éditeur a eu le mérite de proposer ce premier tome dans un grand format qui sert réellement le travail d'un artiste qu'il faut absolument découvrir et qui s'est investi émotionnellement dans cette aventure (lire la préface pour comprendre). Et là, c'est à vous de jouer. Il y a de la vie en dehors des super-héros et des comics plus "traditionnels" et tout un tas de bonnes raisons pour que vous donniez sa chance à ce sacré toon irascible, insupportable et vulgaire, mais touchant et fragile. 




Et pour rencontrer Giulio Rincione, rendez-vous au Play Azur Festival à Nice. Les 6 et 7 mai, l'artiste sera invité dans notre artist alley, alors n'hésitez pas une seconde ! 


LE MYTHE DE L'OSSUAIRE DE LEMIRE ET SORRENTINO : TOUT COMMENCE AVEC LE PASSAGE


 Jeff Lemire, encore et toujours. Il faut dire qu'Urban Comics a pris la décision récemment de consacrer chaque mois éditorial à un auteur en particulier, qui est mis en avant sous la forme de plusieurs publications nouvelles, s'ajoutant à celles déjà présentes au catalogue. Le mois d'avril 2023 était donc l'occasion idéale pour parler du canadien, puisque outre l'histoire des petits vampires de Little Monsters (notre chronique de jeudi à lire ici), nous retrouvons deux albums grand format de réelle qualité, qui permettent de plonger dans un nouvel univers horrifique instauré avec la collaboration du dessinateur italien Andrea Sorrentino, désormais partie intégrante d'un binôme ultra efficace et talentueux. Attention, il ne s'agit pas ici de l'horreur la plus décomplexée : ne vous attendez pas à voir des scènes chargées en hémoglobine et des intestins au soleil, nous sommes plutôt dans la suggestion, c'est-à-dire ce point de bascule où une situation en apparence banale commence à devenir angoissante, plonge le lecteur dans une interrogation quasi mystique, là où la peur nous assaille sans que nous soyons en mesure de comprendre véritablement pourquoi. Vous aimez par exemple les nouvelles de Guy de Maupassant, dont l'atmosphère transcende la nature même de l'épouvante, alors bienvenue chez Jeff Lemire, qui ressuscite un peu ce mécanisme dans ce qu'il a fini par appeler avec son dessinateur fétiche une forme "d'horreur existentielle". Tout cela commence avec un "roman graphique", Le Passage, suivi d'une première mini série (Des milliers de plumes noires). Le passage s'ouvre avec un épisode isolé qui fut offert aux États-Unis gratuitement dans le cadre du free comic book day de l'an dernier. On y retrouve un scénariste chargé de mettre au point une création inédite et qui est actuellement en panne sèche d'inspiration, et en retard de plus de deux semaines sur le travail qu'on lui a demandé de livrer. Il part alors s'installer dans une petite maison isolée, près d'une sorte de clairière loin de tout contact avec les autres. Sa situation sentimentale est assez floue; on devine qu'il est en train d'essayer de sauver son mariage et en même temps il a une relation extra-conjugale qui continue de le solliciter. Accompagné de son chien, le type tente tant bien que mal de se remettre à l'ouvrage, mais il fait la rencontre d'une sorte de double de lui-même, intégralement nu, apparition spectrale affublée d'un masque rouge inquiétant qui surgit au milieu de nulle part et le happe dans ce qui peut être interprétée comme une absorption, une dissolution de l'individu. C'est particulièrement dérangeant et ouvert à toute forme d'interprétation de la part du lecteur. Un petit épisode très efficace qui sert de mise en bouche éloquente pour tout ce qui va suivre.




Vient ensuite le tour du roman graphique à proprement parler, Le Passage (The Passageway en VO) de 95 pages. Il y est question d'un géologue du nom de John Reed, qui est dépêché sur une île perdue au milieu de nulle part, dans une atmosphère poisseuse et désolée, pour apporter son expertise au sujet d'un trou béant qui est apparu dans le sol. Quand on y jette une pierre, on n'entend pas l'impact qu'elle produit en heurtant le sol, ce qui indique soit une profondeur incommensurable soit un mystère assez inquiétant. L'île est déserte, il n'y a qu'un phare désormais éteint et qu'il faut réparer, et sa gardienne, une femme de peu de mots, un peu sauvage voire même disons-le franchement inquiétante. Le passé du géologue et teinté de douleur et de tragédie puisque dès les premières pages on apprend que sa mère s'est noyée un jour à la mer et qu'il fait des cauchemars en la revoyant, mais cette fois privée de ses deux yeux. Plus les pages se tournent plus le mystère grandit et un sentiment d'inconfort monte lentement, par petites touches, parfaitement amené grâce aux dessins d'Andrea Sorrentino, notamment des doubles pages audacieuses, avec une construction des planches qui fait exploser les cadres préexistants. Des corbeaux qui s'envolent peuvent ainsi constituer à travers leur étrange balai les onomatopées même qu'il produisent, ou encore le parcours du géologue sous terre épouse le regard du lecteur, qui va devoir se frayer un passage sur une double splash page. L'ombre est maîtrisé à merveille et il y a également de très belles teintes de gris, ce que nous devons probablement à Dave Stewart et sa science de la colorisation. Le récit est ramassé dans une durée de temps très limitée. On entre dans le récit juste à point pour  constater qu'il y a un problème dans la nature du sol, puis pour passer une nuit pas si tranquille que cela, et le lendemain la situation précipite ! Là encore, nous ne sommes pas dans l'horreur pure et dure; ne vous attendez pas à voir débarquer une créature suintante de sang ou un massacre à la tronçonneuse. Mais c'est l'ambiance, la terreur sourde qui se manifeste à plusieurs reprises qui fait que le lecteur est mis dans une position malaisante, du début à la fin. Ici aussi, chacun pourra trouver et tirer la leçon qu'il souhaite de ce qu'il va lire, sachant que l'univers que Lemire et Sorrentino ont décidé de mettre sur pieds n'en est encore qu'à ses premiers balbutiements et qu'il est pour le moment impossible de vraiment en cerner les petits détails. Nous pouvons déjà jouir de la peur diffuse qu'il parviennent à nous communiquer, c'est déjà beaucoup. D'autant plus que tout ceci est présenté dans un très bel écrin : un album grand format comme Urban Comics nous y a bien habitués ces temps derniers.






LITTLE MONSTERS : LES PETITS VAMPIRES DE JEFF LEMIRE


 Une énième pandémie est passée par là et la plupart des êtres humains qui peuplaient la planète sont morts… du coup bienvenue dans un monde où les rares survivants ont beaucoup de temps pour gamberger et s'ennuyer, surtout lorsqu'il s'agit de jeunes enfants quasiment immortels qui vivent dans une petite communauté de huit individus, tous très différents les uns des autres. Les gamins ne sont pas vraiment de charmants innocents, ce sont en fait des vampires. Ceci car à un moment donné de leurs existences, ils ont croisé la route d'un Ancien, c'est-à-dire d'un vampire plus âgé qui leur a offert la "vie éternelle" et l'assurance de ne plus connaître la solitude. Ils ont reçu la consigne de ne jamais quitter la ville où ils sont censés être protégés et de ne jamais mordre un humain. Enfin, s'ils viennent à en rencontrer un, car il en reste très peu. Et donc, forcément, de lui sucer le sang. L'Ancien s'est absenté il y a des décennies de cela et depuis plus personne ne l'a revu. Livrés à eux-mêmes, les joyaux drilles continuent de respecter ce qu'on leur a préconisé; néanmoins, une scission commence à poindre à l'intérieur du groupe. Il y a ceux qui voudraient du changement et ceux qui préfèrent le confort ouaté de la monotonie quotidienne. Mais ce que Jeff Lemire - scénariste prolifique et toujours pertinent - nous raconte, c'est que le changement est inévitable : la jeunesse ne dure qu'un temps (même si ici c'est un temps très étiré) tout comme la nuit, nécessaire à la survie des vampires, finit naturellement par être remplacée par le jour. Le grand changement attendu dans Little Monsters, c'est l'instant où les petits vampires vont croiser un homme, un vrai, et qu'ils vont s'en servir comme petit banquet improvisé… à partir de là, l'histoire prend une nouvelle tournure plus radicale.


Jeff Lemire parvient à réunir deux de ses obsessions récurrentes. La première, c'est le thème de la famille et des liens, de l'innocence qui perdure en chacun de nous et tout particulièrement chez les enfants, qui sont les représentants de cette qualité destinée à s'amenuiser avec le temps. La seconde, c'est l'horreur, l'épouvante, une catégorie dans laquelle il excelle et où nous le retrouverons dans quelques jours avec les deux premiers volumes consacrés à la grande saga du Mythe de l'ossuaire, en compagnie d'Andrea Sorrentino. C'est un autre compère de longue date qui l'accompagne pour Little Monsters : Dustin Nguyen (Descender/Ascender). Ce dernier est une sorte de Michelangelo de l'aquarelle; dès qu'on pense à cette manière de dessiner, son nom vient parmi les tous meilleurs représentants du marché des comics. Ici, il expérimente une autre manière de faire, avec des planches extrêmement sombres jouant sur le contraste entre le noir et le blanc, et abandonnant l'idée d'employer la couleur, si ce n'est des touches de rouge là où apparaît le sang. La couleur qui a donc disparu du monde tout comme les adultes, tout comme toute trace de vie si ce n'est ces gamins aux caractères et aux ambitions différents, qui permettent de complexifier la trame et d'offrir de nombreuses pistes narratives au scénariste. D'ailleurs, chaque épisode commence par un petit retour en arrière qui nous permet de mieux comprendre comment les jeunots en sont arrivés là. Et il faut bien l'admettre, c'est diablement efficace. Il n'y a pas beaucoup de texte, ça peut se lire vite si on n'est pas happé par les dessins de Nguyen (que personnellement je prends beaucoup de temps à admirer, tellement ils sont beaux) mais au final, c'est une lecture très intrigante, bien construite et qui démontre que le génial canadien est toujours capable de nous régaler, sans avoir l'air de forcer. Alors bien sûr, certains parleront d'une sorte de remake du Seigneur des mouches de William Golding, et ils seront loin d'avoir tort. Le mécanisme présent dans cette série a déjà été expérimenté plusieurs fois dans le passé mais c'est cette capacité qu'a Lemire à écrire quelque chose de touchant et d'honnête qui fait systématiquement la différence.





LES SEPT LAMES : D'ARTAGNAN ET COMPAGNIE CHEZ BLACK RIVER COMICS


 Le hasard faisant bien les choses, après le film "Les trois mousquetaires ; D'Artagnan" au cinéma, voici venir le comic book Les Sept Lames, publié chez Black River Comics. Le point commun entre les deux œuvres, c'est bien entendu la présence de D'Artagnan, le célèbre épéiste d'Alexandre Dumas. Ici, les autres mousquetaires sont morts; il est le dernier rescapé de la joyeuse brigade et il va reprendre du service pour une aventure aussi mouvementée que risquée.  Vous l'aurez compris uniquement avec le titre de cet album, il ne va pas être seul face au péril. En effet, six autres compagnons d'armes vont le rejoindre, les uns après les autres.  Vous avez aimé les Avengers chez Marvel, tous ensemble pour combattre le terrible Thanos ? Vous allez adorer cette brigade hétéroclite qui compte dans ses rangs des personnages aussi différents que le dragueur impénitent Dom Juan, le bretter infaillible Cyrano de Bergerac, le Capitaine Blood, Ahmed le voleur de Bagdad, une jeune et jolie nonne (Catalina), Faust ou encore la très séduisante Mademoiselle de Maupin. Evan Daugherty puise son inspiration dans les mythes historiques et littéraires et il assemble une fine équipe avec beaucoup de naturel, mais surtout des dialogues pétillants qui rendent l'histoire agréable à lire, en tous les cas bien plus que ce à quoi je m'attendais au départ. Pour être honnête, j'ai feuilleté les premières pages des Sept Lames tel un critique désabusé qui se voit plus ou moins contraint d'aborder une nouvelle parution, qui vient s'ajouter à la pile en attente de publication. Il ne m'a fallu que la moitié d'un épisode pour comprendre mon erreur car en fait les pages se tournent rapidement et plaisamment, on se laisse prendre au jeu sans aucune difficulté dans ce qui est un combat contre les forces du mal (ici incarnée par le toujours diabolique Cardinal de Richelieu) et la recherche d'un objet aux pouvoirs incommensurables, une épée permettant de rendre à Lucifer lui-même tout le pouvoir qu'il a possédé jadis. 


Tout va vite, tout va même parfois trop vite dans cet album où le scénario aurait été vraisemblablement encore plus convaincant, avec un ou deux épisodes de plus, qui auraient permis de décompresser la mini série.  On voyage beaucoup, de Paris à Rome en passant par la cour d'Espagne, sans oublier un tour à bord d'un navire face à des pirates, dans l'Atlantique… Bref, c'est virevoltant et d'une page à l'autre, nous n'avons jamais le temps de nous ennuyer. On remarquera également une attention toute particulière portée à la partie graphique : les deux dessinateurs italiens présents dans cet ouvrage, Riccardo Latina et Federico Dallocchio, sont absolument remarquables. Le trait est fouillé, précis et ne souffre absolument d'aucune baisse de régime. Toutes les cases sont traitées avec le même soin, il y a une grande lisibilité dans la manière de représenter les différents personnages, et la mise en couleur de Valentina Bianconi s'adapte parfaitement aux ambiances instaurées. Même la fin est assez réussie puisque chacun des combattants va se voir obligé de se livrer bien malgré lui à une forme d'introspection, d'être confronté aux doutes, aux peurs, aux aspects les plus sombres hébergés dans l'individu. On ne peut pas se frotter au Diable sans risquer d'y laisser plus que quelques bobos. C'est également l'essence même de l'humanité qu'on risque de perdre dans l'affrontement. Du coup, bonne pioche que ces Sept Lames chez Black River. Un groupe en apparence dysfonctionnel et improbable, qui finit par apprendre à travailler ensemble, n'hésite pas à donner dans l'humour (avec un poil de trivialité et de nombreux jeux de mots assez drôles) et qui emmène le lecteur dans une quête menée bille en tête… bref, normalement de quoi séduire beaucoup d'entre vous, surtout en cette période où les mousquetaires semblent être particulièrement à la mode.

Variant cover de J.G. Jones




JSA CHRONICLES 1999 : DÉCOUVRIR LA JUSTICE SOCIETY OF AMERICA AVEC URBAN COMICS


 Urban Comics a eu l'excellente idée de lancer il y a quelques mois une collection d'albums intitulés « Chronicles » ; des volumes qui permettent de retrouver l'intégralité de la production concernant un héros ou un groupe de personnages à partir d'une date choisie. Batman a eu l'honneur du premier jet, c'est au tour désormais de nos patriarches du super-héroïsme de la JSA, avec un tome fort abondant pour débuter, centré sur toute la production de l'année 1999. C'est James Robinson et David Goyer (également scénariste apprécié au cinéma) qui se chargent de faire revenir la Société de Justice sur le devant de la scène, grâce à une histoire particulièrement efficace et classique qui fonctionne sur un modèle déjà éprouvé. Un ennemi surpuissant qui se présente et qui oblige le groupe à diviser ses forces pour en venir à bout, et enfin une résolution finale faite d'héroïsme, de sacrifice, du besoin de resserrer le lien entre toutes les générations. Présentée au départ sous la forme d'un numéro nostalgique de All Star comics, l'histoire que vont mettre sur pieds les deux auteurs s'articule autour d'une confrontation entre tous nos héros et une espèce de dieu devenu fou qui se fait appeler Stalker. Ce dernier apparaît dans le ciel de Washington avec un plan terrible, mettre fin certes à la guerre et à toutes les tensions qui règnent sur la planète, mais de la manière la plus expéditive et insensée qu'il soit, c'est-à-dire en annihilant toute forme de vie. Bref, quand il n'y aura plus d'hommes, il n'y aura plus non plus de guerre. Stalker est doté d'une puissance incommensurable et pour en venir à bout la JSA va être obligée de puiser dans ses dernières réserves. Néanmoins, le groupe va parvenir à mettre en échec le nouveau venu, mais celui-ci, avant de battre momentanément en retraite, parvient à éparpiller sept de ses disciples aux quatre coins du monde pour poursuivre son œuvre. La menace n'est pas complètement écartée et il faut alors que notre super formation divise ses membres en petits groupes de deux pour pouvoir s'occuper de chacun des disciples du mal. Nous retrouvons alors une série d'épisodes spéciaux qui portent le nom d'anciennes revues de l'âge d'or des comics (comme par exemple Smash Comics, Sensational Comics ou Star Spangled comics) et des associations comme Sandman et Star Spangled Kid (qui deviendra Stargirl par la suite), ou encore Hawkgirl et Wonder Woman, sans oublier The Flash aidé par Mister Terrific. Tout ceci converge dans un second numéro de All Star comics où va avoir lieu l'affrontement final entre tous les personnages. Ce sera aussi l'occasion de sceller le destin de Hourman, qui est appelé à disparaître pour être remplacé par une sorte d’androïde venu du futur mais basé sur les schémas cérébraux de l'original. Un grand écart entre classicisme le plus total et tentative de servir ces personnages à une sauce moderne. Chaque numéro est illustré par un dessinateur différent, la plupart du temps très convaincant, et on remarque également d'autres scénaristes de renom qui viennent prêter main forte. Par exemple, on lira ou admirera du Chuck Dixon, Stephen Sadowski (alors sur la rampe de lancement) ou encore Mark Waid et Aaron Lopresti, parmi ceux qui interviennent avec brio.


Pour tout comprendre des personnages, rien ne vaut, en définitive, de bonnes vieilles fiches individuelles. On en trouve dans un numéro spécial intitulé JSA secret files, que Robinson s'est vu commissionné au dernier moment par DC Comics, alors qu'il planchait (avec son compère Goyer) sur les premiers épisodes de la véritable nouvelle série de la Justice Society. L'événement qui sert de trait d'union entre tout ce que nous venons de décrire et la nouvelle série de Robinson en elle-même, c'est la mort et donc l'enterrement de Wesley Dodds, à savoir le Sandman de l'âge d'or des comics.  Fidèle à un de ses tics d'écriture, le scénariste en profite pour faire apparaître puis disparaître le nouveau Docteur Fate de l'époque, qui n'avait pas su toucher le cœur des lecteurs. De ces obsèques touchantes, nous passons ensuite à la grande menace de Mordru, un super vilain ésotérique venu du futur (ennemi de la Légion des Super-héros) et qui est bien décidé à utiliser un bébé qui vient de naître (et porte une tâche de naissance en forme de croix égyptienne) pour utiliser à son profit tous les artefacts et donc la puissance de Fate. La Société de Justice va tenter de le contrer, même si ce sera extrêmement difficile. C'est le moment que choisit la jeune Kendra, nouvelle incarnation de Hawkgirl, pour se joindre à l'équipe tandis que Star Spangled Kid (autrement dit la future Stargirl) va avoir un rôle non négligeable à jouer aussi dans cette histoire. C'est assez agréable à lire, ça permet de bien comprendre la dynamique qui unit toutes les générations et surtout la manière intelligente avec laquelle des décennies plus tard, des auteurs modernes parviennent à unir le classicisme et l'avenir à travers des recoupements et des successions parfois périlleuses, mais toujours fascinantes. C'est cela qui fait le charme de ce premier volume consacré à la JSA, la manière de voir comment les comics fonctionnent aussi à partir d'un héritage qui peut être malléable et appréhendé sous différents aspects au fil des ans. De nouvelles facettes continuent d'apparaître et des personnages qui semblaient être recouverts par la poussière et la patine du temps n'en finissent plus d'être remis à jour, pour de nouveaux défis et de nouvelles histoires. C'est probablement une des grandes forces de l'éditeur DC Comics et il est important d'avoir de tels ouvrages, comme ces "Chronicles" pour nous rappeler à quel point l'histoire et la généalogie des super-héros sont primordiales pour la compréhension de ce qu'ils signifient aujourd'hui. 




JUDGMENT DAY : AVENGERS X-MEN ET ETERNELS POUR UNE GUERRE TOTALE


 Trop, c'est trop. Les mutants ne sont-ils pas allés trop loin ? Ils sont devenus pratiquement immortels (tant que les cinq d'entre eux qui opèrent en coulisses pour le cycle des résurrections peuvent fonctionner ensemble) et ils ont même colonisé la planète Mars, en y installant une vaste communauté répondant au nom d'Arakko, tandis que sur Terre les X-Men "traditionnels" vivent sur l'île nation de Krakoa et dament le pion aux plus grandes puissances de la planète. Une évolution si rapide, si incontrôlable, qu'elle peut être considérée comme l'œuvre de Déviants. Hors ces derniers, dans l'univers Marvel, sont des créatures engendrées à l'aube des temps par les Célestes, lors d'une de leurs visite sur Terre. Une race qui a vu le jour en même temps que celle des Eternels. Ces derniers ont comme but ultime de tenir à l'œil le processus évolutif des autres espèces (les Déviants, fort logiquement, mais aussi les hommes par la suite) et de les sanctionner (ou de les annihiler, pour être plus clair) lorsqu'elles dépassent les bornes. Hors, les mutants sont allés beaucoup trop loin, trop vite, et la faction la plus virulente, la plus proactive des Eternels, décide de mettre un terme à cette expansion contrenature. Judgment Day (le Jugement Dernier, l'heure du jugement) est le nouveau grand événement à la sauce Marvel (en Vf car la Vo est achevée depuis des semaines…) et concerne de nombreux titres de la Maison des Idées, puisque les Avengers, les X-Men et les Eternels vont entrer en collision, chacun avec des motivations et des décisions fort différentes. Kieron Gillen reçoit la lourde charge d'orchestrer ce gloubi-boulga géopolitique et super-héroïque, qui prend ses racines dans le travail qu'il a déjà accompli récemment avec Esad Ribic, et dans celui de Jonathan Hickman avec sa grande opération ambitieuse (House of X/Powers of X). Il faut juste savoir que chez les Eternels, le perfide Druig est parvenu à devenir le chef de sa race, créant ainsi une scission au sein de la société de son peuple. Il se prépare à lancer une guerre pour l'anéantissement de la nation mutante de Krakoa, et il consulte en secret son ancêtre, le dieu Uranos, qui est à lui seul une arme de destruction massive à faire passer Thanos pour un poète florentin de la Renaissance. Les mutants ignorent bien entendu ce qui se trame à leurs dépends, tandis que le généticien Monsieur Sinistre a été enlevé par l'ennemi (et ça n'est pas une bonne nouvelle, soyez-en certains). Les Avengers, eux, sont pris entre le marteau et l'enclume, mais lorsqu'un assaut foudroyant est donné aux forces du Professeur Xavier, ils décident de lui venir en aide. Pendant ce temps, que font donc les Eternels dissidents, les héros plus raisonnables, ceux que beaucoup d'entre vous ont découvert au cinéma, Ikaris en tête ? Bonne question ! 


Comme le veut désormais la tradition depuis que les revues kiosque d'antan ont disparu du panorama, remplacées par des softcovers à 16 € et des versions avec couverture dure à 22 (l'inflation est passée par là) Panini comics ne se contente pas de nous offrir les six numéros du crossover principal mais également une série de parutions annexes, comme par exemple Death to the mutants, où on se concentre sur le redoutable assaut que doivent subir les X-Men. Mais aussi d'autres tie-in ou histoires complémentaires, comme ce mois-ci le prélude publié lors du free comic book day. Gillen n'a pas la tâche facile puisqu'il doit mettre sur pieds un récit choral avec beaucoup de personnages et maintenir l'intérêt du lecteur à travers des scènes où tout le monde tape sur tout le monde, quitte à en oublier que la pertinence principale de Judgment Day réside dans l'incroyable tapisserie géopolitique évoquée. Il est particulièrement épaulé par Valerio Schiti, qui est devenu un des artistes les plus efficaces quand il s'agit de mettre en scène un grand événement super-héroïque à la sauce Marvel. Tous les personnages qu'il dessine s'insèrent à merveille dans des planches qui gardent beaucoup de lisibilité malgré la surabondance de protagonistes. Le défaut est à trouver dans l'ambition démesurée du scénariste, qui finit par perdre le lecteur ne connaissant pas très bien les différents intervenants et qui peut parfois avoir du mal à suivre les subtilités des réactions des uns et des autres. Notamment la décision d'Iron Man et des Eternels de rendre vie au corps inerte du Céleste qui sert de base aux Avengers, pour créer un nouveau dieu susceptible de mettre fin à la guerre. Une décision malheureuse qui va semer la panique chez tout le monde, puisque cette créature surpuissante laisse 24 heures à l'humanité avant de la juger sur la base de ses actions. Et là, il faut être honnête, la manière dont la chose va se produire et le verdict final rendu sous forme de sentences personnalisées sont parfois assez étonnants et prêtent le flan à beaucoup de discussion. Tout comme le choix des couvertures, puisque la fresque magnifique de Mark Brooks représente le choix logique de ceux qui aiment ce genre d'histoire, alors que la version plus chère (couverture rigide) devra  à chaque fois se contenter de personnages de plain-pied et en effet certes chromé, mais qui ne peut pas rivaliser avec l'édition en souple et son illustration. C'est en tous les cas une nouvelle saga indispensable pour ceux qui souhaitent rester au courant de ce qui se déroule en ce moment dans la maison des Idées. Et pour les nombreux fans des X-Men, dont la nouvelle ère initiée par Hickman touche bientôt à sa fin.





LE PODCAST LE BULLEUR PRÉSENTE : CRÉNOM, BAUDELAIRE !


 Dans le 149e épisode de son podcast, Le bulleur vous présente Jeanne, premier tome sur trois de Crénom, Baudelaire, adaptation du roman de Jean Teulé par Tino et Dominique Gelli et publié chez Futuropolis. Cette semaine aussi, on revient sur l’actualité de la bande dessinée et des sorties avec :

- La sortie de l'album Le prof qui a sauvé sa vie que l'on doit au scénario d'Albert Algoud, au dessin de Florence Cestac et c'est édité chez Dargaud

- La sortie de l'album Au nom de Catherine, adaptation d'un roman de Julia Billet par Mayalen Goust au dessin et c'est édité chez chez Rue de Sèvres

- La sortie de Salamandre, titre que l'on doit à Ian Culbard et aux éditions 404 comics

- La sortie de l'album Trois chardons que l'on doit à Cécile Becq et aux éditions Sarbacane

- La sortie de l'album Dans l'ombre, adaptation du roman conjoint d’Édouard Philippe et Gilles Boyer, c'est Philippe Pelaez qui en signe le scénario, Cédrick Le Bihan le dessin et c'est co-édité par Jean Claude Lattès et Grand angle

- La réédition de La guerre de Catherine pour les 10 ans de Rue de Sèvres, roman de Julia Billet qu'adapte ici Claire Fauvel



GRANDVILLE MON AMOUR : L'INSPECTEUR LEBROCK EST DE RETOUR CHEZ DELIRIUM


 Que voulez-vous y faire ? Certains inspecteurs ont plus de flair et de charisme que d'autres, voilà tout. C'est le cas de Lebrock, le blaireau héros de Grandville, dont le second tome est déjà arrivé chez Delirium, après le succès mérité qui a couronné l'accueil du premier (à relire ici). C'est un grand plaisir que de retrouver cette uchronie steampunk à base d'animaux anthropomorphes. Un monde où Paris est au centre de la civilisation depuis que la France, sous Napoléon, est parvenue à envahir et conquérir l'Angleterre. Depuis deux décennies et après une longue litanie d'attentats, cette dernière est parvenue à retrouver son indépendance, tandis qu'en France l'empereur Napoléon XII est décédé et qu'un gouvernement de conseil révolutionnaire lui a succédé. Voici le tableau lorsque démarre Grandville, mon amour. D'emblée nous faisons la connaissance avec celui qui va être le grand ennemi de notre inspecteur tout au long de cette centaine de pages, un certain Mastock, qui s'est illustré de la plus cruelle des manières durant la période où les anglais tentaient de résister à l'occupation étrangère. Pour faire bref, c'était un terroriste capable des pires atrocités et qui semblait prendre un réel plaisir à faire couler le sang. En période de guerre, on peut aussi perpétrer des actes terribles; il y a néanmoins une limite à ne pas franchir, ce qui explique pourquoi le criminel croupit au fond d'une geôle, alors qu'arrive l'aube de son dernier jour, quand il est censé se faire trancher la tête sur la guillotine. Seulement voilà, il parvient à s'évader après avoir dissimulé un petit revolver dans ses effets personnels et avant de semer compagnie au bourreau et aux forces de l'ordre, ils sème un nouveau carnage. Très vite, on retrouve sa trace du côté de Paris, c'est-à-dire Grandville. Mais curieusement, bien que ce soit lui qui la première fois soit parvenu à arrêter le terrible Mastock, ce n'est pas Lebrock qui va hériter de l'enquête, mais un petit inspecteur sans envergure qui n'a aucune chance de mettre la main sur celui que tout le monde recherche. Ça n'est bien évidemment pas du goût de notre héros qui le fait savoir sans ménagement à ses supérieurs. Non, il est bien décidé à mener sa propre enquête quitte à démissionner !


Grandville, ce n'est pas seulement un simple polar, mais c'est aussi une aventure aux multiples ramifications politiques. C'est en fait toute une histoire parallèle qui est mise en place, capable d'affronter avec justesse des événements qui n'ont pas eu lieu, mais qui présentés par Bryan Talbot deviennent d'une logique imparable dans leur dynamique. Le grand vilain de cet album, par exemple, est à relier au mouvement de résistance anglais qui a lutté pour repousser la domination française, au point de sombrer dans des excès coupables qui ont valu une condamnation définitive. Il y est question également de comment il est possible d'apparaître comme un sauveur lorsque la situation politique devient des plus confuses. Comment gravir les échelons, avec de lourds secrets bien enfouis au fond du tiroir. Comment abuser de son pouvoir, en se mettant à l'abri des conséquences. Bref, c'est beaucoup plus sombre, mature, impitoyable, que ce que pourrait penser le lecteur distrait, séduit à l'idée d'une jolie fable à base de blaireaux et de souris qui enquêtent, ou de béliers qui gèrent la police. Un côté amer et obsédant, aussi, avec les remords et le sentiment de culpabilité de Lebrock, hanté par le souvenir de celle qu'il n'a pas sauvée, et dont il pense retrouver un écho poignant chez une prostituée de Paris, collègue "de travail" de plusieurs des victimes de Mastock, qui se lance dans un véritable carnage à Pigalle, dans une maison close où des secrets d'état menacent d'exploser, presque par inadvertance. Cette édition proposée par Delirium (qui est le second tome d'une série de cinq) possède en outre plusieurs pages de commentaires et annotations fort utiles, rédigées par l'auteur lui-même. Talbot y réaffirme sa volonté d'envisager son ouvrage avec un découpage et un rythme cinématographique, à la croisée des chemins spirituels d'une detective story à la Sherlock Holmes et de l'action épileptique et outrancière d'un long métrage de Tarantino (Lebrock qui fonce l'arme au poing, les meurtres, tout ceci le confirme haut et fort). On croise aussi dans Grandville, Mon amour d'autres clins d'œil fort sympathiques à l'histoire du neuvième art, avec notamment le Gaston Lagaffe de Franquin et le Lucien de Margerin, en petites frappes des rues parisiennes. Tout un univers attachant et soigné, finement ciselé et ficelé, qui rappelle, si besoin est, tout le talent d'un Bryan Talbot aussi versatile qu'inspiré. 





COSMOPIRATES TOME 1 : CAPTIF DE L'OUBLI (JODOROWSKY / WOODS)

 Xar-Cero est typiquement le genre de mercenaire sur lequel on peut compter. Si vous avez une mission à exécuter, soyez certain qu'il ir...