LA GUERRE DES AMAZONES : LA RESISTANCE AU FÉMININ


 Peu importe ce qu'annonce le titre, il ne sera pas question ici de splendides créatures grecques ou des Amazones telles que nous pouvons l'imaginer ou les retrouver chez DC Comics, avec la sculpturale Wonder Woman. Non, ici nous allons faire un tour à l'est, au royaume de Bohême et nous remontons le temps jusqu'au tout début du neuvième siècle. À l'époque, Charlemagne avait envoyé son fils, Karl, le roi des Francs, pour christianiser les peuples slaves qui habitaient ces contrées lointaines. Par christianiser, il faut entendre en réalité une opération d'effacement identitaire, culturel et religieux, par la force. Ceux qui ne se plient pas aux nouvelles règles sont torturés ou tout simplement éliminés. Le récit s'arrête sur le roi Krok et ses deux filles, qui ont toutes deux des caractéristiques très différentes. Libussa est une guerrière; elle ne renonce devant rien et c'est par l'épée qu'elle entend se faire respecter, avant tout. Téta pour sa part est beaucoup plus taciturne; elle a des visions et semble en mesure de communiquer avec les dieux slaves, qui inspirent ses choix et ses présages. Clairement, les femmes d'alors n'ont pas une position privilégiée dans la société. Pour autant, elles n'ont pas du tout l'intention de se laisser faire. Nous rencontrons ainsi une autre guerrière qui ne s'en laisse pas compter, Vlasta, qui va devenir l'amante de Libussa. Une relation qui prouve que les femmes sont capables de s'émanciper et n'ont pas forcément besoin d'un chevalier servant pour subvenir à leurs besoins et les protéger de l'ennemi. Il faut d'ailleurs signaler que Guillermo G. Escalada, le dessinateur de cette histoire, ne cherche pas à érotiser les figures féminines qu'il met en scène, mais au contraire tente de leur attribuer une puissance physique et des caractéristiques en accord avec les actes qu'elles accomplissent. Et tout ceci s'inscrit dans des pages absolument splendides, où les moindres détails sont crédibles et fascinants, où la lumière s'adapte à merveille avec le climat rigide et parfois spectral dans lequel baigne cette bande dessinée.



Malheureusement, l'artiste nous a récemment quitté bien trop tôt, à l'âge de 50 ans, aussi cet album est-il un hommage sincère et évident à son travail, en tout points remarquable. Stéphane Piatzszek parvient à allier une sorte de reconstitution romancée de faits historiques, avec une aventure violente et féministe, où les seuls personnages qui font preuve de solidarité et suscitent l'admiration sont des femmes, justement. C'est une histoire d'amour, de passion, qui se heurte à l'avancée des forces de Karl et aux revers que subissent les hommes de Krok, qui succombe et doit laisser le trône à sa plus jeune fille, Téta. Faut-il savoir s'agenouiller devant l'envahisseur et en épouser les diktats pour survivre, ou aller chercher l'aide d'un autre ennemi pour guerroyer jusqu'à la dernière goutte de sang ? Une stratégie qui implique des sacrifices, des revers, probablement illusoire. La christianisation de peuples aux coutumes et croyances "païennes" est un sujet toujours intéressant, voire même pertinent à aborder. Je vous renvoie aux très bons trois tomes de Jylland, publiés par Anspach, pour en voir les effets en Terre Scandinave. Ici, le grand drame guerrier, civilisationnel et religieux de Piatzszek est encore plus cruel et interroge sur la folie des hommes et la résilience des femmes. Un album à découvrir chez Soleil, un récit de résistance élégant et réussi. 



Vous aimez la bd, les comics ? La page est faite pour vous !

LE PODCAST LE BULLEUR PRÉSENTE : BOBIGNY 1972


 Dans le 168e épisode de son podcast, Le bulleur vous présente Bobigny 1972 que l'on doit au scénario de Marie Bardiaux-Vaïente, au dessin de Carole Maurel et qui est édité chez Glénat. Cette semaine aussi, on revient sur l’actualité de la bande dessinée et des sorties avec :

- La sortie de l’album Deux sœurs que l’on doit au scénario d’Isabelle Sivan, au dessin de Bruno Duhamel et qui est édité chez Grand angle

- La sortie de l’album Les dinosaures du paradis que l’on doit à l’auteur Mazan ainsi qu’aux éditions Futuropolis

- La sortie de l’album Vingt décembre, chroniques de l’abolition que l’on doit au scénario d’Appollo, au dessin de Téhem et que publient les éditions Dargaud

- La sortie du cinquième et dernier tome de Saint-Elme, un titre baptisé Les thermopyles que l’on doit au scénario de Serge Lehman, au dessin de Frederik Peeters et aux éditions Delcourt

- La sortie de l’album L’expert que l’on doit à l’autrice Jennifer Daniel ainsi qu’aux éditions Casterman

- La réédition dans une version collector de La bombe que l’on doit au scénario conjoint de Didier Alcante et Laurent-Frédéric Bollée, au dessin de Denis Rodier et qui est publié chez Glénat dans la collection 1000 feuilles.




Retrouvez-nous chaque jour sur la page Facebook ! 


SLADKIY : LE PETIT COMBATTANT DE VORTICEROSA DANS UNE BELLE NOUVELLE VERSION


Sladkiy est de retour. Cette fois dans une édition (presque) de poche, un format plus petit et proche du manga, en noir et blanc avec de belles nuances de gris. Comment faire pour qu'une belle histoire puisse toucher le plus de publics différents possibles ? Varier les supports, voilà une des pistes à explorer, ce qu'a compris la petite bande d'IT Comics, éditeur italien désormais en phase d'implantation française.

Sladkiy est une chapka, ce couvre-chef russe si particulier, dont beaucoup connaissent le nom sans savoir l'identifier. Comment est-il possible que ce soit aussi le personnage principal de ce qui apparaît comme une espèce de fable pour jeune public, ce sera le mystère du jour ! Plus surprenant encore, cet autre mystère, comment ce qui sur le papier semble presque absurde peut se révéler être au final aussi juste, touchant et chargé en émotions? Voilà un des tours de passe passe que nous nous proposons de vous dévoiler, en compagnie de Vorticerosa, le nom d'artiste de Rosa Puglisi, la scénariste et dessinatrice qui se cache derrière ce projet. Sladkiy naît dans un territoire qui n'est pas vraiment défini (probablement les steppes russes), si ce n'est par des conditions météorologiques adverses, avec la neige omniprésente et des nuages, qui se comportent comme autant d'ennemis capricieux pour le petit protagoniste. Le soleil, lui, l'encourage à trouver sa voie, et le pousse vert une ascension qui prend des accents de parcours initiatique. C'est de cela dont il s'agit ici, la succession de petits épisodes, en apparence anodins, mais qui vont permettre de rencontrer de nouveaux personnages, de nouvelles situations, qui sont autant de paraboles sur ce que signifie la bonté, la tendresse, le courage, ou la méchanceté, et d'autres notions encore. Un des thèmes forts de cet ouvrage, c'est par exemple le deuil, la nécessité de dépasser tristesse et découragement pour aller de l'avant, toujours. D'où le "petit combattant" qui définit le gentil couvre-chef animé C'est clairement une bande dessinée pour enfants, néanmoins il est tout à fait possible de la relire adulte, et d'en apprécier cette manière fort intelligente de mettre en abîme l'essence même de ce qu'est le courage de se relever et de progresser, et de découvrir le monde, c'est-à-dire avant tout se découvrir soi-même. 



Il y a finalement assez peu de dialogues, et l'action avance presque sous forme de didascalie. Les pages sont simples, le trait souple et quasi minimaliste, mais l'ensemble dégage toujours une beauté plastique évidente. Sladkiy relève pratiquement du conte de fée, avec quelques incursions dans le comique ou le tragique, qui ne laissent pas insensibles dans les deux cas. Sladkiy représente en outre une certaine forme de sincérité et d'honnêteté, ce qui peut dérouter dans une époque qui choisit la surenchère dans l'ironie ou le cynisme. Vorticerosa n'assène aucune leçon et ne prétend pas assommer le lecteur sous une lourdeur didactique; elle communique avec lui par les sentiments et la justesse de son art, ce qui est finalement le plus beau cadeau qu'elle pouvait lui faire. L'édition est fort jolie, avec un vernis sélectif du plus bel effet, et elle est disponible par correspondance ou dans les salons spécialisés pour 18 euros. Si vous souhaitez une copie de cet album, signée et sketchée par l'artiste, envoyez-nous un mail à universcomics.lemag@gmail.com


Les fans de comics et de bd ont leur page préférée. Join us ! 

TOKYO MYSTERY CAFÉ : LA DISPARUE D’AKIBA (ATELIER SENTO)


 Tous ceux qui ont déjà vécu à l'étranger vous le confirmeront, il faut une période d'adaptation lorsqu'on découvre un monde radicalement nouveau. C'est d'autant plus vrai lorsque vous êtes jeunes et que vous débarquez à Tokyo, dans la capitale japonaise, ou tout est absolument différent, de la langue au style de vie, en passant par l'architecture. Il faut dire que Nahel a une très bonne raison pour tenter sa chance au pays du soleil levant : son rêve, c'est de devenir un mangaka. Il débarque donc dans le quartier de Akihabara, qui est un peu le paradis pour tous les otakus, là où il a loué une simple chambre. Le logement appartient à un vieil homme qui possède une boutique de matériel électronique au rez-de-chaussée. De prime abord, le vieillard (un certain Mirai) a l'air très sympathique et il propose même de réparer le téléphone de Nahel. Le problème, c'est que les informations qu'il lui donne ne sont pas tout à fait correctes. Non, Nahel n'est pas le seul habitant de l'immeuble, comme annoncé, puisqu'au soir il perçoit le chant d'une jeune fille, qu'il parvient même à observer en regardant discrètement par un interstice dans le mur de la pièce. Pas de chance pour notre héros, il est instantanément "grillé" par celle qu'il épie et qui se trouve en fauteuil roulant. Honteux et bien décidé à oublier cette mésaventure, le jeune homme réussit à s'endormir mais au petit matin, toute son existence bascule d'une manière totalement inattendue. De chronique d'un expatrié au rêve artistique, nous basculons dans un thriller, une enquête à suspense.



Venu récupéré son téléphone, Nahel découvre Mirai gisant au sol, victime d'une agression sauvage, vraisemblablement dans l'espoir de lui soutirer des informations. Le fauteuil roulant de celle qui est censée être sa petite file est vide. Un enlèvement ? Mirai a juste le temps de tendre une clé à son jeune locataire, qui va donc devoir prendre soin (retrouver, pour commencer) celle qui a disparu. Et il va devoir faire vite, car des individus arrivent à l'impromptu et le prennent en chasse. Il est sauvé par une autre jeune fille, qui l'amène dans une sorte de café restaurant, dont le propriétaire est également… détective privé ! Une double activité assez singulière, pour un personnage haut en couleurs, qui va devenir dès lors le point d'ancrage décisif pour Nahel. Cécile et Olivier, les deux membres qui composent l'Atelier Sentô, s'en donnent à cœur joie pour exprimer leur amour de la culture nipponne et nous le faire partager. Des repérages ont été exécutés par le passé, tout un tas de notes et de croquis, qui aident à reconstituer le vivier bouillonnant de sève et d'énergie que peut être le Japon, dans ses quartiers et ses recoins les plus modernes ou branchés. Le dessin est une synthèse admirable de différentes inspirations, un télescopage réussi de la bande dessinée européenne subtilement infusée dans un décor oriental de manga. On est encore plus bluffés par la mise en couleurs, qui use de bleus néons et de belles notes jaunes orangées pour faire éclater la lumière au centre des vignettes, assez souvent. C'est vraiment joli et les lecteurs de l'hebdomadaire Spirou ont eu (ils ont toujours, c'est en cours) les joies de la prépublication de ce premier tome en épisodes. On espère qu'il sera suivi par d'autres, tant cette série à de cartes en main pour s'imposer et conquérir un public fourni. Publiée chez Dupuis. 

Les fans de bd, comics, manga, ont rendez-vous sur notre page FB ! 

EARTHDIVERS TOME 1 : À MORT CHRISTOPHE COLOMB !


 Comme vous le savez tous, même si vous n'avez que très peu de notions d'histoire, c'est en 1492 que Christophe Colomb a découvert l'Amérique. Certes, il était parti pour aborder en Inde, mais au bout du compte, c'est un nouveau continent, un nouveau monde qui s'est présenté à lui. La théorie du scénariste Stephen Graham Jones est simple : ce n'est pas un progrès pour l'humanité, c'est au contraire l'instant décisif qui donne l'impulsion pour une extermination de masse, celle des Indiens, toutes ces tribus qui habitaient alors le territoire et qui ont été décimées. Tout d'abord par la force et les maladies comme la variole, ensuite par des décisions politiques scélérates. Bon, il faut être honnête, nous ne sommes en effet pas très loin de la réalité. Dès l'instant où l'ancien monde a découvert le nouveau, ce fut pour s'en emparer et y piller toutes les richesses à disposition. Du coup, que se passerait-il si une grotte étrange permettait à celui qui y entre de remonter le temps ? Que déciderait ce voyageur temporel s'il était issu de la culture amérindienne et appartenait à l'humanité du 22e siècle, à un moment précis de l'histoire où toutes les catastrophes climatiques qu'on nous annonce depuis des années se sont avérées et ont précipité la fin du monde tel que nous le connaissons encore, actuellement ? Tout ceci, c'est le substrat de la nouvelle série publié aux States chez IDW, Earthdivers, et qui est adaptée en français chez Black River Comics. Le premier volume nous emmène donc sur les traces de Christophe Colomb… pour l'assassiner avant qu'il ne touche terre !


Le personnage principal de cette histoire s'appelle Tad. Il a décidé de renoncer à sa jolie épouse pour remonter dans le passé et liquider Christophe Colomb. Comme il s'agit quelqu'un de particulièrement cultivé, il maîtrise toutes sortes de langues, y compris l'ancien génois, ce qui devrait lui permettre de s'exprimer et de comprendre ses interlocuteurs, une fois sur les navires en direction de l'Amérique. Pour monter à bord, Tad est contraint de commettre un premier meurtre, qui va fatalement avoir des répercussions sur la suite. Une fois sur le pont, bien embarqué, les choses se compliquent : on a beau être particulièrement intelligent et parler tout un tas d'idiomes différents, quand arrive le moment d'effectuer des nœuds marins et de se mêler à une chiourme expérimentée, il y a de fortes chances pour que ça ne se passe pas comme prévu. Bref, le voyage va être semé d'embûches, notre protagoniste va être frappé, torturé, menacé de mort, va devoir composer avec toute une série de compromis… et puis, fort évidemment, il va se retrouver face à face avec Christophe Colomb lui-même et se poser cette terrible question : l'heure est-elle venue de passer à l'action, voire même, faut-il passer à l'action ? L'histoire est certes un peu confuse et il faut par moments s'accrocher pour tout saisir, mais si vous aimez les voyages dans le temps et les aventures à suspense, mais aussi truffées d'action, clairement, vous allez en avoir pour votre argent. D'autant plus qu'on a le grand plaisir de retrouver l'italien Davide Gianfelice et son trait incisif, nerveux, qui est capable de transformer chaque planche en une décharge d'énergie. C'est globalement une sortie intéressante, un titre inattendu qui n'est pas forcément sur toutes les lèvres, mais qui mérite réellement d'être découvert. Attention cependant, une fois de plus la relecture chez Black River à laissé passer beaucoup de coquilles qui ne devraient pas être présentes à ce niveau.





Bd, comics, mangas, dessins, venez partagez votre passion avec nous :

 

OMNIBUS SPIDER-MAN PAR TODD MCFARLANE : LE PAROXYSME DES 1990s DU TISSEUR


 Avec ce nouvel Omnibus tiré des années 1990, consacré au tisseur de toile par McFarlane, c'est toute la générations de lecteurs abreuvés aux comics de la décennie la plus dingue et discutée des comics qui va ressentir des frissons. A défaut d'avoir là la série la plus subtile et la plus profonde de l'univers de Spider-Man, nous avons une performance visuelle de toute beauté, qui marqua les esprits en son temps. Todd McFarlane avait rencontré un tel succès avec son Spidey ultra dynamique (postures arachnéennes, les yeux du masque énormes, une toile "spaghetti" abondante…) et aux antipodes du modèle Romitien (John Romita, l'autre référence pour beaucoup de puristes), que Marvel avait décidé de laisser le dessinateur seul aux manettes d'un nouveau mensuel, dont il était également le scénariste. Ce qui ne fut pas sans heurts car il s'agissait bien de la première vraie expérience professionnelle dans ce domaine précis de la création pour Todd, et ça se perçoit par endroits. Le premier arc narratif propose une lutte sans merci et aux contours mystiques, entre Spider-Man et une version plus reptilienne que jamais du Lézard. L'auteur se rattache à la célèbre aventure Kraven's Last Hunt et ressort la prêtresse vaudou Calypso des tiroirs, qui cherche à se venger de notre héros, qu'elle accuse de la mort de son amant. Le résultat est hautement spectaculaire, et ce drame assume un ton horrifique et halluciné, au rythme d'un tam-tam lancinant et hypnotique qui plonge notre héros dans un véritable cauchemar. Si la trame est finalement assez mince (tout a déjà été dit) et qu'il est possible de résumer plusieurs épisodes en quelques lignes sommaires, il n'empêche que la vision d'un Spidey au costume lacéré, l'air hagard, décomposé, a marqué le jeune lecteur impressionnable que j'étais, avec des planches absolument superbes et inquiétantes. Du McFarlane qui applique le théorème de l'époque, sans le moindre complexe : je dessine, je vous en jette plein les yeux, n'en demandez pas plus.


 

La suite, elle, met aux prises le Tisseur et le Hobgoblin. Avec la participation de Ghost Rider, en pleine ère de popularité à une époque où le motard était l'avatar de Danny Ketch. Là encore, Todd ne se foule pas beaucoup pour pondre un scénario raffiné et l'intérêt de ces épisodes réside dans sa capacité innée à happer le lecteur avec des planches ultra mouvementées et cinétiques. Certains firent la moue devant une version du Rider moins responsable et héroïque que celle décrite dans la série de Howard Mackie, alors que d'autres pointèrent du doigt les pulsions pédophiles du Hobgoblin, pas véritablement explicites mais qui transparaissent en filigranes. Un sujet que McFarlane affrontera plus frontalement par la suite, avec Spawn. McFarlane donne le meilleur de lui même dans la séquence qui voit Spider-Man au Canada, associé au mutant Wolverine. Où il est question du Wendigo, cet être surnaturel et carnivore, victime pitoyable d'une malédiction. Vous l'avez compris, Todd aime dessiner des monstres et vous proposez des plats peu ragoûtants, c'est sa marque de fabrique au début des années 1990 et il en use et abuse. Le run de TMF se termine avec l'apparition de Morbius, pour d'autres moments qui versent dans l'horreur (mais aussi l'anecdotique), et un crossover avec X-Force, à l'époque apanage du duo Nicieza/Liefeld. Là encore le plus important c'est l'image, sa puissance évocatrice, les effets coup de poing, et tant pis pour le reste. N'allez pas croire pour autant que j'ai tendance à sous-estimer ces épisodes. Absolument pas. comme je l'ai déjà dit, leur impact graphique a été notable et le talent de McFarlane éclabousse pas mal de planches et de cases dans ce gros pavé. Et derrière lui, peu ont été capables d'interpréter le tisseur d'une façon aussi originale et inspirée. Alors si vous ne connaissez pas cette série et que vous aimez le style totalement frapadingue des années 1990, il vous faut vraiment acquérir cet Omnibus, qui ne vous demandera aucun effort notable de compréhension fine, juste d'ouvrir grand les yeux pour absorber les souvenirs de ces années folles où on dessinait d'abord et pensait au scénario ensuite. 


Les fans de comics et de Spider-Man ont rendez-vous sur notre page Facebook ! 

A VICIOUS CIRCLE : CERCLE DE VIOLENCE À TRAVERS LE TEMPS



 Lee Bermejo, dessinateur fantastique au trait hyperréaliste, est un des invités d'honneur d'Urban Comics au Festival de la BD d'Angoulême 2024. Raison supplémentaire pour lui consacrer de jolis albums, d'autant plus qu'il est furieusement d'actualité. C'est ainsi que nous découvrons, dans un grand format magnifique, le premier volume d'une nouvelle série éditée en Amérique chez Boom studios, en collaboration avec le scénariste Mattson Tomlin, que nous avons vu notamment (et vous verrons encore) au scénario du Batman de Matt Reeves. C'est une histoire cruelle, sanglante et complexe qui nous est raconté. Les deux personnages principaux sont antagonistes au possible, ils se détestent et se livre une course-poursuite à travers les méandres du temps : à chaque fois qu'ils aboutissent dans une nouvelle époque, peu importe quand et où, dès l'instant où il font couler le sang et assassinent quelqu'un, ils sont projetés tous les deux, instantanément, à un autre moment de l'histoire. Seulement voilà il y a une différence de taille entre ces deux ennemis. L'histoire commence d'ailleurs dans le sud profond de l'Amérique, alors que le pays doit gérer les conséquences des lois Jim Crow, qui imposaient la ségrégation raciale dans le sud des États-Unis. Shawn Thacker est noir et il subit le racisme au quotidien, lui, sa femme et son jeune fils. Il s'occupe aussi de garder un terrible secret dont seule son épouse est au courant. Au fond de la cave familiale, derrière deux portes cadenassées, on découvre un prisonnier enchaîné, un certain Ferris, dont nous parlions un peu plus haut, sans le nommer. Le fiston a pour sa part la défense absolue d'aller faire un tour en bas des escaliers. Forcément, ce genre de scène ne peut être le prélude qu'à une évasion, tôt ou tard… 


Le cercle vicieux du titre, c'est bien entendu aussi celui de la violence, qui ne résout aucun problème mais qui au contraire a tendance à engendrer une nouvelle forme de violence, dans la surenchère. On devine que les deux antagonistes ne sont pas des enfants de chœur, mais on ignore pour l'instant les raisons fondamentales pour lesquelles ils sont prêts à se déchirer de la sorte. Tomlin parvient à nous faire ressentir la perte incroyable qu'éprouve Thacker : en quelques cases, il nous explique que cela fait des années qu'il était inséré dans la même époque et qu'il avait eu le temps de fonder une famille, donc d'espérer une vie enfin à sa mesure. Tout bascule en quelques pages et d'ailleurs les nombreux sauts temporels successifs se résument parfois à une seule vignette. Lee Bermejo est non seulement un dessinateur capable de rendre des planches quasi photographiques, tant elles sont spectaculaires au niveau des détails, mais en plus, il essaie ici de varier son style au maximum. Chaque époque traversée, même très brièvement, constitue un hommage ou une adaptation intelligente du savoir faire d'un grand artiste des comic books. Une histoire très intrigante et même par endroits haletante, et du Bermejo au sommet de sa forme… bref, il y a tout de même de très bonnes raisons pour acquérir cet album, qui sera disponible également à Angoulême, pour ceux qui auront la chance de se le faire dédicacer par le dessinateur en personne, sans oublier Mattson Tomlin, qui sera aussi de la partie. Un des moments forts pour tous les amateurs de bd américaines. 



Les fans de comics ont rendez-vous sur notre page Facebook !

ECHO : LA NOUVELLE SERIE DISNEY PLUS N'A PAS GRAND CHOSE À RACONTER


 Le dossier et la couverture de notre mensuel de janvier sont consacrés à l'avenir des comics sur le grand et le petit écran. On se pose la question car ces temps derniers la vague est un peu retombée et une lassitude évidente semble s'être emparée d'une bonne partie des spectateurs. Aussi, la première série de l'année 2024, qui est disponible sur Disney Plus, a la lourde charge d'endosser le rôle d'éclaireur pour ce qui va suivre. La bonne nouvelle, c'était le retour à un ton plus adulte, mur, violent, sans concession. Cette fois, il ne fallait pas redouter un pastiche de super-héros, une pantalonnade déclinée en cinq épisodes. Oui, de six nous sommes passés à cinq. Mais au contraire, quelque chose de plus brutal. Maya Lopez est à la fois une femme, une personne souffrant de plusieurs handicaps invalidants  (la perte d'une jambe, mais elle est aussi sourde) et issue de la communauté amérindienne, autrement dit une excellente occasion pour donner de la visibilité à ceux qui ne sont pas toujours sur le devant de la scène. Mais la série est également une opportunité pour ramener au premier rang des personnages parmi les plus charismatiques de l'univers Marvel, comme Wilson Fisk, le Caïd du crime, ou encore Daredevil et Hawkeye. Bref, il y avait tout de même un bon paquet de cartes à jouer pour rendre cette production très intéressante. Le problème que nous avons rencontré, c'est qu'à la fin du premier épisode, nous étions déjà plongés dans une léthargie profonde, due à l'absence quasi totale de moments forts. Echo ronronne, peine réellement à passionner. Maya est ici une fugitive, poursuivie par l'empire criminel de Wilson Fisk, qu'elle a abattu de sang froid. Une épopée personnelle qui va la conduire "chez elle", dans la campagne profonde, où elle devra se confronter à son passé, sa famille, son héritage et surtout à ses démons. L'écriture et la réalisation de cette nouvelle série Marvel s'attarde beaucoup sur ce dernier point, quitte à rendre la protagoniste assez déroutante, voire antipathique. Pas simple de ressentir de l'empathie, d'être ému devant cette Maya Lopez qui a finalement choisi sa voie, celle de la violence et de la vengeance, qui na jamais été entourée et guidée par les meilleurs conseillers, entre un père malfrat à la petite semaine et un mentor parmi ce qui se fait de pire. 


Maya Lopez est donc antipathique, taciturne, endurcie par la vie depuis qu'elle est petite, sourde mais aussi dotée d'une jambe en métal. Les réalisateurs Sydney Freeland et Catriona McKenzie prennent le contrepieds total du parcours entrepris avec Iman Vellani, Adil El Arbi et Bilall Fallah pour Miss Marvel, optant pour la carte singulière d'une série qui se fiche de savoir si le spectateur pourrait devenir ami avec sa protagoniste. La mise en scène, qui devient régulièrement et soudainement silencieuse pour faire ressentir ce que signifie être sourd et handicapé, avec uniquement des bruits lointains (à l'image de l'écho du titre et du nom de code choisi par Maya) peine à sortir de cet artifice intelligent. Le reste, c'est un ensemble de scènes et de plans déjà vus mille fois ailleurs, sans inspiration notable (comme ces cascades sur le toit du train, entrecoupées par l'apparition de ponts et d'obstacles, un classique éculé du genre) et sans génie. Alaqua Cox est tout aussi peu engageante, parfois même agaçante, mais déterminée et têtue au possible, ce qui est son meilleur atout pour lui permettre d'atteindre ses objectifs. Ce qui nous est présentée dans Echo, ce n'est pas une héroïne, mais une anti-héroïne; on pourrait même dire une ennemie potentielle pour les héros ordinaires, et qui échappe à la vie criminelle qu'elle a connu avec Wilson Fisk, avec qui elle entretient une relation assez similaire à celle que Nebula et Gamora ont pu avoir avec Thanos. Une espèce d’addiction toxique dont elle ne peut se défaire et qui est de toute façon sa meilleure arme pour arriver un jour à ses fins. Tout comme dans Miss Marvel, c'est un pouvoir très ancien et presque mystique qui guide les actions de Maya, qui pourrait en découvrir bien plus sur elle-même qu'elle ne l'imagine, se rappeler que la tradition, la dynastie et le passé sont des concepts qui définissent, quoi qu'on en pense, notre identité culturelle et sociale. Mais toute cette ambition en oublie un élément fondamental du genre super-héroïque : faire vibrer le lecteur ou le spectateur. Les pauses narratives abondent, les enjeux glauques et peu spectaculaires finissent par lasser et Maya n'a pas la carrure suffisante pour porter sur ses seules épaules les cinq épisodes (D'Onofrio est le seul qui pourrait le faire). Echo n'est pas un ratage complet ou un naufrage, c'est juste une série sans réelle envergure, qui nous laisse assez indifférents. 


Venez parler comics et bd sur notre page avec la communauté !


AU-DEDANS : UN ROMAN GRAPHIQUE POUR SE TOURNER VERS L'AUTRE (CHEZ 404 COMICS)


 Naître, c'est apparaître à la face du monde. Et une fois sur cette vaste scène que l'on nomme l'existence, confrontés au regard et au jugement des autres, il faut jouer. Dès l'instant où nous prenons conscience du rôle qu'il nous faut interpréter, sans pour autant avoir le moindre synopsis en main, les questions affluent. Des questions que l'on se pose d'autant plus quand on est dans la situation de l'homme moderne qu'incarne Nick, jeune illustrateur citadin, parangon de cette catégorie de la population qui n'a aucun souci pour subvenir à ses besoins élémentaires mais peine toujours autant à trouver du sens à ce qu'il lui faut accomplir, au quotidien. L'absence de sens, c'est ce qui nourrit l'impossibilité de communiquer. Vivre au milieu des autres, sans savoir quoi leur dire; ne pas être capable d'aller au-delà de la simple barrière des apparences, des banalités, mais véritablement s'intéresser à l'autre, s'ouvrir à lui, c'est-à-dire créer un échange et non plus une interaction automatique. Nick est victime de ce malaise des temps contemporains et ça ne concerne pas que sa vie routinière et intime mais aussi sa famille, avec une mère qu'en définitive il ne connaît pas intérieurement, ne sachant d'elle que ce qu'elle a pu lui apporter jusque-là et peut toujours lui apporter, en cas de coup dur aujourd'hui. Ou bien avec Wren, une oncologue dont il croise le chemin et qui devient une relation superficielle avec laquelle prendre du plaisir, sans pour autant approfondir leur rapport. Les fonds de case se mettent à l'unisson, à travers de très nombreux clins d'œil, notamment la présence de cafés, d'enseignes branchouilles dont le message brouillé ne veut en définitive pas dire grand-chose, si ce n'est que la poudre aux yeux semble être la recette principale pour s'adresser au client. Là encore, l'honnêteté n'est pas le point fort, le contenant prime largement sur le contenu. Alors, c'est ça notre existence, une interaction limitée et stéréotypée, représentée par ce petit personnage dont les aventures qui n'en sont pas sont scandées par un noir et blanc élégant et épuré, dont les micro événements ne signifient rien de pertinent, si ce n'est du temps qui passe qui sont autant de jours gâchés ? Bien évidemment, Au-dedans va apporter une réponse beaucoup plus poignante et profonde à tout ceci, au fur et à mesure qu'on s'immerge dans la lecture. Le rire railleur et la pose intellectuelle CSP+ vont s'effriter, quand Nick décide de s'exprimer, ou d'écouter, vraiment.



Will McPhail livre ici son premier roman graphique, après un début de carrière en tant qu'illustrateur/chroniqueur pour le New yorker. Son regard acéré se double d'une sincère capacité à transmettre les émotions, avec notamment des moments de bascule où la réflexion nonchalante devient interrogation existentielle, où la faille apparaît et laisse l'intime au contact du monde extérieur, quitte à ce que ça fasse mal, également (ou que ça soulage, selon les cas). La gestuelle, la répétition du dessin, se passent régulièrement du texte. Ce qu'on ne dit pas est parfois plus éloquent que ce qu'on clame, à tort ou par esbrouffe. Les étapes importantes, les mots qui sortent quand tout paraissait les retenir étouffés au stade larvaire, quand l'Au-Dedans devient Au-dehors, font l'objet d'un traitement particulier, avec des planches en couleurs, hautement allégorique, où le sens de la parole assume une signification tout à tour symbolique, élégiaque, cauchemardesque. Le tort de Nick, jusque-là, c'est d'avoir passé son existence à regarder, parfois voir vraiment, sans jamais interagir et se nourrir de l'altérité. Du coup, même la tristesse, comme tous les autres sentiments, ne sont pour lui que des artifices scéniques, dont il connaît les attributs, la pose, mais pas la profondeur et les conséquences. Il lui faut apprendre, quitte à ce que ce soit dans la douleur, avec sa propre mère. Assimiler, même ce qui semble inouï ou douloureux, comme le laisse présager le dessin, souvent, avec ces grands yeux écarquillés et ces séquences animées par une très subtile variation des poses; des micro-événements qui ajoutent de la profondeur à un individu qui apparaît, à bien des égards, comme le protagoniste perdu d'un film de Woody Allen jamais tourné. Certes, Nick n'appartient pas forcément à la même catégorie socio-professionnelle que la vôtre; j'ajouterais même qu'il personnifie celles et ceux qu'en général j'ai tendance à fuir comme la peste. Mais ce serait un comble de se cantonner à ce séparatisme, pour un ouvrage qui prône l'expression de la vie intérieure et la liaison si fragile et complexe avec les autres. Quand on tente de saisir, de ressentir, l'universalité entraîne l'empathie et souvent, dans la foulée, une forme de beauté cachée, de poésie indécelable au premier abord. Celle que Will McPhail parvient à mettre en lumière, entre sourires complices et larmes qui affleurent, dans un très bon roman graphique qui sort cette fin de semaine chez 404 Comics. Vous seriez bien inspirés de lui donner une chance.  



Chaque mois, UniversComics Le Mag', 84 pages, gratuit.

LE PODCAST LE BULLEUR PRÉSENTE LES DERNIERS JOURS DE ROBERT JOHNSON


 Dans le 167e épisode de son podcast, Le bulleur vous présente Les derniers jours de Robert Johnson que l'on doit à Frantz Duchazeau et qui est édité chez Sarbacane. Cette semaine aussi, on revient sur l’actualité de la bande dessinée et des sorties avec :

- La sortie de l’album La forteresse volante que l’on doit à Lorenzo Palloni pour le scénario, Miguel Vila pour le dessin et qui est édité chez Sarbacane

- La sortie de l’album Yougo, un conscrit casque bleu que l’on doit à David Cénou et aux éditions La boite à bulles

- La sortie du quatrième tome de la série Wild West, un tome baptisé La boue et le sang que l’on doit au scénario de Thierry Gloris, au dessin de Jacques Lamontagne et qui est éditée chez Dupuis

- La sortie de l’album Le grand large que l’on doit à Jean Cremers et qui est édité chez Glénat

- La sortie de l’album Suzanne, album de Tom Humberstone consacré à la joueuse de tennis Suzanne Lenglen, un titre paru chez Ankama

- La sortie du troisième tome de l’intégrale Valentina l’on doit à Guido Crepax et aux éditions Dargaud





BATMAN CHER DETECTIVE : L'ART DE LEE BERMEJO


 Essayons aujourd'hui de faire un peu de clarté et d'aborder le plus honnêtement possible Batman cher détective, qui sera publié à la fin du mois, le 26 janvier, chez Urban comics. Parlons tout d'abord de la faible pagination (64 pages), de ce qu'on peut trouver à l'intérieur. Il ne s'agit pas d'un récit en bande dessinée classique mais d'une compilation des couvertures que Lee Bermejo a réalisé pour la série Detective Comics, entre 2019 et 2022. Des variant covers du plus bel effet, dans son style hyper réaliste qui se prête à merveille aux ambiances glauques et sombres de Gotham. Que ce soit des poses iconiques comme on a l'habitude d'en voir, des angles de vue audacieux qui permettent à la chauve-souris de bondir d'un toit à l'autre, une vision saisissante de ses alliés ou ennemis, on en prend plein les yeux, systématiquement. Ces illustrations pleine page, publiées d'ailleurs dans un grand format qui leur rend bien hommage, sont entrecoupées régulièrement par des lettres, qui sont autant de messages et d'énigmes adressés au plus grand détective du monde. Le texte ne présente guerre de plus-value; c'est une plongée assez banale dans la folie et ce que représente Batman, des phrases que nous avons déjà lues un nombre incalculable de fois, finalement, dans la carrière du héros. Bermejo aurait eu l'ambition de créer une œuvre hybride, à mi-chemin entre une sorte de résumé de son travail sur les couvertures et le roman graphique, mais très sincèrement, le projet est un peu galvaudé et on s'en fiche. Le texte n'apporte rien, si ce n'est de souligner qu'il y a en effet une cohérence dans les illustrations successives, mais nous, ce qu'on apprécie, c'est de regarder (que dis-je, admirer) son travail, qui va séduire ceux qui aiment sa manière de faire. C'est en effet impressionnant et on se prend à rêver qu'Urban comics puisse nous proposer plus souvent ce genre d'anthologie, avec à l'intérieur les splendides couvertures (il y en a tant entre les "regular" et les "variant") que DC comics propose chaque mois. L'ouvrage est de belle facture, grand format donc, avec des effets en relief et un dos simili toilé, mais il a fait un peu grincer des dents sur les réseaux sociaux, en raison de son prix. 19 € pour 64 pages, donc. Même si nous ne cautionnons pas l'inflation actuelle qui touche les ouvrages en librairie, il faut remarquer que Batman cher détective n'a pas vocation à terminé sur toutes les étagères. Ce n'est pas un comic book au sens classique du genre, c'est un livre, destiné aux amateurs de beaux dessins, une sorte de cadeau à faire ou se faire, mais pas une aventure au sens propre. Cher detective, c'est un peu comme une sorte de musée virtuel et ça n'est absolument pas destiné à celui qui souhaite lire et approfondir une intrigue. Un peu de clarté sur la nature de l'objet ne peut qu'apporter un plus de sérénité dans les débats et aider au choix de savoir si vous comptez vous le procurer, ou pas. Pour esthètes et collectionneurs, plus que pour lecteurs. 



On se retrouve pour parler comics sur notre page FB :


GRANDVILLE NOËL : SUPERBE AVENTURE INÉDITE DE L'INSPECTEUR LEBROCK CHEZ DELIRIUM


 Ce sont des fêtes de Noël très particulières qui attendent l'inspecteur Lebrock dans le quatrième volume de l'excellente série de Bryan Talbot, Grandville. Tout d'abord, notre blaireau favori enquête sur la disparition de la petite nièce de sa gouvernante. En remontant la piste de l'adolescente de seize ans qui semble avoir fugué, il va croiser la route d'une secte religieuse dont les ambitions ne sont plus seulement spirituelles, mais sont devenues dangereusement politiques. Leur gourou n'est autre qu'une licorne (un certain Apollon), animal fantastique s'il en est, mais bel et bien réel dans l'univers de Grandville (même si on en croise un nombre très limité d'exemplaires) et doté d'un pouvoir de persuasion et d'un magnétisme hors du commun. La créature si charismatique parvient à recruter toute une série de malheureux adeptes en leur promettant des révélations et l'illumination, quitte à ce que la grande mascarade se termine en suicide de masse, lorsque la police se lance à ses trousses. C'est la raison pour laquelle la secte, qui est née aux États-Unis, a finalement choisi de se transférer en France, où la situation politique reste des plus fragiles. L'Empire s'est effondré et cela fait maintenant plusieurs semaines que le pays est gouverné par un conseil révolutionnaire, dans l'attente d'élections inédites. Le bouc émissaire de cette secte/parti politique d'inspiration nationale socialiste et xénophobe, ce sont les pâtes à pain, c'est-à-dire le surnom péjoratif donné aux humains, dans un monde où ce sont les animaux anthropomorphes de toutes les races qui prédominent. Accusés de tous les maux, ils sont pointés du doigt et victimes d'une ségrégation féroce, après avoir été régulièrement pourchassés et exterminés durant toute l'histoire, comme on peut le comprendre au fil des pages. C'est un des grands tours de force de ce récit : la capacité de réécrire la chronologie de l'humanité, tout en inversant rôles et responsabilités, mais en conservant une logique dans la dynamique des faits. Celle de la haine, du racisme et de ses conséquences ignobles, à travers les siècles. Il y a une tentation d'explication théologique et philosophique des origines de l'humanité, ou devrait-on dire ici de la bestialité, absolument bluffante ! Talbot ne se contente pas de nous divertir mais il fait preuve d'une intelligence rare, en crédibilisant toute son œuvre de la plus profonde et pertinente des façons. Avec cette quatrième aventure, Grandville gagne encore en épaisseur et en ambition. Rien que ça.



On ne peut que plaindre le lecteur inattentif, qui s'arrête sur les apparences, c'est-à-dire un univers d'animaux anthropomorphes, sans comprendre ce qui peut se cacher là-derrière, les trésors que recèle Grandville. De la politique à la société en général, de la théologie aux nombreux clins d'œil à l'histoire de l'art et de la bande dessinée, on n'en finit plus de compter les bonnes raisons pour suivre avec admiration le travail de Bryan Talbot. Ici aussi, le lecteur averti trouvera des références évidentes, certaines vignettes reproduisant des tableaux ou des sculptures entrés dans la légende et qui appartiennent au patrimoine de l'humanité, comme La Cène de Leonard De Vinci. Mais également un hommage appuyé à différents personnages du neuvième art, comme Astérix et Obélix en syndicalistes militants, ou un certain Lucas Chance, as de la gâchette venu de l'Amérique, qui devient même dans la seconde partie de l'ouvrage le coprotagoniste affirmé de l'aventure, aux côtés de l'inspecteur Lebrock. Bref, un Lucky Luke comme vous ne l'avez probablement jamais vu, réinventé avec beaucoup de panache et d'ingéniosité. Les seuls qui ne pourront certainement pas aller jusqu'au bout de cette quatrième histoire, ce sont ceux pour qui il existe des races inférieures, ceux qui pensent que la disparition de l'autre, celui qui nous est différent, étranger, foncièrement nuisible donc, est une solution aux différents maux de notre présent tourmenté. Ceux-là vont en avoir les oreilles qui sifflent pendant longtemps, car Noël est aussi un plaidoyer pour un peu plus de compréhension dans les rapports entre humains. Savoir aller au-delà des apparences, même lorsque cela est loin d'aller de soi. Il suffit de lire les différentes répliques, par endroits, de Lebrock lui-même, qui fait preuve de maladresse ou en tous les cas d'une forme caricaturale de prévention à l'encontre des soi-disant pâtes à pain. Les mauvaises habitudes ont la dent dure, mais cela n'empêche qu'on peut toujours essayer de les combattre et de s'améliorer. C'est valable aussi lorsqu'il s'agit de tisser une relation sentimentale, lorsque celle pour qui on éprouve un amour sincère exerce le plus vieux métier du monde. Je parle bien entendu de Billie, la flamme de notre inspecteur, qui assume pleinement ce qu'elle est et qui elle est. Une attitude qui permet d'ailleurs un final avec le sourire. Ajoutons à cela des planches toujours aussi magnifiques, truffées de détails conjuguant parfaitement l'art nouveau et les influences gothiques/steampunk et vous comprenez pourquoi nous sommes aussi enthousiastes à chaque fois que nous pouvons retrouver ce joli monde, chez Delirium. Un éditeur qui propose une édition indiscutablement de qualité, avec toute une série de bonus et de commentaires rigoureusement indispensables, à chaque fois. Grandville, entre fiction et commentaire politique, s'avère être une série tout bonnement brillante. 


Grandville Noël, sortie le  19 janvier 2024, chez Delirium

Chaque aventure peut se lire de manière indépendante.
Mais tant qu'à faire, retrouvez les autres volumes chroniqués !





Pour les fans de comics & BD, venez faire un tour dans la communauté !


OMNIBUS X-FACTOR PAR PETER DAVID CHEZ PANINI COMICS


 À l'origine, la série X-Factor, scénarisée par Bob Layton en 1986, permet de réunir les X-Men originaux et de leur faire vivre de nouvelles histoires. Entre le retour de Jean Grey, la mutilation subie par Angel, qu'Apocalypse transforme en Archangel, son cavalier de la mort, ou la grande saga Inferno, ce ne sont pas les événements tragiques et marquants qui manquent. Toutefois, au terme de la saga de l'île de Muir en 1992, le titre va vivre une seconde jeunesse qui reste encore aujourd'hui comme un des souvenirs les plus jouissifs de l'univers Marvel de cette décennie là. Ceci grâce à un scénariste de génie, capable d'écrire les super-héros comme nul autre, Peter David. Le concept est simple : une équipe totalement dysfonctionnelle, de l'humour savamment dosé à chaque épisode et des rebondissements inattendus. La nouvelle formation est au service de Valérie Cooper, qui est une sorte d'agent de liaison entre nos héros et le gouvernement américain. Elle sera remplacée par la suite par Forge. Les deux leaders choisis sont Havok et Polaris. Le premier, le frère de Scott Summers, va enfin avoir l'occasion de s'émanciper de son aîné, qui lui a fait jusque-là beaucoup d'ombre. Mais il va devoir mettre au point ses capacités de gestion et de commandement et apprendre à composer avec des caractères parfois très différents du sien. Par chance, sa compagne (Polaris, donc) est une femme aussi puissante que patiente, capable d'apporter une aide concrète et de jouer le rôle de collant dans une formation toujours sur le point de se désagréger. L'Homme multiple (Jamie Maddrox) est pour sa part en proie à de véritables crises d'identité; impossible de déterminer qui est et où est vraiment l'original par moments, avec ce personnage complètement décalé, irritant, mais qui peu à peu va gagner en profondeur. Le clown de l'équipe, c'est Guido, alias Malabar/Strong Guy, l'ancien chauffeur de Lila Cheney. S'il est extrêmement puissant et semble totalement insouciant, il cache au fond de lui une incertitude dévorante, qui l'oblige à faire le pitre pour compenser. Felina/Wolfsbane (Rahne Sinclair) est une jeune fille très pieuse et pudibonde, capable de se transformer en loup-garou. Elle aussi va traverser de rudes épreuves, notamment sur l'ile de Genosha, où une intervention génétique va la lier tragiquement à son leader, Alex, pour qui elle va nourrir alors une réelle fixation.



Ajoutons à cette fine équipe l'imbuvable Vif-Argent. Pietro n'est pas aimé des autres, sa présence est loin de faire l'unanimité et son comportement n'aide en rien dans l'affaire. Mais on sent également un homme désireux de mieux faire, de réparer certaines erreurs du passé, même si de façon totalement maladroite. Les deux dessinateurs principaux qu'on retrouve dans cet omnibus sont Larry Stroman et Joe Quesada. Le premier offre une indéniable touche expressionniste, parfois caricaturale, à des planches qui privilégient l'explosivité au réalisme des anatomies ou des situations. Si j'avais été un peu dérouté à l'époque de la première parutions dans les minces fascicules VF qu'on appelait Version Intégrale, j'ai fini par m'y faire et même apprécier énormément cette audace, rupture avec ce qui avait été produit avant. Le second allait vite devenir un des grands pontes de Marvel. Lui aussi mise clairement sur l'effet spectaculaire de son travail, au détriment du respect servile de la réalité, mais le trait agile, truffé de trouvailles réjouissantes, la mise en page toujours bondissante, en font un artiste d'exception à qui nous devons des épisodes mémorables. Jae Lee pointe le bout de son nez le temps du crossover Le chant du bourreau, pour une parenthèse magnifique, des pages orageuses et sombres, tout un univers soudain torturé, retravaillé, avec une classe démente. Pour ce qui est des histoires en soi, le véritable début de la troupe de Val Cooper est éloquent. Il y est question du meurtre de l'Homme Multiple, sans qu'on sache vraiment qui a été tué (lequel ?), au point que le pseudo original revient revendiquer son identité, en pleine conférence de presse, où serait donc présent un simple double émancipé. Mister Sinister aussi rentre dans la partie et Guido se retrouve impliqué dans un combat face à Slab, un autre gros bulldozer génétique, certes musclé à l'extrême mais laid comme un pou. X-Factor croise la route de Hulk, le temps d'un mini crossover (orchestré par Peter David et ses deux casquettes de scénariste) aux ramifications géopolitiques, avant que Stryfe fasse surface. Le double génétique de Cable étant appelé, nous l'avons dit, à être le pivot du grand récit choral que sera le Chant du Bourreau. Que ce soit face à Cyber, le Crapaud, une adversaire capable d'enchanter et maîtriser les autres par la musique, X-Factor enchaîne les rencontres, les adversaires, toujours avec un effet double-face évident. On sourit franchement, surtout quand la dynamique du groupe est mise à mal par des individualités qui n'aiment guère se reposer sur les autres, mais on sent poindre le drame, ce qui ne manquera pas d'arriver et de marquer l'équipe au fer blanc. Les apparences sont trompeuses, comme l'enseigne Random, un mercenaire ultra violent et dont le corps devient toute sorte d'armes, qui cache en fait une personnalité et une identité bien plus fragiles et pathétiques qu'il ne paraît au premier regard. Inutile de préciser que cette sortie est indispensable pour tous les lecteurs nostalgiques des années 1990, même si les Omnibus sont un produit que seuls les plus fortunés et motivés d'entre vous parviennent à acquérir régulièrement. La démocratisation de notre passion étant une autre problématique, sur laquelle nous reviendrons un autre jour. Si vous le pouvez, foncez. 


Et les fans de comics, les vrais, ceux qui savent lire et écrire, ont rendez-vous sur la première communauté francophone, 24h/24 !

LE PUITS (DE JAKE WYATT ET CHOO) : FABLE DU DESIR ET DES VOEUX


 La troisième et dernière sortie de janvier du label Combo et plus à rapprocher du manga, aussi bien par le style adopté pour le dessin que pour ce qui est de la présentation, avec un format plus petit et une couverture souple brochée avec rabat. Le personnage principal de cet album appelé Le Puits est une adolescente du nom de Lizzy. Elle est fille et petite fille de sorcières, mais sa famille a disparu et elle vit désormais avec la dernière personne qui lui reste, son grand-père. Elle a disparu car il a fallu autrefois combattre un terrible monstre, le Léviathan, dont la défaite (provisoire) a ensuite provoqué l'arrivée d'une brume permanente, dans laquelle doivent vivre tous les habitants d'un pays qui n'est jamais nommé et qui ajoute au caractère fantastique et merveilleux de l'ensemble. Le grand-père de Lizzy est chevrier et sa petite fille est chargée d'aller vendre ses fromages, en prenant un bac pour aller d'une ile à l'autre. Un jour, ayant besoin d'argent pour payer la traversée mais aussi quelques effets personnels et se faire plaisir, elle décide d'aller voler trois pièces de monnaie qui ont été jetées au fond du puits magique d'un petit village, par des gens qui ont formulé chacun un vœu personnel, un désir ardent et intime, qui ne s'est pour l'instant pas encore réalisé. Le larcin peut sembler modeste mais il a une conséquence dramatique : il réveille les monstres de la brume et place Lizzy dans une situation très inconfortable. Il va falloir qu'elle rembourse, ou à défaut, qu'elle exauce les vœux qu'elle a imprudemment "empruntés". Une étrange apparition encapuchonnée est là pour la guider, tout du moins pour lui indiquer le chemin et suggérer quelques conseils avisés. 

On est en permanence à la frontière de quelque chose, mais on ne parvient jamais à l'identifier. Il règne un parfum comme d'étrangeté et d'onirisme dans ce qui est décrit comme une fable et qui apparaît aussi comme le récit initiatique d'une adolescente, sur le point de rentrer dans l'âge adulte. C'est aussi une histoire sur la manière d'accepter l'altérité de l'autre, les désirs profonds, les rêves de chacun, tout ce qui définit en fait l'humanité, tout simplement. Jake Wyatt nous surprend à travers les chapitres de cette bande dessinée qui sont autant d'étapes vers une révélation intime et collective. Un parcours touchant qui ne laisse pas insensible. Le dessin de Felicia Choo empreinte énormément au code du manga, comme nous l'avons déjà dit, mais l'atmosphère cotonneuse dans laquelle flotte son œuvre fait qu'elle dépasse et surpasse l'inspiration de base, pour obtenir quelque chose de différent, un produit hybride suspendu, quelque part entre compte pour enfant et symbolisme fort, pour adulte. Du reste, il s'agit d'une des promesses du label Combo; celle de présenter de nouvelles bandes dessinées échappant aux standards établis, brisant les barrières, opérant une synthèse à tous niveaux. Sans tambour ni trompette, Le Puits est à placer dans cette catégorie. L'impression de quelque chose de d'antique, d'éprouvé, avec la certitude d'avoir le regard tourné vers l'avenir, le défrichage. Un récit qui démarre au petit trot, pour peu à peu vous ensorceler et qui se laisse lire d'une traite, jusqu'à la révélation finale. Il y est aussi question de sentiments, d'amour, au-delà des questions de genre, sans jamais que ça soit asséné avec lourdeur. Subtilement, une belle réussite.





Votre Mag' mensuel, 84 pages, gratuit. Profitez-en !


COSMOPIRATES TOME 1 : CAPTIF DE L'OUBLI (JODOROWSKY / WOODS)

 Xar-Cero est typiquement le genre de mercenaire sur lequel on peut compter. Si vous avez une mission à exécuter, soyez certain qu'il ir...