Jeff Lemire et Matt Kindt, les démiurges derrière Cosmic Detective (chez Delcourt), avaient initialement décrit l'œuvre comme "un mystère saupoudré de science-fiction épique qui pose la question: quand un dieu est assassiné, qui résout le crime ?" Malgré cette accroche intrigante, il n'est en réalité pas question de religion, ni même de creuser dans tout ce qui pourrait caractériser une créature d'essence divine. Les "dieux", dans cette histoire, sont simplement une race extraterrestre si avancée par rapport à la nôtre qu'ils apparaissent comme tels. C'est l'illustration parfaite du principe selon lequel "toute technologie suffisamment avancée est indiscernable de la magie". Reste la véritable interrogation, qui pourrait bien tuer une telle créature ? D'autant plus que cela ne se produit jamais, tout du moins personne n'est jamais mis au courant. Voilà donc une mission périlleuse et complexe pour le héros, dont le nom reste inconnu tout au long de l'album. Son enquête suit une trame assez classique de polar pulp : le détective interroge ses informateurs habituels, se fait tabasser pour ses questions qui dérangent, et suit différentes pistes, une à une. Ce qui distingue l'ensemble, cependant, c’est qu'il baigne dans un quotidien et s'appuie sur des trouvailles et des rebondissements qui ont tout à voir avec la science-fiction. Dans Cosmic Detective, on tombe sur des voitures volantes et des pistolets laser; on plonge également dans des concepts fascinants comme les voyages inter dimensionnels et des réflexions vertigineuses sur la réalité. On peut même, en ouvrant le capot d'un véhicule garé dans un parking souterrain, avoir accès à une sorte de base opérationnelle secrète. Et c'est loin d'être tout ! Quand on pénètre enfin le domaine des aliens (faute d’un terme plus précis), l’esthétique sombre et parfois oppressante des dessins de David Rubin s’efface pour laisser place à une technologie extraterrestre éblouissante et incompréhensible.
Nous pourrions rapprocher l'ambiance que dégage ce Cosmic Detective du film Blade Runner (le premier, le vrai), qu'on aurait couplé aux fantasmagories propres à l'univers des Éternels de Jack Kirby, et pour cause ! Tout au long de ce graphic novel, l’influence de Kirby se fait largement sentir, mais sans jamais donner l’impression d’un faible pastiche. La dédicace dès l'ouverture est assez éloquente. Les New Gods, les Éternels, ont démontré que notre média préféré est ouvert à tous les possibles, toutes les audaces, qu'on peut faire tenir un univers dans une graine (une arme redoutable utilisée dans Cosmic Detective) ou abriter sur notre planète des créatures inimaginables et très puissantes, sans que le quidam moyen ne se doute de ce qui se trame vraiment, de quelle est sa vraie (et terriblement tragique) place dans le grand ordre des choses. Cela étant dit, si Cosmic Detective explore des concepts familiers à la poétique de Kirby, la manière dont l’histoire se déroule fait qu'il s'en émancipe franchement. Kirby parvenait à condenser un maximum d’intrigues dans un espace minimum, ce qui était une des caractéristiques des comics d'autrefois, où chaque numéro s'avérait d'une grande densité, au point qu'on pourrait le décliner en un trade paperback de nos jours. À l’inverse, le travail conjoint de Jeff Lemire et Matt Kindt prend son temps. De nombreux plans contemplatifs permettent aux lecteurs de s’imprégner des décors et de l’ambiance. Tout comme des double splash pages de folie, des illustrations qui font sens dans leur bizarrerie, leur capacité de vous emmener ailleurs, de vous faire sentir étranger en terre étrangère. Et puis, nous sommes bel et bien face à un vrai polar, certes fantastique, certes dotée d'une conclusion glaçante et métaphysique. L’atmosphère joue dans ces pages un rôle clé, tout comme la suggestion, la volonté de rêver, de s'abandonner, de ne pas chercher à tout savoir, forcément. Un drôle de trip, quoi !
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