Soixante-dix ans après la publication du roman culte Sa Majesté des Mouches de William Golding, cette œuvre intemporelle a été brillamment adaptée en bande dessinée chez Dargaud. Le résultat, il faut le dire, est convaincant. Le récit propose une réflexion sur des thèmes universels tels que la société libertaire, la cruauté humaine et la nature véritable de l’homme lorsqu’il est livré à ses instincts primaires. L’histoire, située dans les années 1950, débute après un accident d’avion. L’appareil s’écrase sur une île déserte au cœur du Pacifique, et seuls des enfants en réchappent. Point commun entre ces jeunes survivants : ils viennent tous d’un milieu privilégié de la haute société anglaise. L’album s’ouvre sur les premiers rassemblements des rescapés. Grâce à un simple appel sonore produit en soufflant dans un coquillage, les enfants convergent vers la plage et cherchent à se regrouper. Rapidement, des individualités émergent, et ce sont ces figures marquantes qui vont se disputer le rôle de leader dans cette joyeuse mais chaotique communauté. Parmi eux, un enfant grassouillet, surnommé « Cochonnet », peine à se faire une place. Marqué par les moqueries qu’il subissait à l’école, il redoute de voir ce surnom humiliant se répandre de nouveau parmi ses compagnons d’infortune. Cependant, ne vous attendez pas à des portraits d’enfants brisés ou plongés dans une profonde détresse psychologique. La petite société s’organise rapidement : les survivants partent cueillir des fruits, construisent des cabanes de fortune et tentent désespérément d’allumer un feu pour signaler leur présence; effort qui, hélas, pourrait bien tourner au drame. Ils envisagent également de chasser des cochons sauvages, une tâche cruciale mais lourde de conséquences. Car l’appel du sang, une fois ressenti, menace de bouleverser l’équilibre précaire de cette communauté infantile. À mesure que les jours passent, la tension monte inévitablement. Confrontés à une liberté quasi absolue, ces enfants doivent décider : obéir à des règles communes ou céder à leurs instincts. Cette confrontation entre ordre et anarchie devient alors un enjeu d'avenir.
La civilisation commence à vaciller dès qu’elle se retrouve face à un monstre, qu’il soit réel ou qu’il ne soit que le reflet d’elle-même. L’inconnu suscite toujours la peur. Cependant, le véritable monstre n’est peut-être pas celui que l’on observe ou que l’on ne comprend pas, mais plutôt celui qui sommeille en chacun de nous, attendant simplement des circonstances favorables pour se révéler au grand jour. Aimée De Jongh propose ici une adaptation particulièrement réussie, sans doute en grande partie grâce à son admiration pour le roman de William Golding, qu’elle a dévoré dans sa jeunesse. Ce profond attachement à l’œuvre originale transparaît dans la qualité de son travail. Fidèle à la structure du roman, elle maintient une division en chapitres et s’appuie sur un dessin à la fois simple et direct, en parfaite adéquation avec le jeune âge des protagonistes. Cette société, qui démarre sur des bases sauvages et utopiques, évolue progressivement vers une reproduction brutale des dynamiques de domination, où les plus forts écrasent les plus faibles avec une cruauté implacable. Cela soulève une question essentielle : et si la véritable sauvagerie consistait simplement en l’application de la loi du plus fort, qu’elle s’exprime par la force physique, le pouvoir des institutions ou celui de l’argent ? En tout cas, Sa Majesté des mouches, pour ceux qui n’auraient jamais lu le roman, devient ici accessible grâce à une bande dessinée magistralement réalisée, disponible depuis quelques semaines chez Dargaud.
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