CRIMSON FLOWER : UNE FOLIE GRAPHIQUE DE KINDT ET LESNIEWSKI CHEZ DELIRIUM


 Crimson Flower de Matt Kindt et Matt Lesniewski est un récit qui mêle vengeance, folklore slave, et un soupçon de folie. Imaginez une vendeuse VRP pour une grosse boîte pharmaceutique russe, dépendante aux médocs qu’elle vend, et en quête de justice pour le meurtre brutal de son père. Mais attention, cette héroïne n’a rien d’une demoiselle en détresse : elle tranche, frappe, et vous fait douter de sa santé mentale à chaque page et au fur et à mesure des pilules qu'elle avale sur la route. L'album démarre sur une note nostalgique, une scène père-fille autour d’un livre de contes russes. Puis, coupure brutale : on retrouve notre héroïne adulte, plongée dans un chaos de violence et de vengeance. Le folklore s'entrelace avec l'imaginaire, à tel point qu’on ne sait plus très bien ce qui est réel ou fantasmé. Est-ce un conte sanglant ou une hallucination due à un cocktail pharmaceutique ? Il faut dire que la fillette a vécu un traumatisme qu'elle ne pourra jamais oublié : quelqu'un s'est introduit dans le bureau du paternel et l'a assassiné de manière barbare sous ses yeux. Elle a patiemment accumulé les indices qui lui permettent de remonter la piste du coupable, et aujourd'hui, l'heure est venue de payer. Il faut l'admettre, les types qu'elle va croiser sur son chemin ont la figure de l'emploi. Ils sont laids, menaçants, et quand la réalité et l'imaginaire folklorique se confondent, cela donne une ménagerie sauvage et purulente que notre "héroïne" (elle aussi transformée dans un habit propre à ces moments) se charge de pourfendre à la manière d'un chevalier moderne. Le fil entre monde réel et littérature est d'ailleurs fragile et sujet à confusion dès le départ, puisque la passion de Rodion, la fillette, est de dévorer des livres de récits folkloriques dans le bureau du père. Elle-même n'est pas exactement ce que nous pouvons croire ou déduire après les trois premiers numéros, des quatre qui composent cette mini série. Où la violence se met en place d'une façon presque répétitive, selon un schéma bien précis, mais qui permet toujours au dessin de faire feu de tout bois. Et à ce niveau, place à une sacrée découverte. 



Matt Lesniewski sort l’artillerie lourde : des membres étirés à l’extrême, des postures grotesques, des détails exagérés qui donnent une identité unique à cette histoire. S'il fallait se prêter au petit jeu de l'accumulation des références artistiques, on pourrait parler d'un cocktail hallucinogène, avec une pincée de Michel Fiffe, un coulis de Paul Pope, un arrière-goût de Tradd Moore ou de Daniel Clowes. Les scènes d’action, sous ses crayons ? Une chorégraphie étrange entre le burlesque et l’épique. Les personnages sont aperçus tout à coup sous un angle monstrueux, difformes, assument l'identité de créatures des contes, ce qui permet de justifier, ou en tous les cas de dédramatiser, le funeste destin qui les attend. L’héroïne est d'ailleurs dépeinte comme instable, peu fiable, et on se demande souvent si elle est victime ou bourreau. Si son comportement ne fait pas d'elle une tueuse en série sans la moindre pitié, ou une femme qu'une juste colère incite à s'en aller découper du criminel de la pire espèce, geste exutoire et jubilatoire qu'on pardonnera aisément, compte tenu du trauma vécu. Lesniewski a de fortes chances d'être encore un inconnu pour la plupart d'entre vous. Moi-même, je ne le connais que très sommairement, mais il est évident, après seulement quelques pages, que nous tenons ici un de ces créateurs pour qui les cases sont bien trop étroites pour qu'on l'y enferme. Un de ceux dont la fantaisie repousse la possibilité même de raconter une histoire en images, qui peut s'émanciper des anatomies, du réalisme, du bon ton, sans craindre d'être mis au ban du genre. Lesniewski invente et c'est jubilatoire, débordant, très personnel. Bonne nouvelle, on le retrouvera très vite chez Delirium (qui ne s'est pas trompé sur le potentiel du lascar) grâce à un graphic novel à venir en 2025, Static. Ajoutons à cela que les couleurs de Bill Crabtree apportent une touche vibrante, presque maladive, comme si elles étaient elles aussi sous l’effet des psychotropes qui rythment une partie de cet album. Violent et mené tambour battant, Crimson Flower se fiche bien de la perfection et du qu'en-dira-t-on. En fait, ça ne ressemble à rien d'autre et c'est fascinant aussi pour cela. Une des découvertes les plus singulières et jouissives que vous allez pouvoir faire en 2025, selon toute probabilité. 

Crimson Flower, chez Delirium, sortie le 15 janvier 



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