AUCUNE TOMBE ASSEZ PROFONDE : LE WESTERN MACABRE DE YOUNG ET CORONA


 Commençons cette petite chronique en mettant en avant un élément auquel nous accordons trop rarement d’attention : la traduction du titre Ain’t No Grave en version originale devient Aucune tombe assez profonde en langue française. Difficile d’imaginer une adaptation plus intelligente et pertinente. Poursuivons avec la forme sous laquelle Urban Comics propose l’œuvre de Scottie Young et Jorge Corona : un grand format luxueux qui s’éloigne du comic book traditionnel de super-héros et rend un hommage artistique digne de ce nom aux compositions du dessinateur. On est ravis ! Le personnage principal de cette bande dessinée s’appelle Revolver Ridge Ryder. Autrefois, elle faisait partie des légendes de l’Ouest sauvage : une femme qui n’hésitait pas à dégainer son colt pour faire parler la poudre et s’imposer dans un monde brutal et résolument masculin. Mais ça, c’était avant. Depuis qu’elle a rencontré l’amour avec Darius, tout a changé. Elle s’est rangée, a fondé une famille, et les deux tourtereaux vivent heureux avec leur petite fille. Jusqu’au jour où tout bascule : l’ancienne pistolero contracte une terrible maladie dont il semble qu’elle ne pourra guérir. Que faire alors, quand l’horizon se rétrécit inexorablement ? Se résigner et attendre en silence le dernier souffle ? Ou, au contraire, choisir de partir dans un ultime coup d’éclat ? Ce sera plutôt la seconde hypothèse : Ryder décide de prendre la route de Cypress pour y affronter la mort elle-même. Puisque la fin est inéluctable, autant la devancer dans un duel au sommet. Mais sérieusement, peut-on réellement provoquer la mort en duel et espérer s’en débarrasser ? Vous l’aurez compris, le scénariste Scottie Young déploie ici, au fil de cinq épisodes, le schéma classique du combat face à la maladie ou au deuil : le déni, la colère, le marchandage, la dépression et, enfin, l’acceptation.


On avait déjà croisé ce type de procédé dans d’autres récits, notamment dans le Fallen Son de Jeff Loeb, à l’époque de la prétendue mort de Captain America. Il faut reconnaître que, bien que les deux premiers épisodes soient efficaces, ils présentent aussi quelques faiblesses. On pense notamment à cette alternance passé-présent un peu stéréotypée et aux raccourcis narratifs destinés à nous livrer un maximum d’informations sur l’héroïne sans trop d’efforts. Cependant, à la différence d’autres albums, plus l’intrigue progresse – et avec elle cette quête de la mort, au sens propre comme au figuré –, plus on se laisse happer par le récit, qui devient de plus en plus captivant. Le quatrième épisode, entièrement muet et sobrement intitulé Dépression, est à cet égard remarquable. C’est aussi à ce moment-là que l’on mesure toute la richesse du travail graphique de Jorge Corona. Comme son complice Young, il excelle dans un style caricatural d’une redoutable efficacité. Mais ici, la caricature ne puise pas ses racines dans une approche enfantine ou rassurante de l’art, façon cartoony. Il s’agit plutôt d’une forme de réalisme perverti, qui se prête à merveille à ce western macabre. Le dernier épisode, particulièrement bien écrit, laisse une impression marquante. Lorsqu’on arrive à la conclusion, une question s’impose : jusqu’où serions-nous prêts à aller pour grappiller encore quelques minutes, quelques instants, quelques souvenirs ? Tout cela est profondément émouvant et offre une conclusion à la hauteur, pour un album qui se révèle bien plus abouti et profond qu’on ne l’aurait imaginé au départ. D’autant que son héroïne n’en est pas vraiment une : au vu du malheur qu’elle a semé tout au long de son existence, il semble inconcevable de lui accorder notre pardon sous prétexte qu’un jour, elle a connu l’amour et une petite fille. Ce regard, propre à Young, est parfaitement expliqué et justifie ses choix narratifs. Bref, cette publication chez Urban nous intriguait, et nous pouvons dire que nous n’avons pas été déçus. Cette mini-série mérite assurément d’être découverte.


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